Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

La crise des Etats-Unis, centre de la multipolarité impérialiste.

Commentant l’alignement géopolitique qui semble vouloir s’affirmer au moment présent, que le sommet des « BRICS+ » à Kazan (en Russie) a, depuis, confirmé, et le tableau de guerre mondiale dont il dessine le spectre, entre un bloc de tyrannies eurasiatiques et les vieilles démocraties capitalistes vermoulues, j’écrivais, le 18 octobre dernier :

« Le facteur conjoncturel, mais capital, qui attise les faits guerriers immédiats, ce sont les présidentielles nord-américaines. Cette relation est réciproque : les tensions en mer de Chine et en Corée, les reculs ukrainiens dans le Donbass, et la guerre engagée au Liban par le gouvernement et l’armée israéliens, sont autant de facteurs qui jouent en faveur de Trump. »

29 octobre 2024 | tiré du site d’aplutsoc | Photo illustrant cet article : image du film Civil War, de Alex Garland, avril 2024.

Géopolitique mondiale et géopolitique américaine.

Or, il y a aussi une « géopolitique » électorale étatsunienne. Beaucoup de médias parlent maintenant ouvertement du spectre de la guerre civile aux Etats-Unis. Le scrutin présidentiel s’y joue dans 7 Etats, les swing states – Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie, Caroline du Nord, Géorgie, Nevada, Arizona. La constitution américaine veut que le résultat ne provienne pas du total national des bulletins, mais du nombre de grands électeurs par Etats. Les jeux sont faits un peu partout, sauf dans ces 7 Etats qui forment une sorte de ligne de front, lignes qui, parfois, les découpent eux-mêmes entre comtés.

Hors de ces 7 Etats qui totalisent 93 grands électeurs, Trump peut tabler sur 219 de ceux-ci et Harris sur 226. En simplifiant, on peut les grouper en 3 catégories.

Le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, au Nord-Est, sont des contrées industrielles sinistrées, dans lesquelles le charcutage électoral (au Wisconsin notamment) favorise les Républicains, ce qui ne joue plus pour les présidentielles, sauf dans la mesure où les pouvoirs locaux font pression contre le vote des couches les plus pauvres et les moins blanches de la population. La mobilisation de la nouvelle direction syndicale de l’United Automobile Workers, contre Trump et pour Harris, peut peser dans ces régions, ainsi que la candidature à la vice-présidence du gouverneur du Minnesota Tim Walz, présenté comme « ami des syndicats ».

La Caroline du Nord et la Géorgie sont des Etats « sudistes » dans lesquels la polarisation est violente entre les campagnes évangélistes et racistes et les centres urbains.

Le Nevada et l’Arizona voient une confrontation politique entre « ruraux » blancs et groupes tournés vers la Californie démocrate et libérale, avec les latinos « intégrés » partagés, face aux immigrants illégaux et discriminés.

Trois lignes de front, donc : celle de la « vieille » classe ouvrière au Nord, de la frange Nord des confédérés de la guerre de Sécession au Sud, du far West capitaliste sauvage à la fois vivifié et perturbé par le flux migratoire latinos (hispanophone mais en même temps, il ne faut pas l’oublier, amérindien), à l’Ouest.

En dehors des Etats de la ligne de front – appelons-les ainsi, ce sera plus parlant que swing states – le reste du pays forme maintenant de vastes ensembles hostiles qui auront le sentiment de s’être fait voler l’élection dans ces zones disputées. Mais le sentiment va différer entre la base trumpiste et la base sociale qui, par adhésion mais surtout par réflexe de défense, va voter Harris.

Pour cette base sociale là ce sera un sentiment démocratique. En effet, il est fort probable que, comme déjà en 2016, Trump ne sera pas en tête en nombre de voix, mais en nombre de grands électeurs. En soi, ce fait ne choque pas, pour des raisons historiques, aux Etats-Unis, république fédérale. Mais là, il risque d’énerver, traduisant le fait que la constitution américaine, ce chef-d’œuvre de déséquilibre dynamique fait pour gouverner un Etat en expansion permanente, arrive aujourd’hui à bout de souffle. Une autre revendication démocratique vise la Cour suprême, dont les juges nommés à vie sont aujourd’hui une brochette de parfaits obscurantistes. Elire le président sur la base du vote populaire de base, et limiter à quelques années le mandat des juges de la Cour suprême : ces deux revendications démocratiques ont l’air de pas grand-chose, mais leur montée progressive dans les consciences ouvre la voie à la remise en cause de tout l’ordre établi.

