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Europe

Embargo européen sur le pétrole russe : la victoire d’Orbán

Pressé d’en finir avec les divisions, le sommet européen du 30 mai a abouti à un accord sur un embargo concernant les importations pétrolières en provenance de Russie d’ici à la fin de l’année. La Hongrie, qui menaçait d’utiliser son droit de veto, a obtenu d’en être exemptée. Ces sanctions vont surenchérir le prix du pétrole.

31 mai 2022 | tiré de mediapart.fr-20220531&M_BT=733272004833]

Parvenir à un accord était impératif. Alors que la guerre d’Ukraine dure depuis cent jours, que les destructions et les pertes humaines sont de plus en plus lourdes dans le pays, les vingt-sept membres de l’Union européenne ne pouvaient continuer à faire étalage de leurs divisions. « Les querelles en Europe doivent cesser. Il faut approuver les sanctions », avait pressé le président ukrainien Volodymyr Zelensky à l’ouverture du sommet européen à Bruxelles, le 30 mai. Dans la nuit, les vingt-sept dirigeantes et dirigeants européens ont abouti à un accord sur le sixième paquet de sanctions contre la Russie discuté depuis un mois.

Mais c’est un accord à trous. L’Europe adopte un embargo partiel sur les achats de pétrole et de produits pétroliers en provenance de Russie. Toutes les cargaisons pétrolières assurées par mer vont être proscrites d’ici à la fin de l’année. Les livraisons russes assurées par gazoduc à destination de la Hongrie, de la Slovaquie et de la République tchèque seront en revanche maintenues. Au moins momentanément.

Cet embargo « concerne immédiatement plus des deux tiers des importations pétrolières russes, supprimant une source importante de financement de sa machine de guerre. Pression maximale sur la Russie pour arrêter la guerre », s’est félicité le président du Conseil européen, Charles Michel, dans un tweet annonçant la signature de l’accord. Avant la guerre en Ukraine, la Russie assurait près de 50 % des importations pétrolières de l’Europe.

Assumant sans fléchir le rôle de « bête noire » dans le clan européen, le premier ministre hongrois Viktor Orbán a applaudi lui aussi cet accord, qu’il menaçait de faire capoter en utilisant son droit de veto : les termes lui conviennent parfaitement. « La Hongrie est exemptée de l’embargo pétrolier. L’essence restera à 480 forints [1,22 euro] », s’est-il empressé de faire savoir.

Certains dans les rangs européens n’hésitent pas à parler de capitulation de l’UE face au président hongrois afin de lui arracher un feu vert. « Si vous regardez toute l’affaire depuis un mois, il a obtenu beaucoup et tenu tout le monde en otage », a confié un diplomate européen à Politico.

Les chantages d’Orbán

Dès que la possibilité d’un embargo sur les hydrocarbures importés de Russie en Europe a été évoquée, Viktor Orbán a fait connaître son opposition au projet : la Hongrie dépend à 80 % du pétrole russe acheminé par l’oléoduc Droujba (« l’oléoduc de l’amitié »), héritage de l’ancien Comecom (Conseil d’assistance économique mutuelle) communiste qui desservait l’Europe centrale, la Pologne et l’est de l’Allemagne. Toutes ses raffineries et ses moyens de production sont réglés à partir des qualités des pétroles de l’Oural.

Pays enclavé, il n’a aucune possibilité immédiate de trouver d’autres moyens de substitution. Selon les estimations du gouvernement hongrois, 800 millions d’euros au moins d’investissements sont nécessaires pour adapter son outil de raffinage. La Hongrie chiffre à plus de 18 milliards d’euros les besoins de financement pour sortir des énergies fossiles. Alors que la Hongrie, en conflit avec la Commission européenne sur la question du respect de l’État de droit (liberté de la presse, liberté de la justice, droits des femmes et des LGBT, droit d’asile, prédominance du droit européen sur le droit hongrois), a vu geler les 7,2 milliards d’euros de crédits alloués dans le cadre du plan de relance européen, Viktor Orbán a fait de cette question un des points centraux pour lever son veto sur le sixième paquet de sanctions européennes.

