La plus récente contribution de Pierre dans le débat sur les alliances est intéressante et vaut la peine qu’on l’examine de près et qu’on y réponde. Elle contient des éléments avec lesquels je suis d’accord, avec des nuances, et d’autres avec lesquels je suis complètement en désaccord.
D’abord, il est bon de souligner la centralité des luttes sociales et de s’opposer à la myopie électorale et parlementaire qui caractérise une partie des arguments en faveur de l’option B. Le problème est que présentement les mouvements sociaux ne sont pas dans une phase de mobilisation et d’unification mais plutôt de passivité et de repli sectoriel. Aussi, certains des mouvements les plus combatifs (écologiste, étudiant) sont aussi les plus réfractaires à toute association avec un parti politique et n’ont pas de perspective indépendantiste.
Il n’y a que le mouvement syndical où on trouve une tradition de prise de position partisane et une bonne partie de ce mouvement est toujours dans une logique (de plus en plus discrète) de « vote utile » pour le PQ. Et dans les coalitions qui existent encore suite à la mobilisation contre l’austérité, QS n’est pas invité à jouer un rôle significatif, justement au nom de la neutralité partisane.
Aussi, rien ne laisse croire que cette situation pourrait évoluer en notre faveur d’ici les élections de 2018. Les Libéraux sont entrés dans une phase de desserrement de l’étau austéritaire justement en préparation pour leur effort de réélection. On peut, et on doit certainement continuer à parler de grande convergence des luttes et appeler à un rôle actif de QS dans cette direction, notamment par l’action des réseaux militants. Mais QS ne peut pas « donner naissance à un vaste mouvement social en faveur du changement ». Le mieux qu’on puisse espérer est le renforcement des liens entre la base militante de QS et celle des mouvements sociaux à travers diverses activités conjointes. Bref, il ne faut pas sous-estimer la force d’inertie bureaucratique des mouvements sociaux. L’accroissement qualitatif de notre influence ne pourra résulter que d’un regain de combativité.
L’autre bon point dans le raisonnement de Pierre est l’admission qu’on ne peut en aucun temps faire confiance à la direction du PQ, en commençant par son chef actuel. La démarche proposée par la plupart des promoteurs de l’option B, avec différents types de plateformes communes entre QS et le PQ, repose sur la présomption d’un possible lien de confiance. En ce sens, la perspective avancée par Pierre est un pas important dans la bonne direction et devrait être appuyée à titre préventif par les partisans de l’option A. (Une moins pire politique du moins pire ?)
Ceci étant dit, l’orientation proposée est identique à celle des autres adeptes des pactes sur plusieurs points essentiels qui font problème selon moi.
Premièrement, la sous-estimation de l’importance historique du gouvernement Marois. (On revient toujours avec la rengaine sur les 15 ans de règne libéral.) Le fait qu’il n’ait pas été au pouvoir deux ans ne rend que plus remarquable son statut de point tournant dans notre histoire politique. Non seulement a-t-il gouverné en continuité avec les Libéraux sur les questions fiscales et budgétaires et en harmonie avec le Fédéral sur la question du pétrole, mais il a divisé la population sur la base d’un discours xénophobe et islamophobe et donné une tribune acritique aux illuminés de la laïcité répressive (Benhabib, Mailloux...). Ce faisant, il pourrait avoir causé un tort irréparable à tout le projet indépendantiste.
Comment on peut à la fois reconnaître cet état de fait (comme le fait même le texte officiel en appui à l’option B !) et envisager un pacte avec le PQ qui pourrait avoir comme résultat d’aider ce parti à reprendre le pouvoir, alors qu’il n’a pas fait un bilan clair et approprié de sa dérive identitaire, m’échappe totalement.
À lire les partisans des pactes, Pierre M. compris, on croirait que leur seul résultat serait d’accroitre la députation de QS, en oubliant de mentionner le plus grand nombre de député-e-s péquistes qui devrait en ressortir aussi ! Comme je l’ai expliqué ailleurs, cette augmentation de la députation péquiste a de très bonnes chances de résulter dans la formation d’un gouvernement minoritaire Lisée appuyé sur la CAQ, ce qui serait nettement pire que le gouvernement actuel à plusieurs niveaux. On peut difficilement se préparer adéquatement à lutter contre un tel gouvernement, comme parti et comme composant du mouvement social, et contribuer à son élection par des désistements dans quelques circonscriptions chaudement disputées. Que ces pactes se fassent sur la base d’une plateforme commune ou non, ils auraient le même résultat concret dans la composition de l’Assemblée nationale.
Enfin, on revient au premier argument de Pierre, soit la centralité des luttes sociales. Est-ce que l’élection de deux ou trois députés de QS de plus aurait un telle importance pour l’avenir des luttes contre les gouvernements néolibéraux qu’on devrait chercher à atteindre cet objectif à tout prix ? Le taux du vote populaire pour QS et la clarté du sens de ce vote ne sont-ils pas des critères de succès au moins aussi importants quand on a en tête la suite des choses ?
C’est immédiatement à la suite de la mobilisation historique de 2012 que le nombre de membres du parti avait atteint son sommet historique de 14 000. Et c’est quand le principal porte-parole de ce mouvement a annoncé son ralliement à QS que nous avons dépassé ce seuil. Ce sont les succès des luttes qui font le succès de QS. Sans cette mobilisation extraordinaire, la gauche serait peut-être en danger d’un retour à la marginalisation. Et c’est avec un seul député que nous avons réussi à connecter le parti avec la lutte en 2012, notamment quand Amir s’est exprimé en faveur de la désobéissance civile face à la loi spéciale.
