Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Des contact entre iraniens et américains qui donnent espoir en Iran

Extraits d’une émission du 25 septembre 2013 sur Democracy Now. Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr.

DM, NERMEEN SHAIKH : Dans un rare tournant diplomatique, l’Iran et les États-Unis ont décidé d’entreprendre des négociations sur le programme nucléaire iranien. Elles pourraient déboucher sur la fin des sanctions internationales, sous l’égide des États-Unis, qui a mené l’économie iranienne à un véritable désastre. Mardi, le 24 octobre courant, les deux présidents, Messieurs Obama et Rohani se sont adressé à l’assemblée générale des Nations Unies. Le Président Obama a insisté pour dire que son pays ne cherchait pas de changement de régime en Iran et qu’il respectait le droit du peuple iranien à avoir accès à l’énergie nucléaire civile. Il a aussi souligné que le Président Rohani avait reçu un mandat de modération de la part de son électorat.

(…)

DM, Amy Goodman : Les deux présidents ne se sont pas rencontrés aux Nations Unies ; ils ne se sont pas serré la main. M. Rohani a endossé l’appel du Président Obama pour des contacts diplomatiques. Il a répété que l’Iran n’avait aucune ambition de développer les armes nucléaires et a souligné que son pays avait le droit d’enrichir l’uranium sur son territoire dans le cadre des règles internationales.

(…)

N.S.  : Le discours du Président iranien aux Nations-Unies était dans la suite de nombreuses activités de recherche de rétablissement des liens avec l’Occident. Il semble que cette stratégie ait l’aval du Guide Suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei. La semaine dernière le Président Rohani a donné une rare interview sur la chaîne NBC et ensuite au Washington Post appelant à des engagements constructifs. Cela a été suivi d’une lettre de l’ex-président réformiste, M. Khatami au journal britannique The Guardian dans laquelle il réclame aussi un renouvellement de l’activité diplomatique. Dans la foulée du discours du Président Rohani à l’assemblée des Nations-Unies, le régime iranien a libéré un certain nombre de prisonniers politiques dont un avocat, leader de la lutte pour les droits humains, M. Nasrin Sotoudeh.

A.G. : Pour plus d’éléments dans la discussion, nous rejoignons Narges Bajoghli, une documentariste étudiante à l’université de New-York. Elle s’intéresse à la culture militaire en Iran et a réalisé « The Skin That Burns » qui porte sur la vie des survivantEs des guerres chimiques dans ce pays. (…) Parlez-nous de la signification du message du nouveau président iranien, hier devant l’assemblée générale des Nations-Unies.

Narges Bajoghli : Je pense que le Président Rohani a livré quelques messages qui sont de la première importance. Premièrement, il s’est adressé au public iranien, spécialement à sa partie plus orthodoxe qui commençait à craindre un peu le nouveau ton qui vient suite à celui de M. Ahmadinejad. Il a beaucoup insisté pour dire qu’il pense et que la République islamique veut que l’Iran puisse poursuivre l’enrichissement nucléaire à des fins pacifiques. Mais, du même souffle il intervient contre les sanctions actuelles et les compare avec celles d’avant 2003. C’était un gros morceau à livrer. Et il répète que l’Iran ne veut pas la guerre mais bien la paix. Je pense que cela s’adressait à l’élite politique iranienne mais aussi aux Américains et à l’audience des Nations-Unies qui l’écoutait…

N. S. : À quelle partie de son électorat s’adressait-il et dans quelle mesure sa position représente-t-elle un réel changement par rapport à celle de ses prédécesseurs ?

