Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2015

Contre l'offensive des partis de la classe dominante, la résistance populaire est la seule véritable réponse !

Le terrain électoral est un terrain de lutte que la gauche politique et sociale ne peut ignorer. La prise de pouvoir par le Parti conservateur a démontré la capacité d’un tel parti de s’appuyer sur le pouvoir d’État pour faire évoluer les rapports de force en faveur de la bourgeoisie, pour miner les conquêtes sociales et réduire les acquis démocratiques arrachés de hautes luttes. C’est le niveau d’organisation et de mobilisation des classes ouvrières et populaires qui est déterminant de ces rapports de force. Nous verrons que le mouvement syndical et les différents mouvements sociaux ont engagé des batailles essentielles face à l’offensive de la classe dominante dans l’État canadien, mais que la résistance populaire n’est pas parvenu jusqu’ici à bloquer l’offensive néolibérale.

Comment construire cette unité militante autour de ces enjeux ? Sur quelles bases programmatiques le faire ? Quels moyens d’action seront nécessaires pour faire échouer cette offensive ? Quelle place occupe la lutte des nations opprimées dans l’État canadien dans cadre de cette lutte ? Quelle alternative politique sera-t-il nécessaire de construire pour proposer un projet de société alternatif à celui que veut nous imposer l’oligarchie régnante au Canada ? C’est une discussion stratégique essentielle qui est ouverte. Nous ne prétendons pas répondre à ces questions, mais souligner la réalité et l’importance d’engager des débats pour avancer dans l’élaboration de réponses adéquates à la situation actuelle.

En finir avec la concentration de la richesse et le développement des inégalités

Des décennies d’offensives néolibérales sont parvenues à redistribuer une partie importante des richesses vers les sommets de la société et à renforcer les inégalités économiques. C’est là un enjeu majeur. Les inégalités se sont approfondies, car les plus riches et les gouvernements à leur service se sont attaqués au caractère redistributif de la fiscalité en obtenant de payer une part toujours plus réduite des recettes fiscales.

Des organisations syndicales ou citoyennes ont, à plusieurs reprises, dénoncé l’évolution régressive de la fiscalité au Canada, y compris les fraudes fiscales. Diminution ou quasi-stagnation du salaire minimum, baisse des prestations d’assurance-chômage, plan de diminution des retraites, précarisation du lien d’emploi et développement du travail à temps partiel, le patronat, appuyé par les gouvernements, vise à s’accaparer d’une plus large part de la richesse sociale.

Les organisations syndicales ont permis de ralentir sérieusement l’érosion salariale. La résistance au renforcement des inégalités s’est particulièrement concrétisée par le développement d’un mouvement pour une véritable réforme de l’assurance-emploi. Ce mouvement a donné lieu à des alliances entre les organisations syndicales et de chômeurs-euses du Québec et des provinces maritimes. La bataille pour la restauration de l’assurance-emploi pour tous les travailleurs et travailleuses qui perdent leur emploi, est essentielle dans la lutte contre l’approfondissement des inégalités, comme l’est le soutien à une campagne sur l’augmentation substantielle du salaire minimum touchant l’ensemble des personnes à bas revenus, qui sont souvent des femmes.

La dénonciation du Parti conservateur et du PLC pour leurs politiques visant l’enrichissement de la classe dominante pourrait être un discours commun de l’ensemble des organisations syndicales populaires, féministes et jeunes à l’échelle pancanadienne. Sur ce terrain également, les alliances avec les peuples autochtones est de la première importance, car ces nations forment les couches les plus pauvres et défavorisées de la population canadienne. Elles peuvent être partie prenante des combats pour une meilleure répartition des richesses.

Bloquer le démantèlement des services publics

Les syndicats du secteur public pan canadien (Syndicat canadien de la Fonction publique, Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes, Alliance de la fonction publique du Canada, syndicats des transports ferroviaire, aérien ou maritime) ont été au centre de cette résistance au recul des dépenses publiques et du démantèlement des services publics par leur privatisation.