Dans son bras de fer avec la Commission européenne, il a trouvé l’appui de la République tchèque et de la Slovaquie, dont les économies dépendent elles aussi quasi exclusivement du pétrole russe.

En face, la Pologne et les pays Baltes, qui réclament un embargo européen total sur le pétrole et le gaz russes depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, étaient fermement opposés à toute exemption. De façon plus discrète, certains membres de l’Union, emmenés notamment par les Pays-Bas, s’opposaient aussi à tout principe d’exemption, au nom de l’intégrité des règles du marché unique européen.

Permettre à certains pays de s’approvisionner auprès de la Russie risquait, selon eux, d’entraîner une distorsion de concurrence : la Russie, qui a accepté de consentir d’importants rabais pour écouler son pétrole, le vend à 93 dollars le baril quand le cours du brent est à plus de 120 dollars le baril. Certaines raffineries hongroises ont déjà avoué avoir fait des profits record ces trois derniers mois, en réexportant dans le reste de l’Europe les produits de raffinage fabriqués à partir du brut russe.

Exemptions en série

Finalement, un compromis a été trouvé, permettant à l’Europe d’afficher un front uni face à la Russie, et au passage de conforter les positions du président du Conseil européen, Charles Michel, et de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ébranlées par les divisions internes des États membres. La Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie pourront continuer à importer du pétrole russe, distribué par oléoduc. La Hongrie a obtenu en outre l’assurance qu’en cas d’interruption des arrivages par oléoduc, elle pourrait importer du pétrole russe à partir des ports de l’Adriatique, qui serait par la suite transporté par l’oléoduc transitant par la Croatie. Mais toutes ces importations doivent être exclusivement réservées à la consommation de chaque pays, toutes les réexportations sont interdites.

Tous les autres pays s’engagent à ne plus acheter de pétrole russe d’ici à la fin de l’année. La Pologne et l’Allemagne ont confirmé en plus qu’elles n’auraient plus recours aux approvisionnements pétroliers russes acheminés par l’oléoduc Droujba.

De nombreux détails de cet accord restent encore à préciser, notamment sur le respect des règles liées au marché unique. Interrogée sur la durée de ces exemptions, Ursula von der Leyen a admis que les pays européens « devraient revenir sur le dossier ». Elle est favorable à leur suppression « aussi vite que possible ». Ce qui laisse une certaine marge d’appréciation. Un silence total entoure la deuxième demande de la Hongrie : la fin du gel des crédits prévus dans le cadre du plan de relance européen. Officiellement, la question ne semble pas avoir été débattue.

La contestation de la Hongrie a permis à nombre de pays de s’engouffrer dans la brèche. La Grèce, Malte et Chypre, qui protestaient contre l’interdiction d’accueillir dans leurs ports des bateaux russes à destination de pays tiers, ont obtenu que cette mesure ne soit plus inscrite dans le sixième paquet de sanctions. De même Chypre a obtenu que l’interdiction de tout achat immobilier par les résidents russes, qui était également prévue dans le cadre des sanctions, soit supprimée.

Un baril à 150 dollars ?

Outre l’embargo sur les achats pétroliers, les États membres se sont entendus pour exclure du système Swift (cette messagerie par laquelle transitent toutes les opérations interbancaires) plusieurs nouveaux établissements bancaires russes, dont la Sberbank, la principale banque russe. Ils ont aussi décidé de renforcer l’embargo sur certains services et sur les exportations de produits chimiques. Trois télévisions russes ont été interdites de diffusion sur le continent. Enfin, la liste des personnes sanctionnées s’allonge, incluant les responsables liés aux massacres en Ukraine et le patriarche Cyrille de l’Église orthodoxe russe.

