Ce droit lui permet d’acheter un logement en priorité sur tout autre acheteur, au prix fixé par la première offre d’achat accepté. Pour la Ville, il s’agit notamment d’éviter que des dizaines voire des centaines de personnes supplémentaires se retrouvent à la rue et à la charge des services sociaux municipaux (hébergement d’urgence, service de police etc.).
Les maisons de chambres constituent ainsi le « dernier rempart empêchant une personne de tomber dans l’itinérance » pour reprendre la formule d’un responsable municipal. Ce sont des logements où les locataires partagent généralement la cuisine et les salles de bain et qui hébergent celles et ceux qui composent les catégories sociales les plus pauvres de la Ville [1]. Selon un rapport de la Santé publique de 2017, 60% des locataires des maisons de chambres sont prestataires de l’aide sociale et ont recours à l’aide alimentaire. Ils et elles paient 425$ de loyer en moyenne quand leur revenu médian est inférieur à 1 000$. [2]
Le problème du droit de préemption, comme l’explique en toute transparence un administrateur de la ville, est qu’il ne permet pas de « se prémunir contre ceux qui voudraient abuser des pouvoirs publics » en gonflant les prix avant la vente à la ville ; pratique qui semble être la norme chez les propriétaires, selon l’un d’entre eux :
« On a tous le même réflexe quand on apprend que notre immeuble est visé par un droit de préemption : on éclate de rire », témoigne Steve Forget, propriétaire d’immeubles résidentiels à Montréal et à Joliette. Une de ses propriétés vient justement d’être mise sous droit de préemption par la Ville de Joliette. « Un ami investisseur m’a dit en riant : “Veux-tu que je te fasse une offre d’achat de 1,4 million sur ton immeuble de 900 000 $ ?” » lance-t-il » [3].
Et les experts constatent en effet que dès qu’une municipalité se prévaut de son droit de préemption les prix de vente sont artificiellement gonflés.
Cette surfacturation est d’autant plus scandaleuse que selon la Santé publique nombre de maisons de chambre nécessitent d’importants travaux d’entretiens tant ils sont insalubres. On parle d’humidité excessive, de moisissures et d’infestations de vermine ou d’insectes nuisibles. Et on sait que « 46% des chambreurs rapportent la présence de punaises de lit dans la maison de chambres au cours des 12 derniers mois ». [4]
Plusieurs questions viennent alors à l’esprit : la Municipalité a-t-elle procédé à des inspections des logements avant de se prévaloir de son droit de préemption ? A-t-elle sanctionné les contrevenants ? A-t-elle veillé à la réalisation des travaux requis pour assurer la salubrité avant le rachat ? De telles mesures contribueraient non seulement à garantir de meilleures conditions de logement aux premiers concernés mais aussi, très certainement, à faire baisser le prix d’achat.
Mais surtout, pour lutter contre ces propriétaires qui « abusent des pouvoirs publics » et s’en tordent de rire, la Municipalité a-t-elle envisagé de se prévaloir de l’article 952 du Code civil qui autorise les expropriations pour cause d’utilité publique ? En l’occurrence, il est question de santé publique et d’obligation d’agir en matière de droit au logement.
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