Les nombreuses luttes à ce niveau ont été menées en ordre dispersé et ont été rapidement frappées par la répression gouvernementale (lois de retour au travail, décrets des salaires et des conditions de travail détériorant la situation des syndiquéEs). Les politiques fédérales ont été reproduites par les gouvernements provinciaux et, à ce niveau également, ce sont les syndicats du secteur public qui s’y sont opposés. Mais si cette résistance a freiné les processus de démantèlement et le recul des droits syndicaux, les luttes ont été menées en ordre dispersé et la recherche de la concertation sociale qui inspirait la tactique des organisations syndicales ont entravé leur capacité à faire reculer les gouvernements néolibéraux qui se sont succédé dans l’État canadien. Comment dépasser cette dispersion ? Comment s’orienter vers un syndicalisme de transformation sociale qui ne fait aucune confiance à la classe dominante ? Des réponses concrètes à ces questions doivent être données le plus tôt possible.

Pour une transition écologique de l ’économie

Jusqu’à maintenant, c’est essentiellement les mouvements environnementalistes et citoyens et les nations autochtones qui se sont opposés de façon militante au tournant pétrolier dans l’État canadien. Au Québec la lutte contre les gaz de schiste a marqué des points. La lutte contre la construction du projet Énergie Est de TransCanada se renforce considérablement. En Colombie-Britannique le mouvement écologiste et les Premières nations sont parvenus, jusqu’ici à bloquer la construction de pipelines visant à transporter le pétrole tiré des sables bitumineux vers les Pacifique. Le mouvement syndical, dans certains secteurs, commence à rejoindre cette lutte. Les grands partis politiques fédéraux essaient eux d’ignorer ces aspirations.

Les dimensions nationales de la politique pétrolière de l’oligarchie au Canada sont évidentes... Le Québec, comme nation, est désapproprié d’un pouvoir de contrôle sur le passage des pipelines véhiculant le pétrole sale. Il en est de même du transport par train ou par navire sur le fleuve St-Laurent. Ceci a amené des secteurs du mouvement nationaliste à joindre leurs voix à celle des mouvements citoyens et écologistes. Dans les élections qui viennent, le Bloc québécois est le seul parti oeuvrant sur la scène canadienne à s’opposer clairement au projet Énergie Est même s’il est clair qu’il s’agit pour une part de démagogie électoraliste [1] et qu’il n’aura aucun pouvoir pour réellement bloquer sa construction.

La dimension nationale se révèle également par le poids des autochtones dans le combat comme l’exploitation des sables bitumineux. Leur contribution à ce combat contre les politiques de la classe dominante est centrale. Une partie du mouvement des femmes s’est également investi dans cette lutte et constitue une force mobilisatrice importante.

La tâche centrale dans cette lutte est de viser l’unification des diverses composantes des différents mouvements sociaux et nations opprimées contre le tournant pétrolier et pour une véritable transition énergétique appuyée sur les investissements publics et la démocratie citoyenne.

Pour l’élargissement des droits démocratiques vers une véritable démocratie citoyenne

La mobilisation des organisations syndicales et des organisations démocratiques a tiré au clair la démarche de restrictions des droits démocratiques imposée par le Parti conservateur appuyé par le PLC. Le mouvement syndical a été une cible importante des attaques antidémocratiques du gouvernement Harper. Les militantEs des mouvements écologistes ont été stigmatisés comme des terroristes par les ministres conservateurs. Avec le projet de loi C-51, c’est la majorité populaire qui est attaquée. La loi C-51 vise à bloquer notre capacité à s’organiser contre les politiques réactionnaires du gouvernement conservateur. Il s’agit de criminaliser toute forme résistance sociale aux projets de la classe dominante.

Mais la colère envers la loi C-51 est considérable. Des organisations démocratiques à travers le pays continuent de s’organiser pour demander son abrogation. Les mouvements sociaux du Canada et du Québec doivent s’unir pour l’abrogation de cette loi et la défense et l’élargissement des droits démocratiques menacés par les politiques de la classe dominante. Le mouvement indépendantiste est aussi la cible d’une telle loi. On ne peut oublier, le rôle de la GRC et du SCRS dans la négation des droits démocratiques du mouvement indépendantiste et des droits des autres nations opprimées dans l’État canadien.

