Composée de fils et de filles de boomers, ma génération, la « Y », a fait ses premiers pas au début des années 1980, moment où le néolibéralisme a colonisé plusieurs sphères de la vie. Nous avons grandi en voyant, avec nos « yeux neufs » selon la belle expression de Fernand Dumont, se multiplier les contradictions entre les idéaux sociaux de nos parents et une précarisation matérielle et symbolique sans cesse croissante du monde.
Nous avons fêté nos 20 ans au tournant des années 2000, lorsque la globalisation capitaliste s’est puissamment affirmée dans la société. L’individualisation, que l’économie de marché contribue à accentuer, a provoqué un repli dans la sphère privée et fait en sorte que l’on tend de plus en plus à se définir de manière plus individualiste que collective.
Dans ce contexte, il est devenu courant d’affirmer confusément que les jeunes ne s’intéressent plus au politique, qu’ils sont individualistes, consuméristes et qu’ils se détournent des institutions. Ils ne s’engageraient plus « comme avant », n’ayant plus de valeurs, ni de repères. S’il y a du vrai dans cette impression, rappelons tout de même que c’est lors de la grève étudiante, en 2005, qu’eut lieu la plus importante mobilisation des jeunes Québécois depuis les années 1960.
C’est plutôt le rapport aux normes et au politique qui a été profondément bouleversé par la rationalité socio-économique dominante. Ainsi, nombreux sont ceux et celles qui se disent « apolitiques » malgré leurs prises de position éminemment… politiques. Dans le sillon de Génération d’idées, cette confusion s’est incarnée de manière fort éloquente dans le récent et controversé « Manifeste pour un Québec dégrisé », publié dans Le Devoir du 21 juin 2011 par un groupe de jeunes qui affirment se situer « hors des considérations idéologiques » tout en réclamant, paradoxalement, une véritable politique mise au service du collectif.
Heureusement, cette confusion, cette dépolitisation – choisie ou subie – et la vague de cynisme ambiant qui l’accompagne ne submergent pas toute la jeunesse. Ce dossier qui marque la rentrée est l’occasion de montrer que plusieurs jeunes Québécois assument la dimension politique de leur engagement. Héritiers d’un Québec dont les institutions dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de l’aide sociale ont été façonnées par leurs parents et grands-parents, plusieurs d’entre eux luttent maintenant pour « contrer la destruction des acquis sociaux ».
Sauver les meubles, en somme. En effet, la plupart des jeunes engagés socialement et politiquement souhaitent une société responsable dans laquelle l’État cesse d’être le maître d’œuvre de la privatisation et de la marchandisation des biens publics pour préserver le bien commun, notamment nos services publics et les écosystèmes.
Ce souci de préservation qui préoccupe les jeunes est tributaire du contexte sociétal dans lequel ils évoluent. Il s’exprime entre autres dans le sentiment de l’urgence écologique et dans une inquiétude constante, tel un bruit de fond permanent, pour l’avenir, dont celui des générations qui suivront. L’engagement social et politique des jeunes d’aujourd’hui, en matière d’écologie, en est un pour la survivance. Sur le plan de l’affirmation nationale, les jeunes constatent que la spoliation coloniale de nos ressources naturelles perdure et que la pérennité de la langue française en Amérique du Nord n’est pas assurée.
Surtout, l’engagement social et politique des jeunes, en 2011, est marqué d’une quête de sens et d’un horizon de significations existentielles symptomatiques d’une époque où la responsabilité d’insuffler du sens à sa vie revient à l’individu. Or, pétrir son engagement de sens, mettre en acte ses principes, ses convictions profondes, demande de l’expérience… que les jeunes n’ont pas nécessairement acquise. Ils s’engagent souvent partant d’une intuition, d’un refus de la fatalité, d’un sentiment d’injustice, d’un malaise face à l’inacceptable, l’inadmissible.
S’engager veut aussi dire « donner sa parole », être lié par une promesse et « entrer au service de » (Olivier Bobineau, Les formes élémentaires de l’engagement. Une anthropologie du sens, Paris, Temps Présent, 2010). La parole est capitale dans l’acte d’engagement. On sait l’importance de la parole donnée, qui équivaut à un devoir, d’où l’expression « tenir ses engagements » (ibid). La parole, la voix qui s’élève n’est donc pas que des mots ; elle est à la fois fondatrice et créatrice d’engagements.
Mais il y a dans le fait de s’engager quelque chose d’encore plus fondamental : faire société, se ré-unir. L’engagement permet d’apprendre à prendre part à la vie collective, de trouver sa place, de composer avec d’autres, de rencontrer ses semblables, d’agir dans le monde. On sait que les êtres humains ne vivent pas seulement en société ; ils produisent de la société pour vivre. Cette historicité, soit leur capacité à créer leurs propres orientations dans l’histoire, l’engagement l’incarne, la met en forme, la met en actes.
Trouver sa place dans le monde et surtout la voir reconnue est capital pour les jeunes. C’est en s’engageant qu’ils peuvent y arriver et qu’ils accomplissent ainsi un des premiers engagements de la vie : se lier à d’autres. Ces jeunes voix engagées qui s’élèvent dans ce dossier sont donc essentielles pour la suite du monde, parce qu’elles sont créatrices d’histoire, de société.