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À en croire la résolution adoptée par un comité central aux ordres, les temps présents représentent « l’épopée la plus magnifique de l’histoire de la nation chinoise sur des millénaires », « le socialisme à la chinoise [étant] entré dans une nouvelle ère » depuis 2012 (accession au pouvoir de Xi Jinping) dont la « pensée est la quintessence de la culture et de l’âme chinoises » et dont la présence au « cœur » du parti « est d’une importance décisive (…) pour promouvoir le processus historique du grand renouveau de la nation chinoise » [1].
Concentration sans précédent des pouvoirs
Xi cumule les fonctions de secrétaire général du PCC, Président de la République et président de la commission militaire centrale. Il a modifié la Constitution de façon à pouvoir rester en poste sa vie durant si telle est sa volonté. Il a imposé une équipe de direction homogène composée de membres de sa clique à l’encontre de tout fonctionnement collégial. Lors du XIXe congrès du PCC (2017), il avait modifié le mode de gouvernance du pays partagée hier entre le parti, l’administration gouvernementale et l’armée. Même si le parti, au cœur de l’État, gardait le monopole du contrôle politique, ce système assurait une certaine flexibilité à la gestion des affaires courantes dans un pays-continent. Son culte de la personnalité s’arme de tous les moyens de contrôle social que les techniques modernes autorisent — et que la Chine n’est pas seule à utiliser.
Pour éviter une telle concentration des pouvoirs par un homme, Deng Xiaoping avait mis en place un mode de désignation du bureau politique qui permettait d’y associer plusieurs fractions et générations, de façon à assurer le renouvellement des directions tous les cinq à dix ans. Ce n’est plus le cas avec Xi.
La mainmise de Xi Jinping sur le pouvoir ne s’est pas faite sans violents règlements de comptes, purges et liquidations. Elle a été accompagnée d’une campagne idéologique aux connotations féodales qui renvoie à la Chine pré-impériale. On ne saurait en effet accéder aux plus hautes fonctions sans appartenir à une grande lignée familiale, être de « sang rouge », le fils d’un « prince rouge », l’un des dirigeants historiques de la révolution chinoise. La grande majorité des cadres du parti se voient ainsi d’emblée écartée du pouvoir central.
Ce faisant, Xi Jinping s’est fait beaucoup d’ennemis qu’il n’a pas pu tous éliminer ou neutraliser dans un parti qui compte quelque 80 millions de membres. Il est condamné à une fuite en avant perpétuelle pour empêcher ses opposants de se regrouper et pour les couper de la population. Il envisagerait ainsi de recréer au XXe congrès le poste de président du parti qui avait été supprimé.
Xi, un nouveau Mao ?
Xi Jinping se compare à Mao Zedong (en mieux) et les médias valident généralement l’analogie, oubliant qu’entre le règne de l’un et de l’autre, l’histoire est passée par là, avec sa succession de révolutions et de contre-révolutions sociales ou politiques [2]. Ils appartiennent pourtant à deux époques différentes : la longue vague révolutionnaire initiée par la révolution russe de 1917 et se terminant en Asie à la fin des années 1970, et qui a eu notamment pour point d’orgue les victoires chinoise (1949) et vietnamienne (1975) ; et puis la longue vague contre-révolutionnaire, généralisée dans les années 1980, dont nous payons aujourd’hui encore le prix, avec notamment pour point d’orgue le conflit sino-vietnamien (1979) et, pour la Chine, l’écrasement des mouvements populaires en 1989 — les massacres se produisant dans de nombreuses villes du pays et pas seulement à Pékin, aux environs de la place Tienanmen.
Comme le fait remarquer Au Loongyu [3] : « Il est évident que Xi a tenté d’imiter le président Mao à bien des égards, en premier lieu pour imiter son culte personnel, à tel point que même les fans de stars de cinéma et les enfants jouant à des jeux en ligne sont désormais traités comme portant atteinte à la religion d’État de la « Pensée de Xi ». Mais la ressemblance entre les deux invoqués comme des leaders infaillibles ne va pas au-delà de ce point.