La riposte au cours guerrier de l’État canadien au service du pillage du tiers monde fait intégralement partie de la lutte pour les droits démocratiques. Si le mouvement antiguerre s’est développé contre l’intervention américaine en Irak et s’il a réussi à construire des mobilisations très importantes, il n’est pas parvenu à conserver, sur le long terme, ce niveau de mobilisation alors que la « déclaration d’une guerre sans fin contre le terrorisme » proclamée par les États-Unis a rallié les différents gouvernements canadiens. Avec sa rhétorique sécuritaire, le gouvernement Harper a semé la peur et le besoin d’être protégé à un point tel qu’une acceptation de la réduction des droits démocratiques tend à se répandre dans certains secteurs de la population canadienne et québécoise. La stigmatisation du nouvel « ennemi djihadiste » fondée sur une islamophobie sans frein a marqué des points et a créé les conditions idéologiques justifiant un interventionnisme sans limites. Cette situation n’est pas sans poser des défis majeurs au mouvement antiguerre qui a de plus en plus de misère à remettre en question la légitimité des interventions impérialistes. Une bataille idéologique contre ce discours sécuritaire est essentielle pour restaurer les capacités de mobilisation du mouvement pacifiste. En ce domaine également, la résistance contre la politique de l’État canadien sera un combat commun des progressistes de tout le Canada.

Droit à l’autodétermination des Premières nations et le sens de la lutte pour l’indépendance du Québec

Sur la scène fédérale, les classes ouvrières et populaires et les nations opprimées sont marquées par leurs divisions politiques et nationales, spatiales et organisationnelles face aux attaques du Parti conservateur au pouvoir. C’est pourquoi elles ont été, jusqu’ici, incapables de bloquer cette offensive et de défendre les intérêts du Québec faussement identifiés, le plus souvent, à ceux des élites nationalistes.

Le mouvement syndical canadien et la majorité des secteurs de la gauche canadienne ne se sont pas mobilisés durant les événements référendaires pour défendre le droit du Québec à l’autodétermination. S’il y a reconnaissance de l’oppression nationale des nations autochtones au Canada et au Québec, la réalité du Québec comme nation opprimée subit un processus de dénégation systématique. C’est un blocage majeur à l’unité qui doit être dépassé.

En fait, ce qui est méconnu, c’est le caractère combiné de la lutte contre la domination du capital et contre l’oppression nationale. La lutte pour le droit à l’autodétermination des nations opprimées dans l’État canadien jusqu’à la séparation est une condition de la construction d’un front unitaire contre les politiques réactionnaires du gouvernement de l’oligarchie. Seuls cette autodétermination nationale des peuples autochtones et le soutien à l’indépendance du Québec créeront les conditions d’une nouvelle alliance populaire contre l’oligarchie et à la prise en main du mouvement indépendantiste par la majorité populaire du Québec et par ses organisations.

Voilà une perspective que les élites nationalistes québécoises ne sont même pas capables d’envisager. Quand, elles parlent d’association, c’est toujours une question de partage de pouvoir avec la classe dominante du Canada. On se souvient des accords proposés en 95 dans l’entente PQ-ADQ-Bloc : même monnaie, même armée, même appartenance à l’OTAN et NORAD et autres institutions communes.

Aujourd’hui encore, le Bloc québécois n’exclut même pas, à certaines conditions, de s’allier à un éventuel gouvernement conservateur, dont le Québec, pourrait, paraît-il, tirer certains avantages…L’orientation proposée par le Bloc constitue tout le contraire des nécessités stratégiques de l’heure pour bloquer l’offensive de l’État fédéral et pour jeter les bases d’un nouveau bloc social en lutte pour l’indépendance.

Construction d’un front de résistance populaire à l’offensive néolibérale

Le Forum social des peuples a indiqué une voie... incontournable du renversement du rapport de force entre classes. Il s’agit maintenant de prendre cette perspective au sérieux et de préciser les bases et les moments du dépassement de la dispersion et de la division actuelles. Que ce soit la bataille contre les inégalités économiques, la bataille contre la construction des oléoducs et pour la reconversion écologique de l’économie, la bataille comme le cours guerrier de l’État canadien ou la bataille contre le cours répressif et antidémocratique de l’État, la nature pancanadienne de ces combats est patente et nécessite une coordination et des initiatives communes à l’échelle de l’ensemble de l’État canadien. Cette unité ne pourra se réaliser qu’en respectant les dynamiques nationales (québécoises ou autochtones) et leur potentiel libérateur.


[1On se rappellera l’ouverture du gouvernement Marois au transport du pétrole albertain en territoire québécois et du récent refus de Pierre-Karl Péladeau de se prononcer sur l’exploitation du pétrole d’Old Harry dans le fleuve St-Laurent

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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