Édition du 19 novembre 2024

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Planète

Cali (Colombie), reportage

COP16 : un échec cuisant sur le financement

Après d’intenses négociations, la COP16 s’est achevée avec l’obtention de textes inédits notamment sur les peuples autochtones, mais aucun accord financier n’a été trouvé.

4 novembre 2024 | tiré de reporterre.net | Photo : La présidente de la COP16 et ministre de l’Environnement colombienne Susana Muhamad (au centre) assiste à la dernière séance plénière de la COP16 à Cali, en Colombie, le 2 novembre 2024. - © AFP / Joaquin Sarmiento
https://reporterre.net/COP16-biodiversite-les-Etats-echouent-a-trouver-un-accord-sur-le-financement

Combien de fois a-t-on entendu depuis l’ouverture de la COP16, le 21 octobre, qu’il ne restait que six ans pour appliquer les 23 objectifs de l’accord de Kunming-Montréal, adopté en 2022 ? Combien de scientifiques, représentants d’ONG, de peuples autochtones et de la société civile se sont époumonés pour rappeler l’urgence ? À Cali, en Colombie, tout le monde semblait prévenu de l’état alarmant de la biodiversité, et prêt à en découdre. Mais il aura fallu attendre les tout derniers instants de la COP16 pour que certaines des questions les plus épineuses soient tranchées.

Il faisait déjà nuit noire depuis bien longtemps le 1er novembre lorsque l’assemblée réunie en plénière a finalement mis les pieds dans le plat, après des heures passées à disserter sur les crochets d’une dizaine de textes annexes. Sur les coups de 5 heures du matin, le partage « équitable et juste » des bénéfices tirés des ressources génétiques numériques (DSI en anglais) a finalement été adopté, après plusieurs objections de l’Inde ou du Japon, sous une pluie d’applaudissements, réveillant ceux qui commençaient à piquer du nez.

Prélevées par les industries pharmaceutiques, agricoles, cosmétiques et biotechnologiques, elles sont souvent récoltées dans les pays en développement mais bénéficient aux pays développés. Le texte adopté stipule que les entreprises qui utilisent ces ressources devront verser 0,1 % de leur revenu ou 1 % de leurs bénéfices dérivés des données génétiques de la nature au nouveau « Fonds Cali », sur la base de contributions volontaires. Des délégations comme le Canada et le Chili ont salué un accord historique, tandis que le représentant du Brésil a rappelé le bras de fer habituel sur cette question, pointant les pays du Nord qui « pillent les richesses des pays en développement ».

Un nouveau statut pour les peuples autochtones

« C’est une avancée majeure, nous étions inquiets de voir des pays comme la France défendre des entreprises qui piochent dans la nature depuis des décennies sans jamais rétribuer les populations autochtones qui en prennent soin », commente Arnaud Gilles, responsable diplomatie verte du WWF France. Rapport au fait que ce fonds, sous la garde de l’Organisation des Nations unies (ONU), répartira ensuite l’argent entre les pays en développement et les peuples autochtones.

Ces derniers se sont réjouis de cette décision, quelques heures après avoir célébré dans la salle bondée de la séance plénière le premier accord majeur de la soirée : la création d’un organe permanent de la Convention sur la diversité biologique (CDB) représentant les peuples autochtones et les communautés locales. Hautement plébiscité par ces derniers, cet organe leur permettra d’avoir un statut renforcé dans les futures négociations. Joseph Itongwa, coordinateur d’un Réseau mondial des populations autochtones et locales, rappelle qu’il y a «  un lien entre les peuples autochtones, l’utilisation des ressources et la pérennité de la biodiversité. Et que créer cet organe permet de le renforcer ».

Lire aussi : COP16 : « Il y a des peuples indigènes, mais c’est surtout une foire commerciale »

L’émotion était immense pour les peuples autochtones, venus en grand nombre assister à ce moment qui « marquera l’histoire de la COP », certifie Camila Paz Romero, leur porte-parole dans la salle. « Ce nouvel organe subsidiaire est une référence pour le reste du monde, il montre que les partis reconnaissent la nécessité constante de notre participation. » La présidente de la COP16 et ministre de l’Environnement colombienne Susana Muhamad n’a pas non plus caché sa joie depuis l’estrade, brandissant un bâton traditionnel autochtone. En tant que ministre, cette décision représente pour elle une victoire nationale, une promesse politique tenue. Et un épilogue heureux pour cette COP16 surnommée « Paix avec la nature ».