Pour la base trumpiste, il est entendu que c’est par trucage que Trump a perdu en 2020 et que ce ne peut être que par trucage, falsification ou « vote des étrangers », qu’il pourrait ne pas gagner. Au demeurant, il est aussi entendu de plus en plus ouvertement qu’il devrait être président même s’il perdait, car peu importe : il est le Sauveur et le camp d’en face est celui du Mal, contre lequel tout est permis. Le sentiment protestataire de la base trumpiste n’est pas démocratique, même s’il peut véhiculer des frustrations provenant des limites de cette « démocratie » capitaliste, médiatique et oligarchique.

Guerres, révolutions, guerres-révolutions.

Réfléchir sur les pires potentialités ne veut pas dire les prédire. Oui, la dernière période a vu un alignement stratégique dessiner clairement des coalitions possibles en cas de guerre, et nul doute que les états-majors militaires planchent sur les scenarii qui en découlent. Notons que dans ces alignements, on a des éléments instables, comme l’Inde, BRICS alliés des Etats-Unis et de la Russie et hostile à la Chine.

Surtout, les révolutions, insurrections et luttes sociales sont le facteur clef, déterminant en dernière analyse, que les géopoliticiens sont fonctionnellement incapables d’incorporer à leurs analyses. Cela dit, attention : quand je dis que ce facteur, la lutte des classes et les aspirations des exploités et opprimés, est déterminant en dernière instance, cela ne veut pas dire qu’il peut forcément empêcher les guerres globales, auxquelles conduisent les contradictions du capitalisme. Il aurait pu l’empêcher en 1914 et ne l’a pas fait, ce qui fut une grande défaite. Dès fin 1936 il ne pouvait plus empêcher la seconde guerre mondiale.

Mais l’ouverture des guerres ne met pas fin à ce facteur, bien au contraire. Il se mêle à la guerre. Lénine parlait de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, Trotsky de politique militaire du prolétariat, et, à contretemps, un trotskyste en dérive, Pablo, de guerres-révolutions et de révolutions-guerres : même si, dans ce dernier cas, la perspective était dangereuse car campiste, l’idée correspondait à notre époque, car c’est toujours et plus encore notre époque, à condition de faire du prolétariat, l’immense majorité, le sujet social de la révolution, et donc de la guerre-révolution.

C’est ce que nous voyons en Ukraine, à échelle de masse depuis 2022 (mais cela y avait commencé avant). En Palestine, la confiscation de la résistance nationale palestinienne par des appareils ultra-réactionnaires bloque cette possibilité, pour l’instant : ce sont en fait les formes d’organisation populaire à Irbid en Jordanie, en 1971, il y a déjà longtemps, et lors de la participation de secteurs palestiniens à la révolution syrienne, plus récemment, qui ont marqué ce dont la nation palestinienne elle aussi est capable.

Expliciter l’impensé.

Tout cela précisé, nous pouvons tenter d’envisager la manière dont les deux spectres de la guerre, celui de la guerre mondiale et celui de la guerre civile américaine, se combinent aujourd’hui. C’est là penser ce qui est généralement impensé, sinon dans des fictions (le film Civil War), mais il est nécessaire de le faire, non pour des prédictions à la Cassandre, mais pour saisir les tendances profondes et agir sur elles, voire contre elles.

Le point déterminant à comprendre, c’est qu’on ne doit pas séparer, surtout s’agissant de la première puissance impérialiste, les contradictions nationales des contradictions internationales. Ceci aide aussi à ne pas entrer dans une vision de cauchemar répétant simplement les césures de la guerre de Sécession : oui, c’est bien elle qui n’a pas été digérée, mais notre rapide parcours des Etats de la ligne de front a aussi montré que la géographie de la menace américaine interne aujourd’hui n’est pas exactement la même que celle de 1861.

Donc, si nous combinons la réflexion hypothétique sur le danger mondial et la réflexion hypothétique sur le danger américain intérieur, il apparaît que les contradictions mondiales de la multipolarité impérialiste se concentrent aux Etats-Unis. La « suprématie » américaine se manifeste aujourd’hui de cette manière-là.

L’image du premier violon et ses limites.

