3 novembre 2022 | tiré de mediapart.fr-https://www.mediapart.fr/journal/international/031122/en-arizona-des-negationnistes-electoraux-menacent-de-crier-victoire?utm_source=20221103&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-20221103&M_BT=733272004833]
Mesa (Arizona).– Devant un espace de coworking (cotravail) du centre-ville endormi de Mesa, samedi 29 octobre, un petit groupe de volontaires démocrates se rassemble avant de partir faire du porte-à-porte. Un grand gaillard en jeans et chemise prend la parole pour motiver les troupes. Il s’agit d’Adrian Fontes, candidataux élections de mi-mandat (« midterms »), qui se tiendront mardi 8 novembre aux États-Unis. Plusieurs sièges locaux et nationaux (parlementaires, procureur·es, gouverneur·es…) sont en jeu dans tout le pays.
L’ancien militaire se présente pour devenir secrétaire d’État (« Secretary of State ») de l’Arizona, c’est-à-dire la personne qui s’occupe de la supervision des élections et de la certification des résultats. Et qui remplace le ou la gouverneur·e quand il ou elle quitte l’État ou ne peut plus exercer ses fonctions.
Avant 2020, la campagne d’Adrian Fontes serait certainement passée inaperçue. Mais c’était sans compter son opposant, Mark Finchem, un antisémite notoire, dont la présence sur Twitter a été de nouveau autorisée par le nouveau propriétaire du réseau social, Elon Musk, par ailleurs patron de Tesla.
Ex-policier devenu élu local, membre d’une milice d’extrême droite, présent au Capitole lors de l’attaque du 6 janvier 2021, Mark Finchem est un « election denier » (« négationniste électoral »), une nouvelle espèce d’extrémistes inspirés par Donald Trump, qui affirme toujours s’être fait « voler » le résultat de la présidentielle par Joe Biden il y a deux ans.
En cas de victoire, l’homme au chapeau de cow-boy serait donc chargé de l’infrastructure électorale de cet État clé pour la présidentielle, où le démocrate Joe Biden s’est imposé d’un cheveu (moins de 11 000 voix) en 2020. Une perspective cauchemardesque pour celles et ceux qui défendent la démocratie.
Chargé en 2020 de l’organisation des élections à Maricopa County, le comté le plus peuplé de l’Arizona, qui comprend la capitale, Phoenix, et sa banlieue, Adrian Fontes a un slogan tout trouvé face à son rival sulfureux : « Protéger la République. » Rien que cela. « Les implications de cette campagne sont nationales, voire internationales, mais mon électorat est en Arizona. Mon travail, c’est de le mobiliser. Je suis focalisé sur cette mission et je laisse aux autres le soin de faire les pronostics », déclare-t-il.
Les trumpistes à l’assaut des postes de secrétaires d’État
Autrefois, les secrétaires d’État – à ne pas confondre avec les ministre des affaires étrangères, également « Secretary of State » – étaient des personnalités obscures aux pouvoirs méconnus. Avant 2020, la seule dont les habitant·es des États-Unis avaient entendu parler était Katherine Harris, en Floride. Le pays l’avait découverte lors de la procédure de recomptage des voix de la présidentielle de 2000 entre Al Gore et George W. Bush dans cet État.
Les choses ont changé en 2020, lorsque le secrétaire d’État de Géorgie, le républicain Brad Raffensperger, s’est illustré en tenant tête à Donald Trump quand l’ex-président lui a demandé de l’aider à inverser le résultat de l’élection dans cet État du sud-est du pays.
L’aile trumpiste du Parti républicain s’est aujourd’hui mis en tête de conquérir ces postes un à un, quitte à remplacer des républicain·es modéré·es, pour s’assurer que les futures élections soient « transparentes et sincères ». Même si Trump et ses allié·es n’ont apporté aucune preuve crédible qu’elles ne l’étaient pas en 2020.
Des candidat·es qui nient ou questionnent la victoire de Joe Biden sont en course dans 13 des 27 États où ces sièges sont en jeu cette année. En cas de victoire, elles et ils auraient, entre autres, le pouvoir de refuser de certifier des élections qui ne vont pas dans le sens de leur parti, de faire du lobbying contre toute loi permettant d’étendre le droit de vote, ou d’agir sur la tuyauterie électorale (nombre de bureaux, horaires d’ouverture…) pour limiter l’exercice du devoir civique.
