Édition du 15 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La guerre en Ukraine - Les enjeux

Entretien avec Carola Racketa sur la solidarité avec le peuple ukrainien

Christan Zeller, Où va la gauche européenne ? Avec Carola Rackete !

« Être de gauche signifie être du côté des opprimés, que ce soit en Palestine, au Kurdistan ou en Ukraine : c’est pourquoi l’UE doit continuer à livrer des armes à Kiev et autoriser des attaques sur le territoire russe ». C’est ainsi que l’ancienne capitaine de Sea Watch Carola Rackete, élue sans étiquette au Parlement européen sur la liste du parti DIE LINKE, explique pourquoi elle a voté en faveur de la dernière résolution du Parlement européen sur le soutien militaire à l’Ukraine.
L’interview de Marco Bresolini a été publiée le 28 septembre 2024 dans le quotidien italien
 La Stampa. Carola Rackete mérite un large soutien pour sa position cohérente.

L’avez-vous fait[en votant oui] pour marquer sa dissidence au sein du groupe « The Left » ?

« Il y a différentes positions dans notre groupe, et la mienne s’oriente vers celle des partis de gauche scandinaves : Finlande, Suède et Danemark. Être de gauche, c’est être solidaire des peuples opprimés et s’opposer aux dictatures, que ce soit en Russie, au Venezuela ou en Syrie. Il faut se placer du côté de ces gens et écouter leurs besoins. C’est ce que j’ai fait avec les ukrainiens:nes, avec les mouvements progressistes du pays : ce sont eux qui nous disent combien il est important d’obtenir des armes pour nous défendre. C’est pour cette raison que j’ai voté en faveur de la résolution ».

Ceux qui disent que la livraison d’armes ne fait qu’attiser la guerre et éloigner la paix ont-ils donc tort ?

« Mais il n’y a pas de paix sans justice. Si nous cessons de fournir des armes, l’Ukraine finira par ne plus être en mesure de se défendre et sera occupée par la Russie. Des millions de personnes seront contraintes de fuir et des millions devront vivre sous une dictature. Ceux qui disent qu’il faut déposer les armes pour obtenir la paix ne cherchent pas la justice. Moi aussi je veux la paix, les Ukrainiens aussi veulent la paix : ils n’ont pas demandé à être envahis ! Mais nous avons besoin d’une paix juste. Et la condition préalable à la paix est que Poutine retire ses troupes du territoire ukrainien. C’est pourquoi nous devons soutenir l’appel à l’autodéfense qui vient de Kiev ».

L’Ukraine demande également à pouvoir utiliser des armes occidentales pour frapper des cibles militaires en Russie : Presque tous vos collègues italiens ont voté contre ce point de la résolution, ce qui correspond à la position du gouvernement, alors que vous étiez pour. Et pourquoi ?

« Depuis deux ans et demi, la Russie bombarde les infrastructures civiles en Ukraine, faisant des victimes innocentes. Si nous voulons aider les Ukrainiens à se défendre efficacement, nous ne pouvons pas leur dire : attendez que les missiles passent la frontière et vous tombent sur la tête. Nous devons permettre aux Ukrainiens de détruire les cibles militaires à l’origine des attaques. C’était l’objet de la résolution, je n’aurais jamais voté pour un texte appelant à bombarder des civils....

« .Les gouvernements européens devraient-ils donc, selon vous, lever les restrictions ?

« Beaucoup de pays et de personnes en Europe disent qu’ils soutiennent l’Ukraine, mais ils le font en serrant le frein à main. Si nous sommes d’accord sur qui a raison et qui a tort, nous ne pouvons agir que de cette manière. J’ai toujours été critique envers l’OTAN, mais dans ce cas, la situation est claire comme de l’eau de roche : c’est la Russie qui a envahi l’Ukraine, pour la deuxième fois, après avoir également envahi la Géorgie. Poutine ne reconnaît pas la souveraineté de l’Ukraine et veut la détruire. Il y a un peuple clairement opprimé et il est de notre devoir de l’aider à se défendre ».