Et non pas comme la simple domination unilatérale d’un unique impérialisme plus puissant que tous les autres : cette unilatéralité-là a tenté de dessiner le monde, d’abord dans les années 1990, puis surtout dans les années 2001-2008, les années de Bush junior, de la seconde guerre du golfe, et de la combustion effrénée des hydrocarbures – des années catastrophiques pour l’humanité, ouvertes par les attentats d’al-Qaïda. Et ce fut un échec pour l’impérialisme américain.

J’ai, plusieurs fois, usé d’une métaphore consistant à dire qu’il n’est plus chef d’orchestre, mais premier violon. Il est passé du rang de chef d’orchestre à celui de premier violon par les paliers de la crise des subprimes, de la renonciation d’Obama à intervenir en Syrie suivie de son désistement contre-révolutionnaire en faveur de l’Iran, du premier mandat de Trump, du retrait d’Afghanistan, et y compris du feu vert donné en fait par Biden à l’invasion généralisée de l’Ukraine de février 2022, combiné à un plan de containment et d’isolement de la Russie, qui est en train d’échouer du fait, non de la Russie, mais de la Chine.

Tout cela est vrai, mais la métaphore du premier violon a une faiblesse, c’est qu’elle n’exprime pas, ou mal, la place toujours centrale des Etats-Unis, quoique n’étant plus ni le chef d’orchestre, ni même le premier gendarme mondial, mais alors qu’en même temps ils sont toujours, voire plus que jamais, le premier budget militaire (la première puissance militaire ? C’est une autre question, qui demanderait à être mise à l’épreuve …), ainsi que le centre des flux financiers, bien que le volume principal de survaleur capitaliste produite le soit en Chine et en Asie.

Le campisme se nourrit de la répétition, mais 2024 justement n’est pas 2003.

Le caractère central des Etats-Unis demeure, non en ce qu’ils mèneraient la « guerre de l’OTAN » pour « encercler la Russie » en « faisant mourir jusqu’au dernier ukrainien », comme le fantasment les campistes réactionnaires qui, dans le meilleur des cas, ont arrêté les compteurs à l’année 2003, et pas non plus en ce que Genocide Joe serait la force motrice de la guerre menée par Israël contre la population palestinienne et aussi, depuis quelques semaines, au Liban : ce sont là les croyances campistes, que nous retrouvons, je le signale ici car il va falloir en tenir compte, à la toute première page du texte sur la situation internationale adopté par le Comité international de la IV° Internationale (le successeur du « Secrétariat Unifié »), où l’on peut lire ceci :

« Il ne s’agit pas d’une guerre entre Israël et le Hamas. Il ne s’agit pas non plus de la simple continuation de la guerre qui dure depuis 75 ans [ce second point est vrai] (…)

C’est la première fois depuis l’offensive contre l’Irak en 2003 que les Etats-Unis interviennent si directement. Leur soutien en armes et en millions de dollars à Israël est décisif pour produire un massacre historique de civils. »

Ce parallèle, qui nous susurre en somme que l’histoire se répète, est erroné. En Irak, les troupes américaines intervenaient directement en 2003 : ce fut la dernière intervention directe de ce type, et son échec historique de longue portée inaugure le changement de statut du premier impérialisme mondial. Les livraisons d’armes américaines à Israël sont décisives, oui, mais elles alimentent directement les pires contradictions politiques aux Etats-Unis, à tous les niveaux. Les Etats-Unis n’ont en rien été à l’initiative, ni, bien sûr, du 7 octobre lorsque se produit la provocation pogromiste du Hamas coaché par l’Iran avec l’aval russe, ni à partir du 8 octobre dans le processus de guerre à dynamique potentiellement génocidaire engagé par l’Etat israélien. Leur place est décisive en effet mais en tant que soutiens qui suivent, pas en tant que décideurs qui impulsent, ce qui est tout à fait différent. 2024 n’est pas 2003.

En abordant son analyse de la situation mondiale par cet amalgame entre 2024 et 2003, le Comité international de la IV° Internationale inaugure les débats de son prochain congrès mondial par une régression politique, qui est elle-même une conséquence de la grande provocation réactionnaire du 7 octobre. Cette régression tend à effacer les acquis politiques du rôle de cette organisation comme précieux support du RESU/ENSU, de l’internationalisme en solidarité avec l’Ukraine. Et elle bloque, au point de vue de l’analyse, avec toutes les conséquences politiques qui risquent d’en découler, la compréhension de la place exacte de l’impérialisme américain, non pas comme chef d’orchestre, mais à l’intérieur de la multipolarité impérialiste elle-même.