La Chine de Mao n’a jamais progressé vers le « socialisme » ou le « communisme », et sa « Révolution culturelle » a détruit la culture. Toutefois, son régime était alors définitivement anticapitaliste, voire anti-marché, au point que même les petits entrepreneurs et les propriétaires uniques étaient interdits. […] Xi est un routier capitaliste qui pourrait faire se retourner le président Mao dans sa tombe. Voici ce que dit un article du média économique Bloomberg à propos de la prétendue répression de Xi contre la classe capitaliste : « L’évidence […] suggère qu’en matière économique, Xi n’est pas Mao, dans le sens où il veut réorienter les énergies des entrepreneurs, et non les éliminer en tant que classe. […] Xi n’embrasse pas non plus pleinement l’égalitarisme de Mao. En ce qui concerne l’aide sociale, ses principaux lieutenants sont plus proches des néolibéraux que des socialistes ; à leurs yeux, l’aide aux pauvres ne fait que favoriser l’indolence. » [4]
[…] Mao était un charismatique, Xi n’est qu’un nain. L’idée et la pratique de la « révolution » de Mao contenaient de fortes doses de l’idée chinoise classique de Yixing geming, ou « une révolution dont le seul but est de remplacer une ancienne dynastie par une nouvelle ». C’est pourquoi il était obsédé par la recherche d’un pouvoir personnel absolu. Il n’en était pas moins un révolutionnaire doté d’une grande vision et d’un grand talent, et il jouissait d’une grande popularité grâce à ses réalisations. Xi, quant à lui, n’est qu’un chef de la bureaucratie d’État, sans imagination. La lecture de ses œuvres est d’un ennui torturant. Cette énorme différence de talent et de tempérament révèle également un grand écart dans leurs actions respectives. Alors que Mao était sûr que lorsqu’il a appelé les jeunes à faire une « révolution » sur son propre Parti dans la seconde moitié des années 1960, ces derniers ne se retourneraient pas contre lui. Xi n’oserait même pas tenter une telle manœuvre. L’appareil d’État est la seule force avec laquelle Xi se sent à l’aise. Les manifestations dans la rue sont la dernière chose qu’il souhaite. Avec ce contraste saisissant, toute comparaison entre la politique de Xi et la Révolution culturelle de Mao semble absurde. »
On peut utiliser le terme de clique pour désigner la direction Xi Jinping, car elle est constituée d’hommes liges. Ce n’était pas le cas de la nouvelle direction maoïste quand elle a gagné l’ascendance au sein du parti durant la Longue Marche (1934-1935). Mao en était la figure dominante, mais il a su s’entourer de fortes personnalités aux parcours politiques très variés au sein du PCC (certains s’étaient d’ailleurs préalablement opposés à lui) et à l’expérience diversifiée : Chen Yi, Chen Yun, Deng Xiaoping, Dong Biwu, Lin Biao, Liu Bocheng, Liu Shaoqi, Peng Dehuai, Zhou Enlai, Zhu De (aucune femme) [5].
Si un tel regroupement de cadres clés s’est produit, c’est qu’il répondait à un enjeu central : rompre la subordination du PCC envers Moscou – une subordination qui avait conduit au désastre en 1927 et les années suivantes. L’Internationale communiste en était devenue le canal et le culte de Staline le ciment idéologique. Au sein du PCC, la fraction Wang Ming en était l’agent. À l’origine de ce qui devint le culte de la personnalité de Mao Zedong, il y avait la volonté d’opposer une autorité de pensée et d’action chinoise face au « grand frère » soviétique. Ce culte a fini par prendre des aspects « délirants » quand, au milieu des années soixante, la direction du parti a volé en éclat et que Mao a appelé la jeunesse à se mobiliser contre ses opposants.
Facteur d’instabilité
La clique Xi Jinping ne représente qu’une fraction des classes dominantes en Chine. Son règne est fragile. On peut penser qu’il ne sera pas remis en cause tant que le niveau de vie de la population s’accroîtra, tant que les parents penseront que leurs enfants vivront mieux. Rien ne garantit cependant que le pays échappera encore longtemps à une récession. La crise immobilière atteint des sommets, avec en arrière-plan une menaçante crise générale de la dette. L’État-pilote de l’économie a réussi jusqu’à maintenant à éviter l’éclatement de la bulle de l’endettement, mais en sera-t-il toujours ainsi ?