Vous n’avez toutefois pas voté pour l’envoi de missiles Taurus : Avez-vous également tiré le frein à main ?

« C’est un sujet très controversé, surtout en Allemagne, sur lequel je ne suis pas totalement convaincue. Mais sur ce point particulier, je n’ai pas voté contre, je me suis abstenue ».
La guerre en Russie a-t-elle changé votre attitude envers le pacifisme ?

« Cette guerre n’a pas commencé en 2022, mais en 2014. Je vivais alors en Russie et j’ai visité l’Ukraine à plusieurs reprises au cours des années suivantes, avant 2022. J’ai vu de mes propres yeux à quel point les Ukrainiens étaient en colère contre l’UE pour son manque de soutien et son désintérêt pour un conflit qui se poursuivait à l’est du pays. J’ai eu suffisamment de temps pour réfléchir à ce conflit ».

« Je continue à critiquer l’OTAN pour les erreurs qu’elle a commises, notamment en Afrique du Nord ou dans l’ex-Yougoslavie. Mais être de gauche, c’est être du côté des opprimés, que ce soit en Palestine, au Kurdistan ou en Ukraine. Je suis aux côtés des habitants de Hong Kong et de Taiwan, pour le droit à l’autodétermination et pour la démocratie. Ce n’est pas une question d’Est ou d’Ouest, de Russie ou d’OTAN. C’est une question d’impérialisme. Il faut aider les plus faibles à se défendre contre les abus des plus forts, et la Russie est clairement plus forte que l’Ukraine ».

Les menaces nucléaires de Poutine ne vous font-elles pas peur ?

« Je pense que c’est du bluff. Nous oublions souvent que les seuls à avoir lancé une bombe atomique sont les Etats-Unis, la Russie ne l’a jamais fait ».

Selon vous, l’UE n’est pas assez active pour soutenir Kiev ?

« Les sanctions décidées sont décevantes parce qu’elles sont insuffisantes et ridicules. Nous continuons à importer des combustibles fossiles comme le gaz et à financer ainsi la guerre de la Russie. Les sanctions devraient être plus sévères et mieux ciblées. La société civile devrait également en faire plus pour mieux comprendre la situation et les difficultés économiques des Ukrainiens : Il y a beaucoup de spéculation capitaliste dans la reconstruction de l’Ukraine ».

Informations sur le vote du PE (Parlement européen) auquel pareticipait Carola Rakete et commentaire de Christian Zeller (Emanzipation - Autriche)
 

Christan Zeller, Où va la gauche européenne ? Avec Carola Rackete !

Le 19 septembre, le Parlement européen a voté à une large majorité (425 pour, 131 contre, 63 abstentions) la résolution « Soutien financier et militaire continu des États membres de l’UE à l’Ukraine »[1] [ 2].

Les membres du groupe « The Left » ont voté en ordre dispersé : 20 députés ont rejeté la résolution, 9 l’ont approuvée et 12 se sont abstenus. Carola Rackete, élue en juin dernier au Parlement européen sans étiquette sur la liste du parti LA GAUCHE, a voté pour, avec les députés de gauche des pays nordiques. Carola Rackete s’est fait connaître internationalement en 2019 en tant que capitaine du navire de sauvetage Seawatch 3, lorsqu’elle a sauvé de nombreux réfugiés et tenu tête au ministre italien de l’Intérieur de l’époque.