Selon les estimations de la Commission européenne, l’embargo européen sur le pétrole russe priverait la Russie de quelque 300 millions de dollars par jour. Les effets de cette sanction sont toutefois à relativiser. Car la baisse des volumes des exportations russes est largement compensée par la hausse des prix. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les cours du pétrole ont été quasiment multipliés par deux. Les rabais – de l’ordre de 30 % – que la Russie consent aux pays de l’Asie, l’Inde notamment, pour écouler sa production sont largement compensés par l’envolée des prix. Et les tensions sur le marché pétrolier ne sont pas près de disparaître.

Est-ce en raison de difficultés techniques ou commerciales, ou par stratégie ? La Russie a largement réduit sa production pétrolière ces dernières semaines. Alors qu’elle produisait environ 10 millions de barils par jour à la fin de 2021, elle n’en produit plus que 6,7 millions. Cette baisse commence à se faire largement sentir sur les marchés pétroliers, d’autant que les autres pays membres de l’Opep, à commencer par l’Arabie saoudite, se refusent à augmenter leur production. Alors que l’Europe va devoir trouver d’autres sources d’approvisionnement, en dehors de la Russie, les marchés anticipent une nouvelle flambée des prix. Certains traders évoquent un prix de 150 dollars le baril à l’été. Après l’annonce de l’embargo européen, le cours du baril a déjà gagné près de 2 %, pour s’établir à 124 dollars.

Même s’ils n’en ont officiellement pas fait état lors du sommet, les conséquences économiques de ce choc énergétique commencent à sérieusement inquiéter les dirigeants européens. L’inflation, en raison de la flambée des prix de l’énergie, est à 8,1 % en mai dans la zone euro. L’activité économique stagne et parfois même chute. L’ombre de la récession plane sur toute l’Europe.

Discorde européenne sur le gaz russe

Cela n’empêche pas la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, d’évoquer dès la sortie du sommet lundi soir un septième paquet de sanctions, incluant cette fois un embargo sur le gaz russe. Les discussions entre les États membres risquent d’être encore plus ardues. Car les positions sont encore plus dispersées et les intérêts en jeu encore plus élevés.

La Pologne, la Finlande, la Bulgarie et, depuis ce 31 mai les Pays-Bas et le Danemark, ont arrêté tous leurs achats gaziers en Russie, refusant, comme le demandait la Commission européenne, de se plier aux exigences de Moscou de payer leurs achats en roubles, avant de contourner les sanctions occidentales. Mais d’autres pays ont décidé de passer outre les mises en garde européennes et ont autorisé leurs compagnies à ouvrir des comptes auprès de Gazprombank, bras armé financier de Gazprom qui assure la centralisation des règlements et la conversion entre les devises étrangères et le rouble.

Ces derniers jours, pas moins de dix grands groupes européens ont ouvert des comptes en roubles, dont les Allemands RWE, VNG et Uniper, le français Engie et l’italien Eni. Déterminés à remplir au plus vite des capacités de stockage qui ne sont même pas à 40 % en prévision d’un hiver qui s’annonce terrible, tous achètent à tour de bras. Chaque jour, ils versent plus d’un milliard d’euros à la Russie.

Anticipant les obstacles à venir, le premier ministre néerlandais Mark Rutte a demandé un changement de méthode dans les négociations sur le septième paquet de sanctions. Pour lui, toutes les questions techniques au sens large doivent être débattues et tranchées avant d’annoncer un accord politique.

La question risque de dépasser largement ce cadre. Car au fur et à mesure que la guerre en Ukraine se prolonge, le débat sur l’efficacité de la riposte du bloc atlantique ne peut que s’intensifier. En dépit de sanctions très dures, Américains et Européens n’ont pas réussi, pour l’instant, à isoler la Russie et à « provoquer l’effondrement de son économie », pour reprendre l’expression du ministre des finances Bruno Le Maire, afin de contraindre Vladimir Poutine à mettre fin à son invasion. L’offensive russe en Ukraine s’intensifie, les perspectives de paix sont plus minces que jamais. Moscou a trouvé d’autres relais dans le monde qui lui permettent de limiter l’effet des sanctions, même s’il reste important. Mais le prix de celles-ci devient exorbitant pour les populations européennes, sans pour autant sauver l’Ukraine.

Martine Orange

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