Pas chef d’orchestre, mais un peu plus que premier violon : en quoi ?

En ce que les contradictions globales de la multipolarité impérialiste se concentrent dans la situation intérieure des Etats-Unis à un degré qui jamais n’avait été atteint, lorsque déjà, bien sûr, les contradictions du rôle de première puissance économique et financière et de gendarme mondial opéraient aux Etats-Unis, par exemple dans le mouvement contre la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, ce sont la classe capitaliste et les forces politiques capitalistes nord-américaines qui sont clivées, dissociées, à un degré jamais vu depuis la guerre de Sécession, en fonction de la situation mondiale et de la place des Etats-Unis dans le monde. Les Etats-Unis sont un peu plus qu’un premier violon en tant que réceptacle de toutes les contradictions.

La force de Trump, du point de vue de la classe dominante, se situe là. Ses forces propres – son argent, le soutien mafieux des organes russes, et même sa base sociale populaire – ne suffiraient pas par elles-mêmes à expliquer l’exploit qu’a été le fait qu’après sa défaite de 2020 il n’ait pas été collé en prison (où il a sa place, du propre point de vue « bourgeois »), et qu’il ait finalement pris le contrôle du Parti républicain d’une main de fer plus forte que jamais, les responsables républicains étant morts de trouille, physiquement, car ils craignent pour eux-mêmes et leurs familles, s’ils ne le suivent pas – les plus grands personnages de l’ancienne tradition républicaine impérialiste, réactionnaires, mais favorables à l’équilibre des pouvoirs appelé aux Etats-Unis cheks and balances, comme les Cheney, la fille et le père (ancien vice-président de Bush junior), ont migré en dehors des rangs républicains, et appellent à voter Harris.

Cet exploit s’explique par la crise fondamentale qui traverse la classe dominante de sa base à ses sommets. La politique étrangère prorusse, en principe antichinoise, et protectionniste, de Trump, n’exprime pas seulement les intérêts de la mafia immobilière de la côte Est sustentée aux capitaux russes (alliance dont Trump est l’homme depuis 1987), mais plus largement ceux de larges couches capitalistes et de secteurs politiques, qui, soit admettent un relatif déclassement des Etats-Unis, soit estiment que la seule et meilleure manière pour les Etats-Unis de réaffirmer leur puissance n’est plus, et ne peut plus être, la voie « classique » héritée de 1945 et réaffirmée par Bush père en 1991 et Bush fils en 2003, la voie de l’OTAN, et du « leadership du monde occidental ».

L’impérialisme américain peut, de leur point de vue, se préparer à la guerre non pas en étant le chef d’une coalition perdante, « occidentale », mais en rebattant tout le jeu de cartes instable, notamment par les alliances russe et indienne, et en écrasant éventuellement l’Iran, d’où la carte blanche laissée à Netanyahou, malgré la crise aigüe (pas chronique, aigüe) que cela produit dans l’administration démocrate en plein affrontement présidentiel sans précédent.

Quatre scenarii … et le nôtre.

Dans les scenarii de guerre mondiale, il s’ensuit que l’option Trump et celles des forces, diverses, qui se regroupent derrière lui, ne conduit pas à l’isolationnisme « neutre » ou non-intervenant (même si c’est une option, c’est la moins bonne de leur point de vue, car c’est la capitulation et la perte du rang mondial), mais à l’intervention, mais on ne sait pas avec qui ni contre qui !

Ces scenarii se recoupant avec celui de la violence politique montante aux Etats-Unis, ouvrent une quatrième possibilité. Les trois premières possibilités théoriques sont :

– n°1 : guerre mondiale des tyrannies eurasiatiques versus les « occidentaux » sous la direction américaine,

– n°2 : guerre mondiale avec « surprise du chef » de la part des Etats-Unis faisant alliance avec la Russie et l’Inde,

– n°3 (la moins conforme aux besoins du capitalisme US) : isolement pur et simple des Etats-Unis.

La possibilité n°4 est : guerre mondiale avec éclatement des Etats-Unis eux-mêmes, traversant les Etats-Unis, les « confédérés » trumpistes marchant avec l’impérialisme russe.

