LES CANDIDATS,
Les deux candidats se présentent avec un bagage personnel antérieur et des alliances qui ne font pas l’unanimité dans la population, loin s’en faut. Les deux font peur à certaines portions de la population bien différentes et pour des raisons bien différentes également.
Ollanta Humala, 48 ans, est arrivé en tête du premier tour avec 31,7% des voix exprimées. Il est un ancien officier de l’armée qui a mené une révolte dans les rangs en 2000. Il s’était déjà présenté à la présidence en 2006 sans succès.
À l’époque, son programme était ouvertement à gauche en référence directe aux positions du président Chavez du Venezuela. Il distribuait des tee-shirts rouges à ses supporteurs, fustigeait les Etats-Unis et les compagnies internationales établies sur le territoire. Il promettait un programme de nationalisation des industries du secteur des énergies.
Cette année, après avoir embauché un conseiller politique brésilien lié au Parti des Travailleurs de ce pays, il a considérablement modifié son programme et son approche. Il prend ses distances avec le modèle chavézien disant qu’il n’est pas applicable au Pérou et, que s’il est élu, le Pérou n’adhèrera pas l’Alliance bolivarienne des Amériques (ALBA). Il ne parle plus de nationalisations. Il appelle les Etats-Unis un pays frère avec lequel il faut travailler main dans la main. Il veut même renforcer le plan de lutte anti-drogue américain alors que le Venezuela et la Bolivie s’en sont débarrassés. Son programme annonce toutefois, une hausse des taxes pour les compagnies minières pour financer des initiatives en faveur des populations pauvres des montagnes et de la zone amazonienne, la Selva.
Son virage tient au fait qu’il doit absolument, pour vaincre son adversaire, gagner les votes de la classe moyenne qui vit dans les villes dont la capitale Lima. Elle profite d’un certain boom économique et ne veut pas de retour en arrière. Les populations pauvres dans les montagnes et la jungle aussi bien que dans les villes constituent toutefois sa base traditionnelle. Encore cette année, ses assemblées dans ces milieux attirent une grande audience. Il est perçu comme le candidat des pauvres et des laissés pour compte de la croissance. Ils et elles ont voté en masse et ce ne sont pas les ignorants qui ont voté, mais bien les ignorés. Une majorité de ses supporters sont des amérindiens. Le candidat bénéficie de l’aura de son père, Isaac Humala, un avocat qui a soutenu une position nationaliste appelant à la suprématie des « peaux cuivrées » au Pérou. Le fils se distance explicitement de son père en ce moment parlant d’un nationalisme qui doit consolider la nation péruvienne.
Par ailleurs, une bonne partie de la croissance est attribuable à des compagnies brésiliennes. Elles sont des investisseurs majeurs dans les mines, l’industrie de l’acier, les projets hydro-électriques et la construction de la nouvelle route interocéanique qui reliera l’ouest du Brésil à la côte pacifique du Pérou. Selon la Chambre de Commerce Pérou-Brésil, les investissements brésiliens pourraient se chiffrer à plus de trente milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.
Mme Keiko Fudjimori, 35 ans, est la fille de l’ancien dictateur Alberto Fudjimori actuellement incarcéré suite à une sentence de 25 ans pour atteinte aux droits humains. Il été trouvé coupable de la création d’une escouade de la mort qui a tué 25 personnes dont un bambin de 8 ans, de la supervision du kidnapping de Samuel Dyer un homme d’affaire et de celui de Gustavo Gorriti un éminent journaliste. Sa mère avait déjà poursuivi son mari pour commission par des tiers (militaires) d’actes de torture sur sa personne.
Keiko Fudjimori a bénéficié de 23,6% des voix au premier tour. Il semble que ces votes soient en bonne partie, ceux des nostalgiques de son père. On le crédite de l’élimination du Sentier Lumineux et de la paix civile qui en est résulté. L’arrivée de la croissance économique serait en lien avec cette nouvelle situation paisible.
Mme Fudjimori soutient que son père a été condamné à tort et qu’advenant son élection elle soutiendrait un nouveau procès en appel. Cette déclaration qui venait atténuer une précédente où elle disait qu’elle accorderait un pardon officiel à son père, a fait sursauter les juges du pays. Elle soutient que les excès qui ont été commis durant ses mandats sont le fait de certains membres de ses gouvernements, sans son accord. Elle offre comme réplique à ceux et celles qui ont peur d’un nouveau gouvernement autoritaire, le fait qu’elle ait embauché comme conseiller en matière de loi et ordre, M. Rudolph Giuliani ancien maire de New-York.
Elle bénéficierait en ce moment, des bons offices de l’ex-dictateur qui mènerait une campagne active en sa faveur depuis sa prison faisant agir ses propres supporters.
