Introduction,
Le 27 juillet, le Président Obama s’est inscrit dans l’histoire ; il est le premier président américain en exercice à visiter l’Éthiopie. Mais il essuie de multiples critiques pour avoir deux fois dit que l’Éthiopie a un gouvernement démocratiquement élu alors que des groupes de défense des droits humains ont déclaré que la démocratie en Éthiopie n’est qu’une imposture. Par exemple, lors des dernières élections le parti au pouvoir a raflé 100% des 547 sièges du parlement. Human Rights Watch a critiqué le gouvernement dans un récent rapport : (il a) « utilisé des arrestations arbitraires et des poursuites motivées politiquement pour faire taire des journalistes, des blogueurs, de protestataires. Il a poursuivi des membres des partis d’opposition ». Nous allons discuter avec Horace Campbell, professeur en études afro-américaines et en science politique à l’Université de Syracuse. Il a abondamment écrit à propos des politiques africaines. Son dernier article « Obama in Kenya » est accessible sur CounterPunch.org
DN Amy Goodman : (…) le Président Obama a deux fois qualifié l’Éthiopie de pays démocratique (…) Il a fait cette déclaration au cours d’une conférence de presse à Addis- Abeba aux côtés du Président et Premier ministre éthiopien, M. Hailemarian Desalegn.
Président Obama : Nous sommes très conscients de l’histoire de l’Éthiopie et des difficultés que ce pays a eu à traverser. C’est récemment que la constitution a été élaborée et que des élections ont mené à un gouvernement démocratiquement élu. Comme je l’ai dit au Kenya, il y a encore du travail à faire et je pense que M. le Premier ministre est le premier à être d’accord avec cela.
A.G. : Les groupes de défense des droits humains ont lourdement critiqué ces élections législatives en Éthiopie les qualifiant d’imposture. (…).
Au cours de sa conférence de presse M. Obama a loué la lutte de l’Éthiopie contre le groupe militant Al-Shabab, basé en Somalie.
Président Obama : Notre coopération en matière de sécurité repousse les extrémistes violents. L.’Éthiopie fait face à de sérieuses menaces. Sa contribution à la mission de l’Union africaine en Somalie a réduit le territoire contrôlé par Al-Shabab. Mais comme le Premier ministre l’a déclaré, les bombardements d’hier sur Mogadiscio nous rappellent que ce genre de groupe n’a rien à offrir sauf la mort et la destruction. Il faut les arrêter. Nous avons encore du pain sur la planche. La semaine dernière, l’armée éthiopienne a aidé à reprendre deux places fortes des Shabab. Nous devons maintenir la pression.
A.G. : Pour discuter de la signification de cette visite du Président Obama, nous nous tournons vers le professeur Horace Campbell (…).
Professeur, pouvez-vous commencer par nous parler de la signification du voyage de M. Obama en Afrique. C’est la première fois qu’un Président américain en exercice visite l’Éthiopie, soit passé au Kénya qui s’avère être le pays de naissance de son père. C’est aussi la première fois qu’un Président américain s’adresse aux membres de l’Union africaine.
H.C. : (…) Je pense qu’il s’est agit d’un voyage libérateur pour le Président. Les reportages portant sur son séjour au Kenya nous le montraient vraiment détendu. Il s’est qualifié d’Afro Américain. C’est la première fois que je l’entends dire cela. Il s’est qualifié de Kényan américain. Il dansait. Sa joie à faire ce voyage était authentique.
Mais on pouvait voir qu’il était dans une situation délicate. Elle est entachée par l’empreinte qu’ont laissée les États-Unis en Afrique de l’est, spécialement au Kenya, en Éthiopie et en Somalie avec leur « guerre contre le terrorisme ». Cela dure depuis 2001. Cette opération, dite d’anti terrorisme ou guerre contre la terreur dans laquelle les États-Unis sont impliqués, à menée à la militarisation de l’Afrique de l’est dont l’épicentre a été la guerre contre les peuples de Somalie. Maintenant ce sont ceux du Kenya qui y sont intégrés.
Le peuple kényan a appelé à la complète démilitarisation de la région. Dimanche matin, le Président Obama a rencontré des représentants de l’opposition (kényane). Ils ont appelé au retrait des troupes de leur pays du territoire somalien. Je pense que la gauche ici, dans notre pays, devrait être d’accord avec cela. Dans tous les aspects des rapports des États-Unis avec les gouvernements kényans, ougandais, somaliens, éthiopiens et sud-soudanais, survient cette affaire d’implication militaire et du contre terrorisme qui libère des forces incontrôlables.
Donc, hier matin le Président Obama s’est attablé avec l’Union africaine, avec la troïka (la Norvège, la Grande-Bretagne et les États-Unis), l’Autorité intergouvernementale pour le développement, (IGAD en Anglais. N.d.t.), avec tous les dirigeants de cette organisation, dont le ministre des Affaires extérieures du Soudan, le Premier ministre éthiopien, le Président de l’Ouganda et celui du Kenya. Tous ont été impliqués dans la militarisation de la région. Il nous faut maintenant de claires lignes de conduite, bien réfléchies pour savoir comment nous allons finir par apporter la paix dans cette région.