N.B. : Je pense que M. Rohani arrive à un moment crucial pour la République islamique. Je pense que trois facteurs ont joué pour son élection. Jusqu’à une semaine du scrutin, bien des gens à qui nous avons parlé en Iran, disaient qu’ils n’iraient pas voter. Plusieurs étaient convaincus que M. Rohani n’avait pas la moindre chance d’être élu. Les sanctions sont un des trois facteurs qui ont joué en faveur de son élection. Elles font terriblement mal à l’économie du pays et touchent durement la classe moyenne. Elle n’a plus accès à ce dont elle pouvait profiter antérieurement. Deuxièmement, le facteur Amadinejad : son élection en 2009 a mené des millions de personnes dans les rues scandant des slogans contre lui et contre le Guide Suprême. Cela a démontré à l’élite politique du pays qu’une portion significative de la population était contre la politique en place. Il y a eu, ensuite, des fractures parmi les dirigeants et à des luttes intestines chez les Gardiens de la révolution et l’élite politique. Je pense que ces trois forces réunies nous ont menés aux changements que nous pouvons observer en ce moment ; car, en fin de compte, la République islamique veut rester dans le jeu. C’est un régime pragmatique ; il ne veut pas naviguer à vue. Il comprend que pour se maintenir et aller de l’avant il doit céder sur quelques enjeux. En ce moment l’enjeu principal est l’économie et ils savent que la manière de l’améliorer c’est de passer par les négociations sur le nucléaire.

(…)

A.G. : (…) Les médias américains ont fait grand état d’une rebuffade qui serait faite aux États-Unis (avec ces nouvelles positions de la part de l’Iran). Maureen Dowd, (éditorialiste au New-York Times n.d.t.), dit ce matin en parlant du Président Obama : « Les Iraniens lui infligent une rebuffade. Les Brésiliens le réprimandent. Ted Cruz (sénateur républicain, n.d.t.) lui impose un faux filibuster. Et on vient juste de le savoir, en arrière scène, les Russes organisent un désastre avec lui ». Mais il s’est passé beaucoup de choses au cours de cette fin de semaine : les porte-paroles de la Maison blanche ont dit qu’il se pouvait que le Président Obama serre la main du Président Rohani et ont comprend que finalement c’était M. Rohani qui n’était pas d’accord au moins jusqu’à hier.

N.B. : Oui, on peut penser à partir de ce que le Présiden Rohani à dit à Christiane Amanpour, (sur CNN n.d.t.) que les Iraniens sont prêts à s’engager immédiatement mais que c’était devenu trop compliqué et que le temps manquait pour avoir cette rencontre (avec le Président Obama). Je pense qu’il serait trop tôt pour M. Rohani et son camp en Iran. Il y a là des conservateurs qui n’apprécieraient pas que les choses aillent aussi vite. Mais le message est clair de la part des deux présidents : il semble bien qu’ils veuillent s’engager dans des discussions et preuve en est que demain, (26-09) une rencontre de négociations au plus haut niveau aura lieu. C’est un pas dans la bonne direction.

N.S. : Vous avec passé les 9 ou 10 dernières années en Iran. Pouvez-vous nous parler des effets des sanctions dans la vie quotidienne de la population ? Elles sont devenues de plus en plus dures au cours des années.

N.B. : L’effet le plus visible en ce moment est le manque de médicaments, les médicaments vitaux. Il n’y en a plus pour traiter les personnes atteintes de maladies chroniques et de cancer. Il y a aussi en Iran environ 100,000 survivantEs des guerres chimiques. Les médicaments qui font la différence entre la vie et la mort ne sont plus disponibles. Et tous les autres médicaments, depuis la pilule contraceptive jusqu’à ceux en vente libre qui aident les femmes, sont extrêmement difficile à obtenir en ce moment. Aussi le prix de la viande et des autres aliments de base a été multiplié par 6 ou 7 au cours des derniers mois.

A.G. : Au cours de son allocution devant l’assemblée générale des Nations-Unies, le Président Obama a parlé des racines de la méfiance entre l’Iran et notre pays. (…) Pouvez-vous nous parler de la signification du coup d’État contre le Président Mosaddeq en 1953 ? Ce coup a été dirigé par les États-Unis.