C’est pourquoi l’Association des secrétaires d’État démocrates a investi quelque 25 millions de dollars dans des publicités de campagne pour soutenir ses candidates et candidats. Les républicains ont également levé des dizaines de millions de dollars pour financer leur effort. Du jamais-vu pour ces campagnes qui génèrent peu d’intérêt en temps normal.
Ils consomment toute la journée de fausses informations à la télévision et sur Internet.
Heath Mayo, républicain modéré
Le courant qui croit au « Big Lie », ou « Grand Mensonge », que serait la victoire de Joe Biden en 2020, est particulièrement fort en Arizona. Terre fertile pour les groupes antigouvernementaux en tout genre, le « Grand Canyon State » avait été l’un des points névralgiques du mouvement lancé pour empêcher le « vol » de la présidentielle. Des individus armés s’étaient présentés devant des bureaux de vote lors du comptage des voix. Des employé·es et des volontaires avaient été harcelé·es.
En 2021, les leaders républicains locaux avaient commandité un audit auprès d’une société de cybersécurité, Crazy Ninjas. Au bout de six mois d’enquête (et neuf millions de dollars déboursés par les contribuables), elle a trouvé que Joe Biden avait en réalité obtenu… 99 voix de plus qu’annoncé dans le comté de Maricopa et Trump, 261 de moins. Aucune irrégularité majeure n’a été constatée.
« La population de l’Arizona est plutôt âgée. Beaucoup de gens ont du temps, car ils ne travaillent pas. Ils consomment toute la journée de fausses informations à la télévision et sur Internet sans prendre de recul, car ils n’ont pas d’éducation aux médias. Malheureusement, il n’y a pas de leaders pour leur dire qu’ils se trompent », analyse Heath Mayo, fondateur de Principles First, un groupe de républicain·es modéré·es qui font campagne contre les trumpistes.
Comme ailleurs aux États-Unis, où la gestion des élections relève des États et des comtés, les procédures de vote en Arizona sont complexes et multiples, en particulier depuis le Covid. Ce qui offre aux complotistes de nombreuses occasions de manipulation. Leur cible favorite : les « drop box », des boîtes sécurisées situées pour certaines à l’extérieur de bâtiments publics, où les électeurs et électrices peuvent venir déposer leur bulletin de vote lors de la période de vote anticipé, qui dure plusieurs semaines.
Je ne sais pas si l’élection de 2020 a été volée, mais il y a eu des irrégularités. On ne va pas les laisser se reproduire.
James, un électeur républicain
Très utilisées pendant la pandémie, ces boîtes permettent de voter à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, en restant dans le confort de son véhicule. Les partisans de Donald Trump affirment toutefois qu’elles ne sont pas assez surveillées et demandent leur élimination pure et simple. Ils s’appuient sur des thèses maintes fois réfutées, propagées notamment par le documentaire 2 000 Mules, qui affirme faussement que des bulletins y ont été déposés illégalement en 2020 par des « mules ».
Cette année, plusieurs organisations dites de « sécurité électorale » ont encouragé des volontaires à surveiller ces caisses aux allures de boîtes aux lettres. En octobre, des individus masqués et armés, en tenue militaire, ont ainsi décidé de se poster près de l’une d’elles en banlieue de Phoenix, déclenchant une plainte pour « intimidation d’électeurs » qui a retenu l’attention du gouvernement américain. D’autres ont pris des photos de visages et de plaques d’immatriculation pour les poster en ligne. Mercredi, un juge fédéral, nommé par Trump, leur a interdit de le faire.
Dans le parking du tribunal pour mineur·es du comté de Maricopa, à Mesa, James et son épouse, qui ne souhaitent pas donner leur nom, sont justement occupés à surveiller l’une de ces boîtes. Leur but : filmer toute activité suspecte pour alerter la police. Ils portent une arme (ce qui est légal en Arizona), mais la dissimulent sous leurs habits. « On ne va rien faire de violent mais on veut que notre présence soit visible et que la loi soit respectée », explique James, qui indique n’appartenir à aucune organisation.
