Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Coton ouaté ou pas pour Catherine Dorion ?

Pas tous les coups d'éclat sont nécessairement bons !

Il n’y a pas de doute là-dessus : en revendiquant de pouvoir porter un gilet ouaté au parlement et en se moquant, à l’occasion de l’Halloween, de la rigueur de certains codes vestimentaires, Catherine Dorion s’attaque à l’empire du politiquement correct, c’est-à-dire à ce culte des apparences et à la moralité mise à son service, conduisant à ce qu’on pourrait appeler une tyrannie des bonnes manières.

À preuve la réaction de ces députés libéraux voulant pour cette raison, lui interdire l’entrée de l’Assemblée nationale. Et Christine Labrie, Porte-parole de la deuxième opposition en matière de lutte contre l’intimidation, a raison de rappeler qu’il y a là matière à s’indigner, puisque le parlement –institution en principe démocratique— est « la maison du peuple », qu’elle devrait donc être la maison de tous et toutes, et pas seulement celle de l’élite économique et culturelle, de ses codes vestimentaires ringards et obligés. Dont acte !

Quand la rectitude politique peut facilement vous rattraper

Il n’est pourtant pas aussi simple qu’il n’y paraît de s’attaquer à la rectitude politique, car cette dernière peut facilement vous rattraper tant elle colle à la peau de notre époque. Françoise David rappelait dans Le Devoir de la fin de semaine que le geste de Catherine Dorion lui faisait penser aux interventions passées d’Amir Khadir alors qu’il était député de QS. Notamment quand il a lancé un soulier dans une manifestation contre une effigie du président Bush, s’est fait arrêter dans une autre, ou encore a traité de « lâche » l’ex-président de la caisse des dépôts.

Il reste qu’ici les nuances sont décisives. Les coups d’éclat d’Amir Khadir, s’ils étaient le fait de son individualité propre et s’ils étaient largement répercutés dans les médias, l’étaient toujours depuis une perspective collective, une perspective politique critique : pensés certes comme moyen d’attirer l’attention sur soi, mais pour mieux faire connaître le programme en acte de Québec solidaire, ou encore pour mieux se faire l’écho de ces mouvements sociaux en lutte ou en butte aux menées du pouvoir, comme par exemple le mouvement étudiant, tant et tant réprimé en 2012.

Un étiolement de nos pratiques politiques démocratiques

On l’oublie trop souvent : contrairement à ce qu’affirme Mathieu Bock Côté ou encore Richard Martineau, la rectitude politique n’est pas seulement une atteinte possible aux libertés individuelles ou à la liberté d’expression. Elle correspond aussi et surtout à un étiolement, un affaissement de nos pratiques politiques démocratiques voulant qu’on ne se soucie –comme dans le cas de la double morale bourgeoise— que de l’apparence des choses et non pas des choses elles-mêmes, que du spectacle médiatique que l’on a pu organiser à leur propos. Conduisant ainsi une majorité de politiciens-nes à être moins préoccupée de changer concrètement « un monde injuste » que de sauver les apparences en la matière et de conserver en tout un statu-quo immobilisant : le statu-quo social-libéral. Justin Trudeau est le champion toutes catégories de cette manière de faire, lui qui par exemple se met en scène comme grand défenseur de l’écologie alors qu’il promeut dans les faits –via le pipe-line Transmountain— le développement du pétrole sale de l’Alberta.

L’ambiguïté d’un geste

C’est peut-être ici l’ambiguïté du geste posé par Catherine Dorion : lutter contre la rectitude politique, ce n’est pas seulement affirmer envers et contre tout sa liberté individuelle, c’est aussi penser en même temps cette affirmation comme moyen de se faire l’écho des luttes sociales existantes, comme moyen de renforcer le pouvoir d’expression collectif de la société civile d’en bas, comme moyen d’en finir avec le statu quo social paralysant promu par les élites. Et pour cela, ce n’est pas sûr que tous les coups d’éclat soient bons ! A fortiori quand il s’agit de coton ouaté : un écran de fumée qui risque de nous faire oublier bien des questions autrement décisives.

Pierre Mouterde, sociologue et essayiste, auteur de : Les impasses de la rectitude politique, Montréal, Varia, octobre 2019

PS : Je pense ce soir à ce qui se passe au sud de l’Amérique : au Chili en flamme et où se multiplient de dramatiques et massives atteintes aux droits humains. Ou encore au coup d’État feutré qui vient d’être perpétré contre Évo Morales en Bolivie, avec l’appui complice de l’OEA. Et sans que le gouvernement de Justin Trudeau n’en soit scandalisé et n’ait songé à se distancier – ne serait-ce que minimalement— des positions des USA en la matière : soutien sans faille d’un côté au président Pinera (émule en son temps de Pinochet et adepte à tout crin du néolibéralisme), et de l’autre côté descente en flèche du premier président indigène de la Bolivie. N’est-ce pas d’abord autour de telles questions qu’il faudrait oser faire des coups d’éclat ?

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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