N.B. : Il a posé là un geste d’une extrême importance. Un des éléments du développement de l’industrie nucléaire en Iran vient de cette expérience de coup d’État en 1953. L’élite politique y voit un lien direct. Ce coup d’État a déposé le Président élu, M. Mosaddeq parce qu’il avait nationalisé la production pétrolière. Les Américains et les Britanniques ont réinstallé le Schah au pouvoir. La population iranienne et l’élite politique sont convaincus que les pouvoirs étrangers, dont les États-Unis, ne veulent pas que l’Iran ait accès à ses ressources énergétiques ni ne les contrôle. C’est dans cet éclairage que le problème de l’énergie nucléaire est devenu un enjeu national dans le pays.

Alors, je pense que la déclaration du Président Obama qui fait référence à ce coup d’État est très significative ; au moins dans le discours, il ouvre la porte à des rapprochements dans le respect mutuel et une tentative pour comprendre l’histoire de cet engagement. Il vient dire qu’il comprend ce que son pays à fait dans le passé et qu’il ne veut pas le répéter en ce moment. Je ne sais pas si les IranienNEs vont accepter cette déclaration mais c’est significatif que le Président l’ait faite.

N.S. : Plusieurs ont soutenu que le Président Rohani a pu tenir le discours d’ouverture qu’il a offert aux États-Unis parce qu’il bénéficie de l’appui du Guide Suprême, l’Ayatollah Ali Khameni. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les positions du Guide Suprême ont ainsi changé par rapport à celles qu’il avait durant la présidence de M. Ahmadinejad ?

N.B. : M. Khameni a soutenu avec ardeur M. Ahmadinejad au cours de son premier mandat et très spécialement après son élection en 2009 alors que la population la contestait. Mais, après la première année suivant sa réélection, ils en sont venus à une certaine opposition. Ainsi, au cours des années qui ont suivit on ne les a plus revus ensemble et ce refroidissement est devenu public. Il y a eu des reportages, des rumeurs à l’effet que M. Ahmadinejad ne se serait même pas présenté au travail pendant une dizaine de jours il y a environ 2 ans.

N.S. : Que se passait-il entre eux ? Quelle était cette dispute ?

N.B. : ...Il y avait toutes sortes de rumeurs partout et pas de moyens de savoir exactement ce qui se passait. Mais nous avons su, pour la première fois publiquement, qu’il y avait des débats et des dissensions au plus haut niveau de la République islamique. Mais, ceci dit, il faut savoir que M. Ahmadinejad et son entourage immédiat, s’opposaient aux dirigeants religieux du pays et qu’ils voulaient changer le cours de la politique, l’éloigner d’eux. M. Khameni est un religieux et il bénéficie de l’appui d’une portion importante du clergé. M. Rohani essaie au moins de présenter une autre image de la République islamique. Il faut aussi savoir qu’à cause de ces disputes au pouvoir, une partie significative des Gardiens de la révolution et des politiques iraniens, n’étaient plus d’accord avec M. Ahmadinejad.

A.G. : Vous êtes une documentariste. Vous êtes candidate au PhD de l’université de New-York et vous vous intéressez aux armes chimiques. Bien sûr c’est un enjeu majeur en ce moment en Syrie. Dans une de nos manchettes récentes nous avons annoncé que de nouvelles informations rendues publiques par la CIA affirmaient que les États-Unis avaient fourni des renseignements fondamentaux à Saddam Hussein pour ses attaques aux armes chimiques dans sa guerre contre l’Iran. Ils ont fourni des images satellites montrant que l’Iran était sur le point d’attaquer les positions irakiennes grâce à une ouverture dans ses rangs. Ils ont donné à l’Irak les positions exactes des armées iraniennes même si Saddam Hussein allait utiliser ses armes chimiques. Ces attaques ont fait au moins des centaines de milliers de morts chez les Iraniens. Vous préparez un documentaire sur les effets des attaques chimiques chez les Iraniens. Qu’est-ce qu’on en sait en ce moment ? Par exemple est-ce que le rôle des États-Unis est connu et qu’est-ce que la population iranienne en pense ?