Est-ce que l’élection de deux ou trois vedettes n’ayant que peu de liens historiques avec le parti, dans des circonscriptions rendues gagnables par le retrait du PQ, serait une bonne ou une mauvaise nouvelle quant aux liens entre le parti et les mouvements ? Personnellement, je préfère moins de députés mais qui ont été élu-e-s sur la base d’un effort soutenu de construction d’une base sociale pour le parti, en lien avec ces luttes.
Mon appui va donc toujours à l’option A. Il n’y a pas de pacte possible avec le PQ sans une contribution de notre part à l’élection d’un gouvernement Lisée. Je ne veux pas que mon parti soit complice d’un tel développement. La centralité des luttes sociales, l’importance de la clarté de notre projet politique et l’absence de tout lien de confiance possible entre nous et la direction du PQ sont des arguments qui militent, selon moi, en faveur de l’option A tel quel, et non d’une version amendée de l’option B.
Benoit Renaud
Messages
1. Par frilosité, par volonté idéologique et principielle : ce serait vraiment dommage !, 21 avril 2017, 12:47, par Pierre Mouterde
Holà Benoit
Merci pour ton texte qui tente de répondre posément aux objections avancées par le mien et qui ainsi tend à faire apercevoir combien la situation pollitique dans laquelle nous nous trouvons est loin d’être facile à appréhender. Rien de mieux que cela pour faire avancer le débat, le clarifier et ainsi d’en arriver à termes à des positions moins figées et monolithiques.
Tu fais ainsi bien ressortir comment du côté des mouvements sociaux il n’apparait pas évident "de donner naissance à un vaste mouvement social en faveur du changement". Et comment par ailleurs la situation électorale est bloquée, avec un PQ non seulement "néolibéralisé" mais encore "identarisé" et ayant peut-être "causé un tort irréparable à tout le projet indépendantiste". Et tu conclus en affirmant que mis à part 2 bons points (l’importance du mouvement social et la critique du PQ), "l’orientation que propose mon texte est la même que celle des autres partisans du pacte sur des points essentiels" : la sous estimation des effets négatifs du gouvernement Marois ainsi que la surestimation du poids de l’aile parlementaire.
Mais la 3 ième voie que je défends, ne propose pas un "pacte" avec le PQ ni ne sous-estime le rôle démobilisateur quant à l’indépendance du PQ. Elle avance plutôt l’idée —justement pour contrecarrer l’influence du PQ encore non négligeable sur des secteurs importants de l’électorat— d’une démarche diversifiée, aux dimensions pédagogiques, orientée autour de 3 axes (1) une convergence avec plateforme (ou pacte) avec des représentants du mouvements social ; 2) un processus de rapprochement avec ON autour d’une campagne sur l’indépendance ; 3) et des discussions exploratoires avec le PQ cherchant à le démasquer et pouvant éventuellement déboucher sur des ententes ponctuelles et ciblées (et non un pacte) de non-agression électorale.
Pourquoi une telle proposition ? Justement pour tenir compte des caractéristiques de la période politique que nous connaissons : une période complexe où il s’agit de travailler, dans un contexte hostile d’hégémonie néolibérale, à l’unification de forces fragmentées ou morcelées autour d’un projet politique très clair et de rupture vis-à-vis du néolibéralisme. D’où la nécessité d’avoir une stratégie nuancée et adaptée, permettant tout à la fois d’affirmer la rupture, tout en travaillant en même temps à l’unification de forces éparses. En ce sens tous les terrains possibles que QS peut occuper pour s’affirmer et faire connaître ses positions (le terrain électoral comme le terrain des luttes sociales, etc.) doivent pouvoir être utilisés au travers d’une approche active et entreprenante, audacieuse, faisant preuve de leadership. En ce sens pourquoi ne profiterions-nous pas de cette tribune qu’offrirait ses discussions exploratoires avec le PQ, pour faire mieux apercevoir quelles sont nos orientations de fond et pour ainsi démasquer le PQ et le mettre au pied du mur, notamment sur la question de l’indépendance. Et pourquoi n’essayerons-nous pas d’être intelligent sur le terrain électoral si cela nous donne la possibilité de faire certaines percées au niveau électoral, pour par la suite gagner de la légitimité et du crédit sur le terrain social ?
En somme pourquoi vouloir s’esquiver —comme le fait la tendance A— de ce terrain de discussions exploratoires qui peut être une occasion d’affirmation et de marquer des points contre le PQ ? Et pourquoi ne pas profiter de certains ententes ponctuelles si le PQ se prête au jeu et si cela renforce notre présence.
Par exemple, dans la région de Québec, dans Jean Lesage, il serait envisageable de faire une entente avec le PQ, si nous arrivions à négocier avec lui que son candidat cède la place (en échange de concessions faites ailleurs au Québec). Car avec les voix de QS et celles du PQ, on pourrait arriver à battre l’actuel député libéral, et permettre ainsi à quelqu’un comme Sébastien Bouchard de devenir député, permettant ainsi à QS de faire une percée symbolique dans une région d’importance et hors de Montréal. Pourquoi renoncerions-nous à cette chance, cette fenêtre que nous offre la conjoncture, si en même temps nous restions parfaitement clair sur notre projet ?
Par frilosité, par volonté idéologique et principielle ? Ce serait vraiment dommage !
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