Cette résolution demande :

1. que l’UE et ses États membres s’emploient à « maintenir et à susciter le soutien international le plus large possible en faveur de l’Ukraine et à trouver une solution pacifique à la guerre, qui doit être fondée sur le plein respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, sur les principes du droit international, sur l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre et le crime d’agression, et sur les réparations et autres paiements de la Russie pour les dommages massifs causés en Ukraine » ; demande que l’UE s’engage activement dans la mise en œuvre de la formule de paix de l’Ukraine et dans la mise en place des bases pour la tenue du deuxième sommet de paix. "
2. La livraison de suffisamment de munitions à l’Ukraine et l’autorisation d’attaques ukrainiennes contre des infrastructures militaires en Russie ;
3. l’application et l’extension des sanctions militaires contre la Russie et ceux qui la soutiennent ;
4. la confiscation des avoirs de l’État russe afin de compenser l’Ukraine pour les destructions ;
5. l’application d’un embargo total sur le gaz naturel liquéfié en provenance de Russie et des sanctions contre Gazprom et les compagnies pétrolières russes ;
6. que tous les États membres de l’UE et les alliés de l’OTAN s’engagent collectivement et individuellement à consacrer au moins 0,25 % de leur PIB par an à l’aide militaire à l’Ukraine.
7. La deuxième demande vise à ce que l’Ukraine puisse également attaquer des lanceurs de missiles en Russie avec des armes des pays de l’OTAN. Cela lui est jusqu’à présent interdit et signifie que la population ne peut pas être protégée efficacement contre les bombardements russes. Toutefois, la résolution s’inscrit dans la politique générale hautement problématique de l’UE et de l’OTAN[3].

Néanmoins, dans une perspective solidaire, écologique et émancipatrice, il est justifié de voter en faveur de cette résolution et Carola Rackete justifie son vote de manière claire et compréhensible dans une interview avec le journal italien La Stampa.

Les députés Andersson, Kyllönen et Saramo du Vasemmistoliitto (parti de gauche) finlandais, Clausen du Enhedslisten (parti rouge-vert) danois, Gedin et Sjöstedt du Vänsterpartiet (parti de gauche) suédois, Hazekamp du Partij voor de Dieren (parti pour les animaux) néerlandais, Omarjee de la France Insoumise et Rackete, sans étiquette, d’Allemagne, ont voté oui.

Les huit députés Antoci, Della Valle, Furore, Morace, Palmisano, Pedullà, Tamburrano et Tridico du Movimento 5 Stelle italien et Salis de la Sinistra Italiana (Gauche italienne), Arvanitis de la Syrzia grecque, Barrena Arza de la El Bildu basque ont voté contre, Botenga et Kennes du Partij van der Arbeid (Belgique), Montero et Serra Sánchez de Podemos et Galán de Sumar (Espagne), Martins du Bloco de Esquerda et Oliveira du Partido Comunista Português (Portugal), Everding du Tierschutzpartei (Allemagne) et Demirel de DIE LINKE.

Les députés Aubry, Carême, Chaibi, Fourreau, Hassan, Mesure, Saeidi, Smith (tous de la France Insoumise), Boylan et Funchion du Sinn Fein et Flanagan (indépendant) d’Irlande ainsi que Schirdewan de DIE LINKE se sont abstenus.

Il est frappant de constater le poids important du Mouvement 5 étoiles, un mouvement populiste difficile à cerner politiquement, qui défend parfois des positions de droite. Ainsi, 2019 a soutenu la politique raciste de Salvini, alors ministre de l’Intérieur, et ses attaques contre le sauvetage en mer de Carola Rackete.

Le journal Junge Welt, qui se fait depuis des années le porte-parole de l’impérialisme russe, a lancé après le vote une campagne malveillante contre Carola Rackete, à laquelle se sont joints sur les médias sociaux des membres du parti DIE LINKE et des collaborateurs/trices de la fondation Rosa Luxemburg.

Ceux qui attaquent Carola Rackete de manière calomnieuse et falsifiée et l’accusent même, de manière absurde et hors du contexte, de favoriser une guerre mondiale par sa position, refusent systématiquement de donner une réponse sur la manière dont les salariés ukrainiens peuvent se défendre contre l’attaque russe contre leur société.