N.B. : C’est très intéressant. Ce que les IranienNes savent déjà, c’est l’usage des armes chimiques en 1981. En 1984, l’Ayatollah Khameni et les dirigeants iraniens ont fait appel aux Nations Unies pour qu’une enquête soit menée parce qu’ils pensaient qu’il y avait des armes chimiques en cause dans la guerre. Il y a eu trois investigations officielles au cours du milieu des années 80. Et malgré que de solides preuves de l’usage d’armes chimiques par les armées irakiennes aient été trouvées et rapportées aux Nations Unies, elles ont toutes été ignorées par la communauté internationale.

Cela est très bien connu en Iran. Il y a aussi eu des révélations après l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 et après le renversement de Saddam Hussein. Donc la documentation existe principalement aux Nations Unies. Mais, à l’époque, les États-Unis et l’Occident étaient contre l’Iran. Ces documents sont donc restés dans l’ombre comme ceux qui concernent les attaques irakiennes contre les populations kurdes à Halabja en 1988. Environ 5,000 personnes y sont mortes.

A.G. : Voici un extrait de votre film « The Skin That Burns » ; votre documentaire à propos des soldats volontaires iraniens qui ont été exposés aux bombes chimiques durant la guerre Iran-Irak.

Un soldat iranien : Les avions de combats irakiens ont lâché les bombes chimiques sur nous. Mon bataillon a été exposé. Tous les civils de cet endroit ont été exposés. Nous avons été exposés au gaz moutarde.

Un médecin iranien : Le gaz moutarde ne laisse aucune partie du corps intacte. On le nomme la bombe atomique des pauvres.

Quelle est la portée de cette expérience maintenant en Iran ?

N.B. : C’est énorme ! On rapporte qu’il y a 100,000 survivants de la guerre chimique en ce moment en Iran. C’est le nombre le plus important dans le monde. Cela inclut des soldats et des civilEs. Beaucoup de villes, notamment les villes kurdes d’Iran ont été attaquées à l’arme chimique. C’est une mort lente. Comme ces attaques ne se sont pas produites ailleurs dans le monde, les médecins sont dépourvus pour comprendre ce qui se passe dans le corps de ces survivantEs. On procède donc par essais et erreurs. Mais ce qui devient clair, 20 ans plus tard, c’est que ces personnes développent des formes extrêmes de cancer et en meurent malheureusement.

N.S. : (…) Pouvez-vous nous parler de ceux qui restent sceptiques face aux intentions annoncées par M. Rohani ? Je parle du premier ministre israélien M. Nétanyahu et de certainEs ici aux États-Unis.

N.B. : Je pense qu’il est sain de conserver une bonne dose de scepticisme quand on a affaire aux politiciens où que ce soit dans le monde. Pour ce qui est de M. Nétanyahu je pense qu’il est trop exigeant et aux autres, il faut dire que l’Iran est dans une position où il doit absolument se passer quelque chose. Le mécontentement est tellement élevé dans le pays que les politiciens sont effrayés à l’idée qu’une autre vague de protestation pourrait surgir surtout à cause de l’état de l’économie. La République islamique veut se maintenir, elle ne veut pas disparaitre. L’approche actuelle est très pragmatique.

Nermeen Shaikh

Journaliste à Democracy Now.

Prior to joining Democracy Now !, Nermeen worked in various non-profit organizations including the Sustainable Development Policy Institute in Islamabad, the International Institute for Environment and Development in London, and the Asia Society in New York. She also worked briefly at Al Jazeera English in Washington, DC. She has an M.Phil. in politics from Cambridge University, and is the author of The Present as History : Critical Perspectives on Global Power published by Columbia University Press. She currently serves on the editorial board of the Rome-based journal Development.

Narges Bajoghli

Documentariste étudiante à l’université de New-York. Elle s’intéresse à la culture militaire en Iran et a réalisé « The Skin That Burns » qui porte sur la vie des survivantEs des guerres chimiques dans ce pays.

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