Une Kolossale plaisanterie a secoué le monde la semaine dernière. L’auteur : Donald Trump comme il se doit. Devant la possibilité de se retrouver directement mis en cause par procureur spécial chargé d’enquêter sur ses liens avec la Russie pendant la campagne électorale, Trump, en un tweet forcément, a brandi l’idée qu’il pourrait s’autogrâcier. Une sorte d’aveu de culpabilité penseraient les mauvais esprits.
Le rire est vite devenu jaune. Il est capable d’utiliser le droit de grâce présidentielle pour lui-même. Que se passerait-il dans ce cas ? Personne ne peut répondre à cette question. L’auto-grâce d’un président en exercice représente la pointe avancée d’un iceberg menaçant : la tendance générale à des formes de dictature. Les gouvernants semblent se situer au-dessus des lois en piétinant allègrement les libertés démocratiques. Trump n’est pas seul, il est plutôt bien entouré. Regardons autour de nous.
Les gouvernements des pays d’Europe de l’Est en font la démonstration tous les jours. Mais c’est surtout l’Italie qui raconte notre avenir. On parle de « populisme » pour unir dans une même enveloppe le mouvement 5 étoiles et la Ligue ex du Nord comme bien d’autres mouvements politiques. Ce qualificatif non défini cache une réalité plus prosaïque et plus tragique : les développements d’une forme de fascisme. Pas celle des années 1930 bien sur. Ce fascisme là s’habille des guenilles de la démocratie, démocratie qui subit une crise politique profonde qui se traduit par la montée inexorable de l’abstention.
La démocratie repose sur des mythes, celui inscrit au fronton des mairies : Liberté, Égalité, Fraternité. Le capitalisme ne s’est fixé comme but la liberté, l’égalité et la fraternité. Mais – et ce mais est essentiel – les populations y croyaient. Les politiques sociales mises en place après la deuxième guerre mondiale et l’existence de contre pouvoirs syndicaux comme politiques donnaient un contenu à ces mythes. La cohésion sociale s’appuyait sur l’élargissement de la protection sociale permettant de réduire les inégalités et du droit du travail, protecteur du salarié face à la puissance économique du patron.
Les années 1980, années de victoire du libéralisme, vont saper cette croyance dans la réalité des mythes. Effritée dans un premier temps, elle a sombré ces dernières années.
Le système inégalitaire, conséquence des politiques économiques et d’entreprise, a creusé du mythe de l’Egalité. Comment y croire désormais ?
La liberté ? Tous les gouvernements font assaut de lois liberticides sous prétexte de lutter contre le terrorisme. La surveillance s’étend grâce à la mise en œuvre de la nouvelle révolution scientifique et technique, la police éduque les jeunes, en les mettant en garde à vue sous des prétextes divers, dans la peur pour éviter toute explosion sociale et le ministre de l’intérieur en France poursuit inlassablement la chasse aux perturbateurs anarchistes, « gauchistes » en laissant le champ libre à l’extrême droite. Cette politique violente provoque des réponses violentes, signe de la faillite des mythes de la démocratie.
Violences qui s’alimentent aussi de la difficulté des organisations syndicales à construire des réponses, à jouer leur rôle de contre pouvoirs. Un débat agite le macronisme. Faut-il abandonner le social-libéralisme ? Détruire les corps intermédiaires que sont les organisations syndicales ? Philippe Alghion, professeur d’économie au Collège de France, défend le social libéralisme, la protection de l’individu face aux conséquences néfastes d’une politique libérale. Raymond Soubie, conseiller « social » de tous les gouvernements depuis Chirac, plaide pour la sauvegarde des organisations syndicales pour jouer sur les oppositions entre elles.
Les organisations politiques de gauche sont moribondes et ont besoin d’une refondation de la cave au grenier. Lorsque la gauche au pouvoir adopte les dogmes du libéralisme, elle sape ses propres fondations et meurt d’une mort lamentable. En France, la droite est démunie face à un gouvernement qui a inscrit dans la loi, l’essentiel de l’état d’urgence. Comment s’emparer du thème de la sécurité sinon en se rendant ridicule ? Il ne reste plus que l’identité, thème cher à l’extrême droite.
Cet ensemble marque des ruptures avec même la démocratie parlementaire. Est en train de se dégager un chemin vers une forme d’Etat autoritaire, répressif.
Beaucoup de commentateurs – à commencer par l’inénarrable Alain Duhamel – ont fait l’éloge des institutions de la Ve République qui éviteraient le scénario à l’italienne. Illusions d’optique. Le scénario est en train de s’appliquer avec une apparence différente. Croit-on que le RN – qui a succédé au FN – a perdu son électorat ? Qu’il a disparu du paysage politique ? Que ses thèmes ont reculé ?
Croit-on surtout que la colère sourde qui agite les profondeurs de nos sociétés n’éclatera pas ? Et pas dans un sens progressiste, émancipateur.
Ce qui nous amène à la fraternité. Une grande partie de la société française reste attachée – jusqu’à présent – à la solidarité, aux règles de l’hospitalité même au prix de condamnations. Mais les gouvernements, à commencer par le nôtre, tournent le dos à ces nécessités du vivre ensemble. Gérard Collomb s’est fendu lui aussi d’une Kolossale plaisanterie à hauteur trumpienne sur les immigrés qui feraient du « benchmarking » – une comparaison – entre les systèmes sociaux des différents pays européens pour choisir leur pays d’accueil, façon de les rejeter en alimentant toute la thématique de l’extrême droite.
Comment croire encore à la fraternité ?
Les migrants deviennent ainsi révélateurs de la crise de la démocratie en même temps que la barbarie des dirigeants du monde.
La « crise des migrants » est une invention. Les migrations sont une conséquence des guerres – et elles ne sont pas « froides » -, des tueries de masse, des disettes, des famines elles-mêmes le résultat d’un système mondialisé qui balaie les cultures vivrières et appauvrit la terre, des crises financières qui touchent d’abord les moins protégés, de la crise écologique et des mutations climatiques.
Il serait temps de s’interroger sur les modalités meurtrières d’un capitalisme à bout de souffle et de sa barbarie…
Nicolas Béniès
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