Ces attaques calomnieuses contre Carola Rackete ne servent pas la paix, mais font finalement le jeu des tentatives de chantage du régime de Poutine et apportent de l’eau au moulin des racistes, des nationaux-conservateurs et des fascistes de toute l’Europe. L’arrivée des députés du Mouvement populiste italien 5 étoiles au sein du groupe de la gauche au Parlement européen déplace l’orientation de ce dernier nettement vers la droite et indique que certaines forces ne veulent délibérément pas établir de démarcation claire avec les positions souverainistes nationales.

Ces dernières années, Carola Rackete a suffisamment prouvé qu’elle s’opposait avec détermination et efficacité aux forces fascistes, racistes et nationales-conservatrices. Face aux pires menaces, elle a sauvé de nombreuses personnes. Qui, parmi les écrivains malveillants, a déjà réussi à s’opposer à un ministre de l’Intérieur raciste et à ses forces de répression ? Carola Rackete représente une résistance conséquente au racisme et se bat résolument pour le démantèlement et la socialisation des industries fossiles.

Il est juste de s’opposer à la vague de réarmement de l’OTAN et des pays de l’UE. On le fait de manière crédible si l’on se solidarise en même temps avec la résistance ukrainienne contre la menace existentielle de l’impérialisme russe. C’est ce que nous avons également affirmé dans notre déclaration internationale « Ukraine : A People’s Peace not an Imperial Peace »[4].
C’est pourquoi il est juste de soutenir l’Ukraine, c’est pourquoi il faut s’opposer aux exportations d’armes vers d’autres États qui attaquent leurs propres populations et celles des pays voisins (par exemple Israël, la Turquie, l’Arabie saoudite). C’est pourquoi il faut socialiser l’industrie de l’armement afin de la contrôler démocratiquement et de déterminer ses produits ; enfin, la déconstruire de manière coordonnée au niveau transnational ou la transformer en une industrie utile sur le plan social et écologique.

J’ai présenté quelques réflexions plus approfondies dans l’article « Paix en Ukraine et perspectives écosocialistes en Europe » dans emanzipation. Il est évident qu’il est urgent d’entamer une discussion transnationale et européenne sur ces défis[5].

Références

L’interview a été publiée le 28 septembre 2024 dans le quotidien italien La Stampa et a été traduite en allemand par Christian Zeller.

[1] Parlement européen, 19 septembre 2024 : P10_TA(2024)0012. Soutien financier et militaire continu des États membres de l’UE à l’Ukraine https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-10-2024-0012_DE.pdf

[2] MPE : L’Ukraine doit être en mesure d’attaquer des cibles militaires légitimes en Russie. Press Release 19 septembre 2024 MPEs : Ukraine must be able to strike legitimate military targets in Russia | News | European Parliament (europa.eu)

[3] Minutes - Résultats des votes par appel nominal. Thursday, 19 September 2024 - Strasbourg Poursuite du soutien financier et militaire à l’Ukraine par les États membres de l’UE https://www.europarl.e uropa.eu/doceo/document/PV-10-2024-09-19-RCV_EN.html ?fbclid=IwY2xjawFmg39leHRuA2FlbQIxMAABHUVXoHMr0rVWuR-bvF8vTNNM3CT8BS6AaqhJqe2bO_YxGOhPG5jVW3xVYg_aem_XUPNEi44pJXWU5AfY0KtuQ#169676#959974

[4] Déclaration internationale en allemand et 14 autres langues : Ukraine : A People’s Peace not an Imperial Peace. https://emanzipation.org/2024/06/a-peoples-peace-not-an-imperial-peace/ Version en anglais avec liste des signataires, 6 juillet 2024 : https://emanzipation.org/wp-content/uploads/2024/07/2024_07_09_Ukraine_peace_conference_declaration_endorsements.pdf

[5] Christian Zeller, 25 juillet 2024 : Paix en Ukraine et perspectives écosocialistes en Europe. https://emanzipation.org/2024/07/frieden-in-der-ukraine-und-oekosozialistische-perspektiven-in-europa/

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