Bien souvent on le pointe du doigt comme étant à la source non seulement d’inégalités grandissantes, mais aussi de maux qui, comme la crise des changements climatiques, questionnent les fondements de nos sociétés contemporaines. Mais en quoi, quand on s’arrête à son fonctionnement même, ferait-il aujourd’hui particulièrement problème, et pourquoi faudrait-il savoir en reconnaître, par-delà les discours qui en encensent les résultats, les indéniables failles ?

C’est à ces questions que le livre de Hans Covas, Croissance, stagnation et crises financières, Essai sur les impasses du modèle néolibéral, tente de répondre. Mais il le fera —c’est là l’originalité de sa démarche— en revisitant les travaux contemporains d’économistes critiques ainsi qu’en montrant comment ils touchent tous à des contradictions de fond générés par le capitalisme mondialisé d’aujourd’hui. Le tout, en cherchant à montrer comment les théoriciens favorables au néolibéralisme les oublient systématiquement et tendent ainsi à faire l’impasse sur un pan décisif de la réalité.

Comme dans son livre précédent, il fera avancer la réflexion par petites touches et en développant sa pensée par le biais de trois courts essais qui s’attardent chacun à des problématiques différenciées et objets de bien des polémiques dans les milieux économiques spécialisés : (1) à quelle condition serait-il possible de s’extraire de cette possible période de "stagnation séculaire" qui semble caractériser notre époque ? ; (2) en quoi la catégorie de PIB, si largement encore utilisée aujourd’hui, rend aveugle aux blocages récurrents et structurels de la croissance capitaliste ? ; (3) de quelle manière les crises économiques, toujours minimisées par les théories néoclassiques, ressortent d’une instabilité foncière propre au développement capitaliste lui-même ?

C’est ainsi que dans son premier essai : stagnation séculaire : considérations conjoncturelles aux limites d’un mode de production défaillant, il prendra le temps de s’arrêter aux théories de Robert J. Gordon dont on sait qu’il est connu pour ses thèses sur ce ralentissement économique de longue portée que vivent actuellement les USA ainsi que sur « les 6 vents contraires » qui selon lui bloqueraient tout retour véritable à la croissance : notamment la montée des inégalité ainsi que le poids des questions énergétiques, écologiques et de l’endettement systémique, etc. Hans Covas pourra ainsi illustrer avec force l’hypothèse d’une possible stagnation séculaire et la relier aux limites structurelles du capitalisme tardif telles qu’ont pu les mettre en évidence, les économiste français Michel Husson et Jean-Marie Harribey.

Dans son second essai, Croissance et PIB : les impasses d’une vision strictement quantitative de la vie sociale, Hans Covas mettra le focus sur les intrinsèques limites de cet instrument de mesure qu’est le PIB. S’arrêtant autant sur les thèses de Dominique Meda (mettant en évidence le caractère "conventionnel "et "radicalement historique" du PIB) que sur celles de Jean Gadrey (montrant qu’il ne reflète pas une amélioration du "développement humain") et de Fred Hirsh (démontrant qu’il renvoie à une croissance incompatible avec les blocages sociaux induits par le capitalisme), il fera ainsi apercevoir comment la croissance matérielle promue par le capitalisme mène à une impasse faite de crises et de freins structuraux récurrents. Une impasse qu’une vision purement quantitative et individualiste de l’existence —et dont le PIB est le symptôme par excellence— ne fait que renforcer.

Dans son dernier essai, Un système économique saisi par les crises : un bref survol théorique et historique, il cherchera à asseoir ces intuitions précédentes en revenant à l’histoire du capitalisme et en montrant comment cette dernière est constellée de crises qui, loin de renvoyer à des accidents ou des imprévus, en constituent les modalités inhérentes. Revenant sur la crise de 1857 analysée par Marx, puis sur cette de 1929, il cherchera à éclairer les crises que nous connaissons aujourd’hui et à faire apercevoir comment leur multiplication et leur résolution sans cesse différée, traduisent l’existence d’un agencement économique global de plus en plus instable et fragilisé. S’arrêtant aux thèses de Irving Fisher et de Minsky, il fera ainsi voir le rôle central joué par l’endettement dans l’éclosion des crises contemporaines,

C’est ce que nous montre l’essai de Hans Covas : les nombreux travaux et recherches menés par les économistes critiques d’aujourd’hui —aussi spécifiques et différents soient-il pas ailleurs— finissent toujours par venir buter sur les contradictions structurelles propres au mode de production capitaliste. À l’heure où se multiplient les analyses les plus diverses sur la multiplicité des maux qui nous assaillent (oppression de classes, de genre, de race, prédations écologiques vis-à-vis du "vivant", etc.), il reste comme jamais nécessaire d’être attentif aux rouages de cette machinerie économique qui ne cesse de façonner et refaçonner nos conditions matérielles d’existence de manière si contradictoire. C’est ce à quoi nous invite l’essai de Hans Covas et c’est là tout son intérêt.

Québec, le 25 mai 2023