Tiré du blogue de la revue Relations.
Mais ces manipulations de l’opinion publique reprendront à la première occasion, nourrissant et justifiant, par opportunisme partisan ou idéologique, la crainte du migrant irrégulier ressentie par une partie de la population, en plus d’inverser dans les esprits la perception de vulnérabilité : celle du demandeur d’asile qui risque sa vie pour un peu de stabilité et de sécurité ne faisant plus le poids face à l’inquiétude d’une population pourtant confortablement établie. Un contexte délétère qui rend extrêmement difficile de sortir de notre résistance à la mobilité des personnes, surtout lorsqu’il s’agit de celle des autres, et de relever collectivement la tâche urgente d’innover dans nos réponses aux défis que posent certains mouvements de population.
L’arrivée des demandeurs d’asile haïtiens au cours de l’été a heureusement aussi permis de donner de l’information utile comme celle rappelant que le Canada et le Québec adhèrent à des Conventions et des traités internationaux qui imposent certaines procédures pour recevoir et traiter les demandes de protection des demandeurs d’asile. Ces dispositions sont les fruits de luttes importantes et sauvent encore aujourd’hui des vies. Par contre, les contextes qui poussent les gens à migrer et les conditions de leur trajectoire migratoire sont de plus en plus difficiles à traiter par les mécanismes dont nous disposons actuellement. Ces derniers laissent de côté des questions majeures de dignité, de justice, de vie ou de mort. C’est pour cela malheureusement que de nombreux Haïtiens et Haïtiennes, en attente de la décision du Canada sur leur sort, risquent de devoir affronter à nouveau refus et déportation.
Il faut donc soulever différemment certaines questions pour pouvoir mieux répondre à ce défi. Deux propositions sont urgentes pour mettre fin au cycle interminable de souffrance dans lequel trop de personnes sont maintenues, dont particulièrement les migrantes et les migrants haïtiens.
Mettre fin aux statuts précaires
Les histoires de vie des demandeurs d’asile haïtiens qui ont franchi la frontière ces dernières semaines et les chemins de migration qu’ils ont empruntés sont diversifiés. Une partie d’entre eux se retrouvent ici craignant le non-renouvellement, par l’administration Trump en janvier prochain, du programme de protection temporaire (Temporary Protection Status-TPS) dont ils bénéficiaient jusqu’à maintenant. Plusieurs d’entre eux étaient aux États-Unis depuis longtemps, y travaillaient et ont même vu leurs enfants grandir dans ce pays qui leur offrait un statut temporaire et précaire. Le programme avait été mis en place pour les Haïtiens et Haïtiennes après des catastrophes naturelles dans leur pays d’origine survenues il y a déjà une dizaine d’années. La situation politique difficile d’Haïti et sa vulnérabilité aux cataclysmes naturels a fait en sorte que ce programme temporaire a été renouvelé de nombreuses fois. Il existe au Canada une procédure similaire à ce TPS étasunien : le gouvernement fédéral peut mettre en place un moratoire sur les déportations vers un pays jugé non sécuritaire. Haïti a été l’un de ces pays dont les ressortissants bénéficiaient d’un moratoire de 2004 à 2014.
Malgré l’intention louable qui est à l’origine de ces programmes temporaires de protection, leur grande limite est la non-régularisation du statut des personnes à qui ils s’appliquent, même lorsque la durée de leur séjour dans le pays d’accueil se prolonge. Les personnes vivent alors pendant des années sans bénéficier des avantages de la résidence permanente. Malgré les embûches que leur impose leur statut temporaire, la majorité de ces personnes travaille, contribue de multiples façons à leur milieu de vie, fonde une famille, etc. Mais la menace du retrait de la protection temporaire et de la déportation reste constante. C’est à cet enjeu fondamental que nous ramène le sort actuel des détenteurs de TPS aux États-Unis.
Dans le cas canadien, en 2002, la levée du moratoire sur les déportations vers l’Algérie a été l’occasion d’une importante et longue mobilisation citoyenne pour exiger des gouvernements canadien et québécois des solutions permettant aux personnes visées par la décision d’être régularisées. La grande majorité des personnes a ainsi pu éviter la déportation et obtenir la résidence permanente. Cette mobilisation a créé un précédent qui a permis au mouvement citoyen, à chaque levée subséquente de moratoire depuis lors, de revenir à la charge auprès des gouvernements pour que des solutions de régularisation soient mises en place. Lors de la levée du moratoire sur les déportations en Haïti en 2014, la forte mobilisation a à nouveau permis que la vaste majorité de ressortissants haïtiens à statut précaire ne soit pas renvoyée. Malheureusement, la lutte doit être reprise à chaque fois, car le gouvernement canadien n’a toujours pas accepté la recommandation fondamentale qui était de donner un statut permanent à toute personne qui se trouve sous moratoire depuis plus de trois ans, le nombre d’années au-delà duquel le maintien des gens dans un statut temporaire a des conséquences graves sur la vie des personnes et leur intégration, qui devra inévitablement se faire dans le pays d’accueil.
De la même façon, une mobilisation pour le prolongement du TPS aux États-Unis est certainement louable, mais elle ne fait que reporter le problème laissant de nombreuses personnes dans une situation où leur dignité fondamentale est profondément fragilisée. C’est un processus de régularisation du statut de ces personnes qu’il faut revendiquer
Appel à une solution continentale concertée
Parmi les demandeurs d’asile haïtiens arrivés à la frontière canado-étasunienne, se trouvent aussi des personnes qui ont traversé, dans des conditions infrahumaines, la presque totalité du continent pour finalement trouver refuge au Canada. Leurs histoires ont révélé ce que les spécialistes des processus d’immigration ont observé depuis quelques années, c’est-à-dire que la migration haïtienne s’est profondément transformée. C’est tout le continent sud-américain qui reçoit maintenant des ressortissants haïtiens, et ce, en nombre croissant. Mais ces derniers, d’abord accueillis avec générosité dans certains pays d’Amérique latine, se trouvent aujourd’hui de plus en plus confrontés, un peu partout, à des lois restrictives qui les obligent à reprendre le chemin de l’exil.
Si les demandeurs d’asile haïtiens devaient être déboutés par le Canada, ces personnes seront certes déportées vers Haïti, mais la triste réalité est que peu d’entre elles y resteront. La situation catastrophique du pays fera en sorte que la majorité devra s’exiler à nouveau. Malgré les injustices et l’inhumanité qu’ils rencontrent dans ce parcours, cette option leur semble moins intolérable que l’impasse que leur réserve leur pays d’origine.
Nous sommes donc ici devant l’occasion et même l’urgence de sortir du traitement au cas par cas des demandes d’asile et d’oser chercher une solution politique courageuse à l’échelle internationale. Le Canada a, notamment grâce au Québec, une relation de longue date avec Haïti. Le gouvernement de Justin Trudeau qui se vante de vouloir faire mieux en immigration que le gouvernement conservateur qui l’a précédé a ici une belle occasion d’assumer un leadership et de convier les autres États des Amériques concernés par la migration haïtienne actuelle à opter pour la régularisation des ressortissants haïtiens qui sont sur leur territoire.
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