Tout en distribuant des bons points aux citoyen.es méritants et en faisant du nationalisme de grande puissance l’un des principaux ciments du régime, le PCC mène des campagnes de répression contre des cibles parfois plus symboliques que dangereuses : les LGBTI+, des figures féministes, de prétendus traitres à la patrie qui se sont permis trop d’ironie sur les réseaux sociaux… Sous Xi, le parti est ainsi est en mode permanent de frappe préventive, afin de tuer dans l’œuf tout mouvement pour la démocratie et l’égalité. Il s’agit d’une réaction conservatrice extrême, par crainte d’une révolte plébéienne par le bas.
Le bureau politique précédent le plénum du CC l’avait annoncé, la réécriture de l’histoire officielle votée par le comité central avait un seul but : conforter la position de l’homme fort du régime : « [Elle est] nécessaire pour soutenir la position centrale du secrétaire général Xi Jinping. […] Tout le parti devrait essayer de comprendre les raisons du succès du PCC durant les cent années passées et de savoir comment il peut assurer le succès à l’avenir, en suivant le principe du matérialisme historique et à travers une perspective correcte de l’histoire du PCC. » [6]
Pour Chloé Froissart [7] : « L’enjeu est de rallier « le peuple, le Parti et l’armée » derrière le mythe national, érigé au rang de religion. La résolution s’inscrit en cela dans les efforts continus du PCC pour établir une orthodoxie qui se fonde depuis 2013 sur la dénonciation de toute interprétation alternative de l’histoire, désignée sous le label de « nihilisme historique ». »
La position de Xi Jinping ne semble cependant pas encore consolidée. Chloé Froissart note ainsi que cette résolution n’apparaît pas « accueillie avec autant d’enthousiasme que prévu au sein du Parti : elle n’a pas encore été publiée quatre jours après la fin du plénum ». De plus, bien que « la stature de Xi Jinping [soit] clairement rehaussée et singularisée, ce plénum ne fait pas de lui l’égal de Mao. Le communiqué indique que le premier secrétaire du Parti « a réalisé un nouveau saut dans la sinisation du marxisme », soulignant ainsi son ambition d’être reconnu comme l’égal du fondateur du régime sur le plan théorique. Mais sa pensée reste toujours désignée par la formule alambiquée « Pensée Xi Jinping pour un socialisme à la chinoise dans une nouvelle ère ». Le fait qu’elle n’ait pas été abrégée en « Pensée Xi Jinping » indique qu’elle n’a pas encore atteint la légitimité de la « Pensée Mao Zedong » […]. [L]’absence d’abréviation de la pensée du président et les délais dans la publication du texte final de la résolution indiquent très certainement que Xi doit encore faire face à des réticences au sommet pour imposer pleinement son pouvoir. »
Pierre Rousset
Notes
[1] Citations tirées d’une dépêche AFP.
[2] Voir Pierre Rousset, 13 novembre 2021, « La Chine, nouvel impérialisme émergé », revue l’Anticapitaliste (version longue) : https://lanticapitaliste.org/actualite/international/la-chine-nouvel-imperialisme-emerge ; sur ESSF : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article60088
[3] Au Loongyu, 22 septembre 2021, China and Xi Jinping : Reaction, not Revolution, Borderless Movements. 22 9 月, 2021 : https://borderless-hk.com/2021/09/22/reaction-not-revo ; sur ESSF : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article59635
[5] Pierre Rousset, 18 août 2008, « La Chine du XXe siècle en révolution – III – Annexe 1 : six coups de projecteur », ESSF (article 24655) : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article24655
[6] Cité par Frédéric Lemaître, le Monde, 8 novembre 2021.
[7] Chloé Froissart, 16 novembre 2021, « Parti communiste chinois : une nouvelle ère ? », The Conversation : https://theconversation.com/parti-communiste-chinois-une-nouvelle-ere-171864 ; sur ESSF (article 60187) : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article60187
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