Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

Crise du souverainisme péquiste et stratégie alternative

Aux dernières élections fédérales, le Bloc québécois est passé de 47 à 4 députés. C’est un pilier important du souverainisme péquiste qui disparaissait.

Quelques semaines plus tard, des députés souverainistes quittaient le Parti québécois. Un groupe de « jeunes » députés invitaient Jacques Parizeau à ne pas intervenir dans les débats du Parti québécois et à ne pas questionner leur ralliement à la gouvernance souverainiste qui reporte aux calendes grecques la tenue d’un référendum sur la souveraineté du Québec.

Aujourd’hui, des souverainistes se questionnent sur l’éventuelle formation d’un nouveau parti indépendantiste. D’autres supputent les possibilités de refaire du PQ un véhicule de la lutte indépendantiste si jamais Pauline Marois quittait la direction du Parti québécois. D’autres envisagent la mise sur pied de coalitions d’organisations pour faire la promotion de la souveraineté auprès de la population. En fait, nous assistons à une crise majeure de la domination péquiste sur le mouvement souverainiste. Mais on ne pourra dépasser la situation actuelle et éviter de retomber dans les mêmes ornières si nous ne pouvons pas identifier les fondements historiques de cette crise par delà les événements récents ?

Fondements et usure du souverainisme péquiste

Le PQ s’est construit comme un bloc social regroupant des secteurs organisés des masses populaires jusqu’aux classes tenant de l’appareil d’État, lesdites couches technocratiques. Cette coalition s’est mise en place à la fin de l’onde longue expansive du capitalisme 45-75 (les trente glorieuses) où le modèle d’accumulation fordiste était marqué par un élargissement du pouvoir de consommation des masses et la mise en place d’un État providence. Au Québec, ce modèle de concertation sociale trouvait son aboutissement utopique dans la souveraineté-association qui condensait tant l’espérance de la consolidation de cet État providence que celui de l’émancipation nationale.

Le retournement de cette onde longue expansive à la faveur de la première récession généralisée à l’échelle internationale en 74-75 devait nous faire entrer pour toute une période dans une phase économique marquée par la stagnation, des reprises plus courtes et plus faibles et le développement du chômage de masse. Les stratégies de la bourgeoisie pour faire face à cette situation ont été modifiées radicalement. L’objectif du plein emploi a été rejeté. On a commencé à s’attaquer à l’État providence et à favoriser la privatisation des services. Ce changement structurel profond marqué par une offensive systématique contre les acquis des classes populaires a commencé à mettre à mal la coalition péquiste. Déjà en 1982, le gouvernement péquiste, adoptant la nouvelle idéologie reflétant les nouveaux impératifs de la bourgeoisie, s’attaquait à ses alliés syndicaux rompant une alliance qui devait conduire à la défaite de 1985.

En même temps, la faillite de la stratégie référendaire qui tentait de découpler les perspectives nationales des perspectives sociales et qui cherchait à gagner la majorité par un marketing politique devait amener la direction péquiste en 1985 à renouer avec la volonté de réforme du fédéralisme et à tenter ce qui fut appelé le beau risque. Ce beau risque devait conduire à l’affirmationnisme de Pierre-Marc Johnson qui voulait harmoniser le programme du Parti québécois avec les aspirations des secteurs nationalistes de la bourgeoisie québécoise à se cantonner dans une politique autonomiste tout au plus. Cette politique a miné les bases du Parti québécois qui se vidait littéralement de ses membres et qui a alors connu une série de scissions nationalistes qui ont même touché le conseil des ministres du gouvernement péquiste. C’est pour sauver un parti en perdition que Jacques Parizeau a organisé un putsch contre la direction Johnson et promis la tenue de nouveau référendum comme axe essentiel de la stratégie péquiste.

Mais la stratégie référendaire de 1995 était basée sur la stratégie étroitement nationaliste. Le programme du Parti Québécois faisait nombre de compromis avec le néolibéralisme ambiant, ce qui s’exprimait par le fait que des chefs souverainistes se faisaient les principaux chantres du libre-échange. Le référendum de 95, eut beau brandir le projet péquiste comme un projet de résistance au vent de droite qui balayait l’Amérique du Nord, ce discours avait une crédibilité somme toute limitée à la lumière des politiques concrètes menées par ce parti au gouvernement et la politique d’alliance avec l’ADQ de Mario Dumont.

Avec la défaite au référendum de 1995, le départ de Parizeau, le PQ montra clairement son ralliement au néolibéralisme et toute la politique des Bouchard et Landry continua de miner la base électorale et sociale du Parti. La coalition péquiste qui s’est survécu, au-delà de l’épuisement de forces propulsives qui l’avaient mise en place, apparaît de plus en plus comme un rassemblement hétéroclite de courants qui ont peu en partage et l’épuisement de la légitimité de la stratégie référendaire qui liait encore les différents courants va permettre que la crise du PQ prenne un caractère de plus en plus sérieux.