Cinq minutes plus tard, l’assemblée a adopté l’autre promesse faite par la présidence colombienne, dans une salle tout aussi émue : la reconnaissance des communautés d’ascendance africaine dans le texte de la CDB. Le consensus ne semblait pourtant pas évident sur ce sujet mis sur la table par la Colombie et le Brésil durant la première semaine de la COP16, auquel une partie du groupe Afrique s’était opposé, arguant que cette question n’avait « rien à faire » au sein de cet article.

Pas de décision sur le financement de la nature

Les 196 délégations repartent en revanche sans avoir tranché sur un point essentiel des négociations de la COP16 : la stratégie financière, soit les milliards nécessaires à la préservation de la biodiversité. Des besoins qui s’élèvent à au moins 20 milliards de dollars (18 milliards d’euros) de transferts des pays développés vers les pays en développement par an d’ici 2025, et au moins 30 milliards d’ici 2030, d’après le cadre de Kunming-Montréal.

Le texte associé, qui devait être examiné par l’assemblée, n’a été remis aux parties qu’à 3 heures du matin, pendant les discussions. Au point que certains observateurs s’interrogeaient sur la bonne volonté de la présidence de vouloir trancher cette question. Ce texte ouvrait notamment la voie à la création d’un nouveau fonds, réclamé par les pays du Sud et notamment le groupe Afrique, qui considèrent que le fonds actuel est difficile d’accès et pas favorable à leurs intérêts. Ce fonds est d’ailleurs aujourd’hui « davantage attribué aux pays émergents comme le Brésil ou la Chine », rappelle Juliette Landry, spécialiste de la gouvernance et des négociations internationales sur la biodiversité à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Lire aussi : Biodiversité : les pays riches rechignent à réparer les dégâts

Safiya Sawney, ambassadrice envoyée pour le climat de l’île caribéenne Grenade, rappelle que le problème réside aussi dans la considération qu’ont les pays du Nord pour des pays vulnérables comme le sien. « Les pays développés ont une responsabilité. Et si ces problèmes d’accès ne sont pas réglés, nous ne pourrons pas atteindre les objectifs mondiaux. » Les pays développés, hostiles à la multiplication des fonds, estiment pour leur part que le mécanisme actuel, hébergé par le Fonds mondial pour l’environnement, fonctionne déjà bien.

Finalement, c’est le représentant du Panama qui a mis un terme aux dix longues heures de séance et provoqué le coup de marteau final, en faisant remarquer que le nombre de délégués encore dans la salle était désormais insuffisant pour constituer le quorum et continuer de débattre sur cette importante question. David Ainsworth, le porte-parole de la CDB, a annoncé que la clôture formelle des travaux de la COP16 serait donc reportée à une date ultérieure.

Interdépendance climat-biodiversité

Cette soirée aura aussi été marquée par l’adoption d’un texte essentiel qui place la biodiversité au même niveau que la décarbonisation et le changement climatique. Un symbole important pour donner le flambeau à un autre pays d’Amérique latine, le Brésil, qui accueillera la COP30 sur le climat à Belém l’an prochain. Alors que la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) affirme dans ses travaux que le changement climatique est une des causes majeures directes du déclin de la biodiversité, cette décision devra permettre de créer des synergies pour résoudre ces crises.

Parmi les autres avancées notables, on retiendra aussi le texte sur les zones marines d’importance écologique ou biologique, fruit d’un processus de négociations de huit ans, pour l’identification et la cartographie des aires marines à protéger. « C’est important, au moment où le traité sur la haute mer entre en vigueur, car nous cherchons à protéger des zones océaniques situées au-delà de la juridiction nationale », précise Pepe Clarke du WWF. À l’heure actuelle, seulement 8,4 % des zones marines et côtières font l’objet d’une forme de protection, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Alors que seuls 44 des 196 pays ont établi un plan national pour enrayer la perte de biodiversité, et que 119 ont soumis des engagements sur tout ou partie des objectifs, la délégation française regrette qu’un cadre de suivi « clair » permettant de suivre les progrès des États. De leur côté, les ONG placent de grands espoirs sur la prochaine édition, qui devra faire un bilan sur les avancées. Rendez-vous donc à Erevan en Arménie, désignée pour accueillir la COP17 en 2026 face à son ennemi historique l’Azerbaïdjan. Une preuve de plus, s’il en fallait, que ces conférences onusiennes sont éminemment politiques.

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