Les adversaires de Mme Fudjimori soutiennent aussi qu’elle a pu faire ses études universitaires aux État Unis aux frais des contribuables. Ce qu’elle nie.
LES APPUIS ET LES ENJEUX,
Il semble bien que peu d’observateurs s’attendaient au résultat du premier tour. Le deuxième tour devait se faire avec l’un ou l’autre des actuels gagnants et celui un peu moins controversé qui est arrivé en troisième place.
Mais, il est arrivé que, comme mentionné plus avant, les classes populaires ont voté en masse dont six millions de jeunes âgéEs entre 18 et 29 ans. Ce n’est que depuis 1979 que la Constitution péruvienne autorise le vote des illettrés. Ils et elles sont nombreux-euses dans ces couches de la population. Une bonne partie de ces votes sont allés à M. Humala.
Ceux à qui ce candidat fait une peur bleue, ont partagé leur vote entre Mme Fudjimori et le candidat centriste finalement défait. Et elle a aussi bénéficié des votes des inconditionnels de son père.
Actuellement, alors que beaucoup d’électeurs-trices sont rebutés par l’un et l’autre candidat, une partie des représentants de la classe dominante et moyenne supérieure tentent par tous les moyens d’empêcher l’élection de M. Humala. Malgré la temporisation de son programme, il est perçu comme le danger absolu par beaucoup. Une campagne de peur a été lancée dès le 11 avril passé. Le Monde Diplomatique de ce mois-ci, rapporte en page 2, des manœuvres dans la presse pour favoriser l’un ou l’autre candidat au-delà de l’objectivité. Des journalistes ont été licenciés pour avoir soutenu M. Humala et non Mme Fudjimori. En fait, la presse dominante a monté un réel barrage contre M. Humala.
Craignant un retour de gouvernement autoritaire et de la corruption généralisée de l’époque Fudjimori, le récipiendaire du prix Nobel de littérature 2010, M. Vargas LLosa, a déclaré son soutien à M. Humala sans enthousiasme et avec crainte, dit-il. L’archevêque de Lima, Mgr Juan Luis Cipriani a aussitôt vertement contredit M. Llosa, l’intellectuel le plus éminent du pays, ex-candidat à la présidence et dont les idées sont ouvertement du côté du libéralisme.
La BBC rapportait que jusqu’à 40% des électeurs-trices n’avaient pas l’intention de voter étant donné ce choix jugé rebutant pour eux. M. Steven Levitsky, professeur de Harvard enseignant à Lima cette année juge que du point de vue de la démocratie libérale, le choix est effectivement cornélien : « que M. Humala veuille procéder à des changements radicaux ou non, il est plus vulnérable aux pressions des segments de la société qui s’opposent à lui que Mme. Fudjimori. Elle a plus de support de la part de médias, de monde politique et des affaires ». Mais il ajoute qu’il se peut bien que M. Humala, advenant sa victoire, gouverne plus modérément qu’attendu comme cela s’est produit avec M. Fernando Lugo du Paraguay. Une fois au pouvoir, il s’est beaucoup modéré. Le Paraguay est un autre pays d’Amérique Latine où le Brésil exerce une certaine influence.
CONCLUSION,
Cette élection est la plus serrée advenue en Amérique Latine depuis des années. Le Pérou est l’un des pays le plus à droite de ce continent. La lutte est assez claire entre la droite traditionnelle avec des ajouts nouveaux venant du développement économique récent et une base plus populaire qui cherche à s’introduire dans la vie politique officielle du pays, à en devenir un acteur reconnu.
L’époque Fudjimori a laissé des traces indélébiles positives pour un certain establishment de droite mais très négative pour une grande majorité de la population. L’arrêt des règles démocratiques de gouvernement au nom de la lutte contre la rébellion marxiste n’a jamais fait l’unanimité. Des populations terrorisées par les massacres sous soupçon d’appui au Sentier Lumineux, se souviennent de cette politique et ne veulent pas la voir revenir.
La division la plus profonde et la plus ancienne du pays se trouve toutefois entre la population d’origine européenne et les amérindiens (Indigenos). Traditionnellement distribuées entre les villes et les lointaines campagnes de la montagne ou de la selva, elles sont aujourd’hui beaucoup plus mêlées dans les villes, l’extrême pauvreté ayant poussé ceux des campagnes hors de chez-eux. Les indigènes péruviens ne constituent pas la majorité comme en Bolivie, mais ils forment un bloc discriminé et rejeté par la majorité blanche. Ils mènent des luttes exemplaires depuis de nombreuses années. Les candidats doivent les prendre en compte. M. Humala aurait là un petit avantage.
Faire sortir le vote sera un enjeu de taille dans cette bataille, et fera sans doute la différence dans le résultat final.