Je suis heureux que vous ayez souligné en ouverture, à quel point les États-Unis se sont compromis avec les dirigeants éthiopiens. Ces dirigeants sont particulièrement méprisables. Ils ont violé les droits de millions de leurs concitoyens-nes. Presque un million d’Éthiopiennes sont vendues ou envoyées comme esclaves domestiques en Arabie saoudite. C’est une répression déchainée qui caractérise les rapports du gouvernement éthiopien avec sa population. Donc, M. Obama est déjà compromis avec ces dirigeants kényans, éthiopiens, ougandais et sud-soudanais.
A.G. : Lundi, (27-07) le Président Obama parle du conflit au Sud-Soudan.
Président Obama : L’Éthiopie a été un partenaire de premier plan dans notre recherche pour résoudre la crise en cours au Sud-Soudan. Plus tard aujourd’hui, avec le Premier ministre (Kényan) nous allons rencontrer des dirigeants de la région et discuter des manières par lesquelles nous pouvons encourager le gouvernement et l’opposition sud-soudanaise à mettre fin à la violence et viser un accord de paix. La situation se détériore. La résurgence d’un autre conflit dans une région où cela dure depuis si longtemps et a fait tant de morts, exige notre attention urgente à tous incluant la communauté internationale.
A.G. : Le Premier ministre éthiopien, M. Hailemariam Desalegn, est aussi intervenu à propos de la situation au Sud-Soudan.
M. le Premier ministre H. Desalegn : Pour ce qui concerne le Sud-Soudan je ne peux pas être plus d’accord avec M. le Président (américain). Mais il faut reconnaître que ce processus a pris beaucoup de temps, une longue période de négociation. Mais la population souffre sur le terrain et nous ne pouvons pas détourner les yeux. Je pense que la rencontre que nous avons cet après-midi, est un signal fort et un message à toutes les parties sud-soudanaises…
A.G. : Professeur Campbell, qu’elle est votre réaction ?
H.C. : Nous voilà face à un gouvernement qui a empêché la sortie publique du rapport de la Commission d’enquête de l’Union africaine sur la situation au Sud-Soudan. Une des tragédies pour ce pays tient dans la manière dont les organisations internationales, les ONGs, les gens de l’entourage du Président Obama comme Gayle Smith [1]i, les membres d’Enough Project [2]ii et Susan Rice [3]iii qui ont tous été impliqués dans ce désastre depuis le début, ont agit et réagit. Il faut se sortir de la position de toujours aller de l’avant et examiner concrètement le rôle de l’Union africaine et les délibérations qui ont eu lieu dans le cadre de la Commission d’enquête de l’Union africaine sur la situation dans ce pays.
Ce rapport, qui a été livré l’an dernier, devait être présenté au sommet de l’Union africaine, en Afrique du sud en juin dernier. Les Éthiopiens ont bloqué cette présentation. Ce n’est que la semaine dernière, le 24 juillet, avant que le Président Obama ne rencontre l’Autorité intergouvernementale pour le développement, qu’il a été présenté au Conseil pour la paix et la sécurité de l’Union africaine. Il a été présenté aux ministres des affaires étrangères, pas aux chefs de gouvernements comme cela devait l’être. Son importance a donc été amoindrie. On y trouve pourtant des recommandations importantes sur la manière de démilitarisé le Sud-Soudan, en finir avec l’appui des Nations Unies, sur les ONGs et la troïka pour le traitement des factions militarisées. Le rapport soutient que le Sud-Soudan a besoin d’un gouvernement de transition, d’au moins cinq ans de paix et qu’il ne devrait pas se retrouver pris dans la fausse dichotomie des sanctions et de l’intervention militaire de l’Union africaine. Parmi toutes les personnes à table avec M. Obama hier, seul M. Nkosazana Zuma, haut dirigeant de l’Union africaine, n’a rien à se reprocher.
Nous devons avoir accès aux informations présentes dans ce rapport pour qu’elles soient débattues largement en Afrique ; c’est le résultat du travail des meilleurs cerveaux africains. Même le dirigeant des forces de gauche de l’Afrique de l’est y a participé. Il faut que nous arrivions à un plan clair de démilitarisation du Sud-Soudan. Malheureusement, le Président Obama et son entourage, Mme Smith et Susan Rice ne sont pas en position pour contribuer à ce processus.
A.G. : Professeur Campbell (…) pouvez-vous comparer la présence américaine en Afrique avec celle de la Chine ?
H.C. : C’est une comparaison très difficile à faire. Les Chinois apportent un appui très réel, très concret dans le développement des infrastructures et ils ont la capacité et les moyens financiers pour y investir. L’apport dominant des Américains et plus largement celui de l’Occident est de nature culturelle et idéologique. Il porte sur les idées : comment organiser les sociétés, sur la langue et le plus important, sur le rôle des religions et des Églises. Les Chinois ne peuvent absolument pas concurrencer les investissements des Églises occidentales et leurs institutions spécialement les Églises évangéliques, (Born again). Elles sont en train de couvrir toute l’Afrique avec la haine des relations sexuelles entre personnes de même sexe. Donc, les forces progressistes doivent travailler avec les États-Unis et les Chinois pour défendre les droits des femmes, de la jeunesse et ceux pour lequel M. Obama dit travailler, les droits des entrepreneurs. Il ne s’agit pas des droits des entreprises financières mais bien de ceux des petits entrepreneurs africains qui veulent relever les standards de vie des peuples du continent.
A.G. : Professeur Campbell, nous vous remercions de votre présence (à notre émission).