Remarquons que 3 sur 4 (les 2, 3 et 4) de ces possibilités théoriques passent aujourd’hui par Trump, qui, cela dit, n’est pas non plus le moins du monde une garantie contre la n°1 !

Encore une fois : ce ne sont pas là des pronostics, ni des prédictions. Il s’agit d’identifier des tendances pour agir sur elles et contre elles. Car bien entendu la possibilité autre, la notre, est celle qui passe par la défaite de Trump, dans la mesure où cette défaite ne sera pas le fait de Harris par elle-même, mais des forces sociales autonomes qui ont un besoin vital, elles, de démocratie et de liberté.

Fascisme.

Pour saisir les enjeux, il est conseillé de s’infliger de regarder, si l’on a le temps, le meeting historique – il restera dans l’histoire quelle que soit la suite – de Trump, au Madison Square Garden à New York ce dimanche 25 octobre.

Son impact et son contenu ont fait dire à la plupart des commentateurs ce qu’ils ne disaient pas ou pas si fort : le fascisme, contemporain certes, était là et bien là.

Contemporain, mais n’oubliant pas le passé : l’hymne sudiste, confédéré, Dixie, a marqué le rassemblement. Pour ce qui est du contemporain, on a eu Elon Musk, représentant du capital s’il en est, qui a lancé, à l’intérieur du trumpisme le mouvement Dark MAGA, aile futuriste-fasciste du trumpisme, nouvel avatar, si l’on veut, actualisé aux technologies de pointe, de QAnon. Et de dangereux pitres : le catcheur bodybuildé « Hulk » Hogan, Priape ridicule (Ithyphalliques et pioupiesques, aurait dit Rimbaud !), et, dans un style remarquablement proche de celui de Joseph Goebbels, l’ « humoriste » Tony Hinchcliffe, crachant la haine contre les migrants et traitant les portoricains de tas d’ordures.

Depuis dimanche, Trump a précisé qu’il était « le contraire d’un nazi », n’est-ce pas, et s’est fait imposer les mains par des évangélistes de Caroline du Nord. L’arc ultra-réactionnaire est ainsi complet.

Un appel, salutaire, de Bernie Sanders, s’adressant à ceux qui ne voudraient pas voter Harris à cause de « Gaza », a suivi cette démonstration. Mais généralement, les militants de gauche, dans le meilleur des cas, sont terriblement routiniers : de même qu’ils confondent 2024 avec 2003, ils ne voient pas que le second Trump, car nous avons affaire au second Trump, menace réellement les droits démocratiques dans tous les Etats-Unis, se constitue une base milicienne, assez hétérogène mais bien réelle et qui vient de loin, et compte modifier, sinon la lettre, au moins l’esprit de la constitution, par un renforcement sans précédent des pouvoirs présidentiels (même si ses partisans, dans la tradition confédérée, s’imaginent défendre les droits des Etats).

Project 2025, plan de la Heritage Fondation, vieille structure néoconservatrice ralliée à Trump, prévoit, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, l’intégration des syndicats à des structures les associant institutionnellement au patronat dans le secteur privé, et leur interdiction ou quasi-interdiction dans la fonction publique.

Trump promet de déporter 10 millions de migrants. Promesse en l’air ? Regardons ailleurs ? Des mots ? Mais de tels mots, c’est déjà énorme.

Il ne suffit pas de dire que les droits des femmes et des minorités sont menacés, ce qui est déjà énorme : c’est bien une tentative de modification radicale des relations sociales aux Etats-Unis qui menace. Parler de fascisme n’est pas mettre un signe égal exact avec les années 1920-1930, c’est donner la mesure de ce qui se passe.

Si …

La suite immédiate de l’élection de Trump serait le désarmement de l’Ukraine et la percée du front dans le Donbass, par la Russie et les troupes nord-coréennes qui sont en train d’y être acheminées, d’une part, et la destruction totale de Gaza ainsi que l’achèvement de l’épuration ethnique en Cisjordanie, d’autre part.

Même si l’Ukraine acculée capitulait, ce qui est peu probable et nullement souhaitable, les campistes « partisans de la paix » ne pourraient pas faire croire longtemps que la paix aurait avancé, car les troupes ou les organes russes opéreraient en Géorgie et en Moldavie et les combats se prépareraient sur les frontières finlandaise, balte, polonaise, avec Orban donnant des coups de poignards dans le dos, sûr désormais du soutien non seulement de Moscou, mais de Washington.

