Canon de beauté, féminité sont ici « abordés du coté de l’idéologie de la non-mixité et du dogmatisme biomédical des milieux sportifs ».
D’un coté il s’agit de « réactualiser un vieux préjugé sur la faiblesse des femmes et la débilité de leur corps », de l’autre de « préférer les sportives qui, paradoxalement, n’ont pas l’air de l’être ». Mais au fond la question, que posent ces pratiques sportives, est d’une autre dimension « Comment maintenir une hiérarchie des sexes tout en promouvant une supériorité de classe ou de race, dans un contexte qui est celui de l’impérialisme » Si cette formulation peut sembler excessive, elle a le grand mérite de souligner que « la féminité » dans les compétitions sportives est bel et bien une question politique. Et en cela, ce livre est indispensable. Soulevant le poids idéologique d’un »il ne doit y avoir que deux sexes », le livre traite de l’acharnement biomédical sur « les individuEs »bizarres » », de l’intersexualité, des trans, du « genre kaléidoscopique des corps » et confirme « qu’il doit y avoir bien plus de deux sexes ».
Au cœur de l’ouvrage : la déconstruction des « prémisses naturalistes » et un questionnement sur les pratiques sportives sexuées et leur présupposé sur l’inégalité biologique des sexes.
Anaïs Bohuon revisite ici l’histoire sociale du « contrôle de féminité ».
Le livre est composé de quatre chapitres
1.Le « spectre de la virilisation » des sportives
2.L’histoire des tests de féminité : du contrôle gynécologique et morphologique à la recherche du chromosome Y
3.La « vraie femme » : une définition impossible
4.L’intersexuation dans le monde du sport : l’éthique sportive bouleversée ?
Le titre de cette note utilise « l’expression métaphorique »d’archipel du genre » » que Vincent Guillot propose en remplacement de l’idée de continuum, présent dans un citation de Ilana Lowy reproduite « Si le sexe social est construit sur un mode binaire, le sexe biologique se présente comme un continuum, avec, aux deux extrêmes, les »sexes biologiques » clairement définis et, au milieu, une large gamme de situations intermédiaires – des individus »intersexe ». »
Un livre à la fois sur la reconstruction en permanence du corps genré, « Le corps genré est bel et bien construit, voire reconstruit, toujours dans le même objectif de maintenir la bicatégorisation sexuée », sur l’impossible définition univoque du sexe biologique, sur la suspecte gestion médicale de l’identité sexuée, sur la construction idéologique de la différence contre l’égalité, sur l’orientation géopolitique des soupçons « L’orientation géopolitique des soupçons renvoie en définitive aux critères normatifs d’une féminité définie à partir d’un idéal occidental qui a toujours régi l’intégration des femmes au monde monde du sport », sans oublier la souffrance provoquée des athlètes déniées comme Caster Semenya, etc… De multiples analyses et réflexions passionnantes.
En conclusion de son remarquable ouvrage, Anaïs Bohuon souligne que l’intersexuation et la transidentité « remettent fondamentalement en cause un des principes de base de la compétition : l’idée que la catégorisation garantit l’équité ». Elle ajoute « Les questions d’identité sexuée mettent en lumière ce paradoxe : il est en effet troublant de constater que contrairement à toutes sortes d’avantages morphologiques, physiques, physiologiques ou génétiques qui suscitent l’admiration, seule la supériorité imputée à l’intersexuation est contestée. Le brouillage qu’elle opère sur la catégorisation sexuée désoriente les milieux sportifs ». L’auteure revient aussi sur la philosophie et la culture du sport. « La question fondamentale à se poser porte sur la pertinence, l’objectivité et la validité juridique de ce qu’on entend par »femme », »féminin », »féminité », et par »homme », ‘masculin », »masculinité » ».
Une question qui dépasse le sport et interroge plus largement dans nos sociétés.
A lire, indépendamment de sa « sensibilité » ou non à la compétition, au dépassement de soi, aux chronomètres et autres mesures et au sport de manière plus générale.
Didier Epsztajn