Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

En Iran, les frappes contre Israël permettent au régime des mollahs de renforcer sa logique sécuritaire

Loin d’être uni derrière un sentiment nationaliste soutenant l’opération du régime contre Israël, l’Iran est confronté à une accélération de la répression à l’égard de sa population. Une situation qui ne fait que creuser les fractures entre les défenseurs du pouvoir et ceux qui aspirent au changement.

Tiré d’Europe solidaire sans frontière.

C’est un panneau gigantesque, installé au centre de Téhéran, surplombant l’une des artères les plus importantes de la ville. Outil de communication du régime, le panneau sur la place Vali-Asr affiche, depuis ce 15 avril, une nouvelle fresque géante mettant en évidence une dizaine de missiles prêts à être tirés sur Israël.

Ailleurs dans la capitale iranienne, d’autres panneaux célèbrent l’opération du 13 avril menée contre Israël, avertissant que « la prochaine gifle sera plus violente », tandis que Kayhan, l’un des quotidiens parmi les plus radicaux du pays, titrait au début de la semaine en une que « L’Iran a ouvert les portes de l’enfer sur Israël ».

Depuis le week-end dernier, toute la machine de propagande du régime iranien est mise en action à la fois pour démontrer sa puissance de frappe militaire et le soutien que cette opération obtiendrait de la part de la population.

De l’ancien président modéré Khatami, déclarant que « la réponse de l’Iran au crime d’Israël a été réfléchie, courageuse, logique et légale » au journal Javan qui insiste sur le soutien populaire à l’opération, ce serait tout un pays qui serait ainsi uni contre l’ennemi historique de la république islamique.

L’intention est claire : il s’agit, pour le pouvoir en place, de souligner sa force et sa légitimité.

La peur est ressentie par une large partie de la population

La réalité semble cependant bien différente que ce que la machine de communication bien huilée du régime veut montrer.

Si des images de liesse de dizaines d’Iraniens, promues sur les réseaux sociaux le soir des frappes sur Israël, ont frappé les esprits et ont été relayées allègrement dans les médias occidentaux, d’autres, finalement plus marquantes, ont mis en évidence la peur ressentie par une large partie de la population, à l’image des files de voitures devant les stations d’essence de Téhéran, dans la nuit du 13 au 14 avril.

La population iranienne reste, en effet, soumise à des conditions de vie rendant son quotidien difficile, pénible, épuisant. L’inflation ne parvient guère, depuis de nombreux mois, à descendre sous les 40 %. Les craintes d’un conflit désormais ouvert avec Israël font encore plus rejaillir l’angoisse d’un effondrement social et économique dont une large partie de la population, qui vit désormais sous le seuil de pauvreté, en serait la première victime.

Dans les jours qui ont suivi l’opération militaire, d’autres voix ont aussi essayé de se faire entendre afin de dénoncer l’opération menée par le pouvoir en place. Les craintes d’une partie de la population se portent en effet sur l’opportunité que représente pour le régime cette nouvelle tension internationale : celle d’appuyer encore plus fort sur la logique de répression à l’intérieur du pays.

Sur les réseaux sociaux de divers groupes informels engagés dans la lutte pour les droits humains et politiques, les textes de mises en garde se succèdent, à l’image d’un court texte du sociologue Aghil Daghagheleh : « L’ombre de la guerre crée la peur et la terreur et augmente le risque et la crainte d’affronter l’appareil oppressif. »

Pour Daghagheleh, « ce qui ressort de la situation, c’est que le gouvernement veut alimenter sa machine de répression issue du conflit militaire avec Israël et que ses premières victimes ont été (et encore une fois) des femmes, des journalistes et des militants politiques ».

Sur des médias iraniens en exil, ce sont 350 militants, intellectuels et membres de la société civile iranienne qui ont signé le 16 avril une tribune collective (lire ci-contre) affichant leur refus de la guerre : « L’environnement belliciste actuel, en plus de masquer l’absence de responsabilité du système politique face aux crises majeures, favorise la répression croissante des mouvements de protestation en Iran. »

Remise en route de la machine répressive

Confirmant ces craintes, divers événements survenus depuis l’opération iranienne contre Israël ont révélé une remise en route de la machine répressive. Une nouvelle vague de répression et d’intimidation est à l’œuvre depuis plusieurs jours.

Dans diverses villes du pays, les tristement célèbres Gasht-e Ershad ou « patrouilles de moralité », considérées comme responsables de la mort de Mahsa Amini, sont de retour dans les rues. De nombreuses vidéos montrant les arrestations brutales de femmes pour le simple motif d’un voile « mal porté », parsèment les canaux Telegram des mouvements de contestations et de protestations.

La prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, toujours emprisonnée à Evin, a réagi ce mercredi par une lettre publiée sur son compte Instagram : « La république islamique a transformé les rues en champs de bataille contre les femmes pour apaiser par la terreur et la peur, la douleur de son illégitimité et de son effondrement et pour tenter de guérir la faiblesse et le ridicule de ses prétentions sur la scène internationale par une domination brutale et odieuse à l’intérieur. »

Dans d’autres espaces, l’intensification de l’appareil sécuritaire se fait également sentir. Ce retour de la répression à l’égard des femmes n’est cependant pas le seul outil de répression réactivé.

Diverses informations de groupes de droits humains rapportent que, « ces derniers jours, suite à l’abus par le gouvernement de la situation incendiaire qui règne dans la région, un certain nombre de condamnés non politiques ont été exécutés, en silence, dans diverses prisons du pays ».

Loin d’être uni derrière un sentiment nationaliste soutenant l’opération du régime contre Israël, l’Iran est confronté à une accélération des contraintes sécuritaires et de répression à l’égard de sa population.

L’objectif est double : profiter du moment pour renforcer la logique sécuritaire et déployer les forces de police afin d’éviter tout nouveau possible débordement contre le régime.

Cette situation ne fait pourtant que creuser encore plus les fractures et durcir les confrontations entre défenseurs du régime et population épuisée par une vie sans avenir.

Comme le rapportait le 16 avril le syndicat des retraités (non reconnu par le régime), « un sentiment d’exclusion, d’exclusion et d’humiliation a été créé dans la société, et le gouvernement ne s’en inquiète apparemment pas, car il s’est toujours appuyé sur le pouvoir de la répression […]. Cependant, le gouvernement n’a jamais été capable de fermer complètement la société pluraliste et il ne sera pas en mesure de la contrôler à l’avenir, ce qui en soi a amené le peuple à lutter, sous diverses formes, contre l’intensité de l’oppression et de la domination des politiques du gouvernement »

Jonathan Piron, historien, spécialiste de l’Iran.

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