Le rebattage des cartes du jeu des alliances produirait hésitations et incertitudes, mais nulle stabilité, bien au contraire.

En France, le gouvernement Barnier, nommé par Macron et soutenu par Le Pen, serait conforté dans ses attaques contre « les fonctionnaires » et contre « les immigrés », ainsi que le gouvernement Melloni en Italie. La préparation d’une alternance visant à rétablir une V° République de plein exercice, avec Le Pen à la présidence et une coalition la soutenant, serait accélérée. Bien entendu, le mouvement social garderait la force d’empêcher cela, mais dans des conditions internationales dégradées. Remarquons que le mépris manifesté par Macron pour les résultats électoraux, donc pour toute démocratie, aura rejoint celui des Trump et des Bolsonaro, leur préparant le terrain.

Et la victoire de Trump, ce serait la destruction de toute bataille pour limiter le réchauffement climatique et faire face de façon responsable et solidaire à ses effets.

L’entrée de plein pied des Etats-Unis dans l’ordre/désordre de la multipolarité impérialiste sera un pas vers la barbarie la plus moderne.

Le plébiscite brun mondial des gauchistes, campistes et sectaires.

Elément d’une importance fondamentale : une victoire de Trump, ou un affrontement portant sur les résultats électoraux et basculant en sa faveur, ne sont possibles que parce que des secteurs « de gauche » veulent avant tout « punir » Genocide Joe, poussant la stupidité criminelle jusqu’à jouer ainsi en faveur de Netanyahou et cela au nom du « peuple palestinien » !!!

Le fait que l’aveuglement politique majoritaire du mouvement propalestinien sur les campus puisse conduire à une telle conséquence, ainsi que les candidatures poutiniennes de « gauche radicale » ou écologiste de Jill Stein et Cornell West, a une très forte signification politique. La convergence entre la gauche poutinienne et certains discours trumpistes est ancienne. Tous, par exemple, détestent les « révolutions oranges » et les « révolutions arabes », calomnient le peuple syrien et le peuple ukrainien. Ces convergences ne sont pas fortuites, elles sont fondamentales. Disons-le : si Trump gagne, ce sera aussi à cause d’un « plébiscite brun » de portée mondiale.

Le « plébiscite brun » a vu, en 1931, les communistes allemands ajouter leurs voix, en disant qu’ainsi le plébiscite serait « rouge », à celles des nazis, pour dissoudre le parlement prussien à majorité social-démocrate (des social-démocrates bien droitiers qui avaient réprimé des grèves, bien sûr !). Cette convergence fut une étape importante de la montée d’Hitler vers le pouvoir.

Il y a diverses manières de faire « plébiscite brun » aux Etats-Unis, et mondialement en abordant la question des Etats-Unis. La plus efficace n’est pas l’appel direct à voter Trump. C’est la négation du danger, son euphémisation, et c’est le choix de vouloir avant tout battre les politiciens impérialistes américains « classiques » que sont les démocrates.

« La Palestine » et « Gaza » sont aujourd’hui les drapeaux du plébiscite brun des gauchistes, des campistes et des sectaires en faveur de Trump. Ils ne servent de rien aux Palestiniens, qui ne méritent vraiment pas, en plus de l’oppression et des crimes qu’ils subissent, cette utilisation.

Il faudra donc aussi tirer toutes les conséquences de ce fait terrible, mais fondamental : le plébiscite brun de l’extrême-gauche, au nom des Palestiniens, pour Trump.

* * *

La voie du combat prolétarien, révolutionnaire, démocratique, indépendant, passe tout de suite par le vote Harris. C’est seulement ainsi que se prépare l’affrontement de masse avec Trump, qu’il soit élu ou qu’il conteste les résultats pendant des semaines, ou que se prépare l’affrontement social avec Harris présidente. Le plus probable est une montée rapide des tensions autour des résultats contestés. Au mouvement ouvrier d’intervenir directement là-dedans, il le faudra !

Nous saluons nos camarades américains, engagés dans ce combat, qui, depuis les affrontements politiques français, comme depuis les tranchées ukrainiennes ou les camps palestiniens pilonnés et affamés, intéresse tous les combattants de l’émancipation, dans le monde entier.

Vincent Présumey, le 28 octobre 2024.

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