Il n’a rien constaté d’anormal pour le moment. « Je ne sais pas si l’élection de 2020 a été volée, mais il y a eu des irrégularités. On ne va pas les laisser se reproduire, dit-il. L’Arizona est un État traditionnellement conservateur. Comment a-t-il pu basculer à gauche ? C’est bizarre. » Sceptique face aux grands médias, il s’informe essentiellement auprès d’influenceurs conservateurs sur YouTube, repaire à désinformation sur l’élection de 2020.
Carton plein aux primaires
En plus de vouloir éliminer ces boîtes, le candidat Mark Finchem, qui n’a pas répondu à nos demandes de commentaire parce qu’il « donne la priorité à la presse nationale et locale », milite pour d’autres changements. En 2021, il a proposé une loi empêchant l’envoi automatique aux électeurs et électrices d’un kit de vote par correspondance. Et ce, alors que ce système très populaire est utilisé sans encombre depuis 20 ans en Arizona : 89 % des suffrages exprimés dans l’État lors des élections de 2020 l’ont été via une « drop box » ou par envoi postal.
Il veut aussi compter les votes manuellement, affirmant, là encore sans preuve, que les machines électroniques utilisées actuellement pour cette opération peuvent être truquées. Dans le système américain, où l’on se prononce pour des dizaines de candidat·es et autres questions référendaires sur un même bulletin, le comptage à la main pourrait prendre des mois.
Soutenu par Donald Trump, Mark Finchem a d’ores et déjà dit qu’il ne reconnaîtrait pas sa défaite s’il avait le moindre doute sur la sincérité de ce scrutin qui s’annonce serré. Au vu de ses posts contre Google, qui le traiterait défavorablement, ou sur le vote par correspondance, il semble préparer le terrain.
Il n’est pas le seul en Arizona, où les candidat·es trumpistes ont fait carton plein aux primaires d’août dernier. La prétendante au poste de gouverneure, Kari Lake, nouvelle star des trumpistes, est allée jusqu’à dire qu’elle n’accepterait les résultats que si elle gagnait ! En cas de victoire, elle aurait le pouvoir de ratifier toute nouvelle loi électorale adoptée par le Parlement de l’État.
Aucun des sympathisants rencontrés par Mediapart lors de ses meetings ne pense que les élections de 2020 ont été sincères. Ils évoquent pêle-mêle des listes électorales pas à jour, le vote de personnes décédées et d’immigré·es sans papiers, la manipulation des machines électorales… Leurs sources ? Les réseaux sociaux, Fox News, les médias alternatifs...
« Le système électoral ne fonctionne pas. On a besoin de personnes compétentes pour y remettre de l’ordre, assure Bert Winemiller, rencontré lors d’un meeting de Kari Lake à Phoenix, samedi 29 octobre. Qu’on ne vienne pas me dire qu’elle et Finchem sont des menaces pour la démocratie. Les deux défendent notre Constitution. »
Comme la plupart des gens dans la salle, il attendra la dernière minute pour aller voter. C’est peu surprenant. À force d’entendre leurs leaders remettre en cause le vote par correspondance, les sympathisant·es républicain·es ont pris l’habitude de se rendre aux urnes le jour des élections, plutôt que de profiter de la longue période du vote anticipé. Problème : ils et elles risquent alors de se retrouver à la merci de longues files d’attente et de problèmes logistiques.
Le discours de scepticisme face aux élections crée assurément un climat toxique. Comme ailleurs dans le pays, des responsables et des employé·es de bureaux de vote en Arizona ont démissionné ces derniers mois parce qu’ils et elles étaient la cible de menaces et d’insultes.
Même en cas de défaite, les « négationnistes du vote » n’auront pas vraiment perdu. « Leur discours mine la confiance du peuple dans les représentant·es qui sont élu·es de manière légitime, et favorise la contestation des politiques qu’ils ou elles mettent en œuvre, souligne Francisco Pedraza, professeur associé de science politique à l’université d’Arizona. On peut avoir la meilleure Constitution au monde, mais sans l’accord tacite des citoyen·nes de conférer l’autorité à leurs représentant·es, il ne saurait y avoir de confiance dans les leaders. »
Lorena Austin, une candidate démocrate rencontrée à Mesa, le résume en une formule simple : « Notre système démocratique est en jeu lors de ces midterms. »
Alexis Buisson
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