La « saison des idées », débat ouvert au sein du PQ, n’a été qu’une tentative de masquer les contradictions qui se développaient dans le Parti québécois. L’aile souverainiste a tenté de redéfinir le programme du parti autour de la perspective de projet de pays et de dépasser l’approche provincialiste dans lequel s’était enfoncé le PQ. L’aile technocratique voulait en finir avec toute obligation d’initiative concrète concernant un éventuel référendum. Les indépendantistes au sein du PQ commençaient à percevoir clairement qu’ils étaient instrumentalisés par les couches technocratiques comme une force d’appoint pour accéder au pouvoir. La crise de leadership à répétition (Bouchard, Boisclair, Landry…) n’est que l’illustration des tensions inhérentes à une coalition de plus en plus instable.

La défaite subie par le PQ aux élections successives, va aggraver la crise qui mine ce parti. Les équilibres d’antan, sont définitivement rompus. Cette crise va d’abord être précipitée par l’offensive de la couche technocratique et clairement néolibérale du Parti. Elle rejette la perspective de projet de pays. Il s’agit pour cette couche de redéfinir le PQ plus à droite, de reprendre à son compte toute une série de propositions du Manifeste du Québec lucide dont elle avait d’ailleurs été à l’initiative (augmentation des frais de l’hydro-électricité, introduction de tarifs modérateurs dans la santé, ouverture à la privatisation de secteurs entiers de l’appareil d’État, retour vers un confédérationnisme pour s’adapter aux pressions à l’autonomisme, refus d’élargir le pouvoir et les droits des organisations syndicales, défense de plus en plus ouverte d’une fiscalité favorisant les entreprises, et surtout disparition de toute échéance précise pour la tenue d’un éventuel référendum. Ce sont les positions que la direction Marois impose au parti et qu’elle fait entériner au congrès d’avril dernier.

L’effondrement du bloc interclassiste à la base du souverainisme péquiste

Ce projet de la souveraineté péquiste a été porté par un bloc interclassiste dominé par la petite bourgeoisie québécoise cherchant à rallier une partie des classes populaires. Aujourd’hui, le néolibéralisme domine le discours et la pratique de la bourgeoisie comme de la petite bourgeoisie. Les classes populaires sont attaquées dans leurs acquis et dans leurs droits. La bourgeoisie québécoise dans son ensemble, n’a jamais soutenu le programme souverainiste et elle l’affirme de plus en plus ouvertement. Le projet Legault est l’affirmation ouverte de cette orientation. Le projet néolibéral qui traverse le PQ rend son alliance avec les classes ouvrières et populaires de moins en moins possibles. Et cela s’illustre, par la distance entretenue par la direction Marois envers les luttes du mouvement syndical.

Les indépendantistes du PQ ont perdu le contrôle de leur parti aux mains d’une oligarchie qui ne vise essentiellement que l’alternance provincialiste. Mais pour nombre de ces souverainistes, aucun bilan n’est encore tiré de la stratégie référendaire et de ses impasses. . La faillite de la stratégie référendaire c’est d’une part la faillite d’une stratégie qui défend la possibilité d’une rupture à froid avec l’État fédéral. C’est d’autre part, la faillite d’une stratégie qui se limite à un marketing politique qui donne peu ou pas de place à la souveraineté populaire laissant tout le contrôle de la parole aux élites nationalistes. C’est enfin la faillite de la croyance que la volonté d’un changement de pays peut se faire en rupture avec la lutte pour un projet de société plus démocratique et plus égalitaire. C’est la croyance que l’unité de la gauche et de la droite est un facteur de force alors qu’elle mine et affaiblit structurellement une alliance qui a une telle visée.

Construire une alliance sociale pour l’indépendance

La reconstruction du mouvement pour l’indépendance du Québec passera par le développement d’une alliance sociale indépendantiste défendant un programme de démocratie radicale et de transformation sociale. Une telle alliance refusera de séparer le projet de société égalitaire, féministe et écologique du projet de pays que le peuple du Québec aspire à construire. La majorité de la population du Québec est formée de travailleurs et de travailleuses. C’est cette majorité qui a intérêt à l’indépendance du Québec. Cela veut dire que c’est à partir des intérêts sociaux, nationaux et démocratiques de la population qu’il sera possible de dépasser la fragmentation politique actuelle. Aujourd’hui, la lutte pour l’indépendance ne peut se distinguer du projet de reprendre en mains nos richesses naturelles, d’en contrôler démocratiquement l’usage dans une perspective écologiste. elle ne peut se distinguer de la perspective de refonder notre société dans une logique qui refuse la concentration de la richesse aux mains d’une minorité ; elle ne peut se distinguer de la perspective de fonder une société refusant la domination patriarcale et sexiste. La perspective d’indépendance ne peut se distinguer surtout de la nécessité de refonder la démocratie que nous voulons dans une perspective de véritable démocratie citoyenne.

Le peuple québécois doit pouvoir reprendre la parole sur la définition de l’indépendance et de la société qu’il veut construire au Québec. La constituante pose cette nécessité de démocratie radicale, car elle permettra l’expression de la souveraineté populaire permettant de définir démocratiquement le Québec que nous voulons, un pays de projets qui saura rallier la majorité sociale autour d’un grand projet national.

La perspective de l’élection d’une constituante élue au suffrage universel est une alternative pour sortir du cul-de-sac actuel. Dans ce sens, cette nouvelle alliance indépendantiste pourra trouver un premier moment de concrétisation par la mise en place d’un mouvement pour la constituante... qui saura rallier tous les secteurs de la population autour d’une prise de parole libératrice définissant le pays que nous voulons nous donner.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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