Édition du 26 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Congrès de QS... Expériences de Podemos... Pour que QS trouve son chemin

Il n’est pas facile pour un parti comme Québec Solidaire de trouver sa voie, sa propre voix donc. À fortiori lorsqu’on vit en Amérique du nord au tout début du 21ième siècle. Et pour nombre de ses militants et partisans, bien des questions restent en suspens, à commencer par cette interrogation de base : sur quels modèles de référence Québec solidaire devrait-il s’appuyer ? La social-démocratie, ou alors –puisqu’on vit au Québec— le nationalisme populaire hybride (style PQ des années 70 !) ainsi que le prônent peu ou prou les partisans du réalisme ? Ou peut-être, comme le rêve une petite couche de militants indignés, libertaires et révolutionnaires, la voie plus radicale de l’anti-capitalisme, en s’alimentant au passage auprès d’autres expériences stimulantes comme le fut par le passé la révolution bolivarienne du Venezuela, ou plus proche de nous comme le sont les tentatives de Syriza et de Podemos ? En fait, au sein de Québec solidaire tout est aujourd’hui sur la table. Formellement tout au moins !

Mais en attendant et faute de mieux, QS semble naviguer à vue, emporté par ses propres dynamiques internes et sa pratique politique quotidienne. Car le poids de son aile parlementaire et de son travail de type électoral ainsi que l’importance de la dimension « communicationnelle et médiatique » de son intervention font que tout concourt à donner l’impression que ses volontés de devenir effectivement un parti « des urnes et de la rue » ainsi qu’un un parti résolument alternatif et intervenant dans l’ensemble du champs social et politique, restent largement du domaine de l’hypothétique.

Pourrait-on faire mieux, pourrait-on faire autrement ? Encore faudrait-il se clarifier le idées, dégager des grandes pistes sur le moyen et le long terme. Aujourd’hui les exemples concrets de Syriza et de Podemos —avec tous les débats théoriques qui se sont développés alentour— ne cessent de nous interpeller en ce sens.

N’est-il pas temps que QS trouve les mots qui soient véritablement les siens et soit capable de constituer pour de larges secteurs de la population un véritable récit/discours politique de référence, original, rebelle, capable de parler à de larges secteurs de la population et de les mobiliser ? Mais « sans calque ni copie », comme une « parole » en tous points adaptée à la réalité du Québec contemporain. C’est ce à quoi —avec l’horizon de la situation concrète québécoise— ce texte cherche à se faire l’écho.

Question de méthode

On ne le dira jamais assez : le propre de la période sociopolitique dans laquelle nous nous trouvons —période de transition et de crise— c’est d’amalgamer sur le mode du patchwork, éléments anciens (hérités du passé) et éléments nouveaux (portés par le devenir) mais sans que ces derniers parviennent à prendre le pas définitivement sur les premiers, la crise étant, pour reprendre la fameuse formule de Gramsci,« quand le vieux meurt et que le neuf hésite à naître ».

Il se dessine ainsi devant nous, un panorama confus et propice à bien des désorientations, tant l’on retrouve étroitement imbriqués les uns aux autres des éléments apparemment fortement contradictoires. Par exemple, on fait face à des discours politiques du passé (avec leurs dogmes, langues de bois et références traditionnelles) et en même temps à des discours nouveaux (avec leurs audaces et volontés de ruptures acharnées, mais aussi leurs naïvetés) ; ou encore cette fois-ci au niveau économique, on observe la persistance d’espaces de marchés nationaux et en même temps l’existence de tendances à la globalisation et à la continentalisation des échanges ; ou cette fois en termes plus idéologiques, on nous renvoie aux valeurs de la modernité (humanistes) et en même temps à des valeurs post-modernes (post-humanistes), etc. Le propre des temps présents étant précisément de faire coexister dans une même temps et espace, formes anciennes et formes nouvelles sans que les unes puissent définitivement s’imposer sur les autres.

Et pourquoi cela ? Justement parce que tout en n’ayant plus d’adversaire à sa taille et en s’étant renouvelé en profondeur, le « capitalisme historique » ne cesse de faire resurgir de mêmes et anciennes contradictions, mais en les présentant sous un nouveau jour et à travers de nouvelles formes (qu’on pense en particulier à la crise environnementale).

Le défi de la fragmentation

On comprend dès lors les difficultés que peuvent avoir ceux et celles qui aspirent à se repérer dans ce magma apparemment informe et cherchent à définir de nouveaux récits à partir desquels pourrait par exemple se dégager un sens quelconque à l’intervention politique alternative d’une collectivité !

Chaque jour, on en fait l’expérience, y compris au Québec à travers ce qu’on pourrait appeler une fragmentation ou un morcellement généralisé des sensibilités, projets et interventions de chacun : morcellement entre jeunes générations et plus anciennes ; entre militants syndicaux et militants des groupes communautaires et étudiants, ou des nouveaux mouvements sociaux (féministes, écologistes, autochtones) ; entre militants politiques et militants sociaux ; entre partisans de la cause nationale ou partisans de la cause sociale ; entre marxistes et post-marxistes, etc.

En fait, nous vivons à une époque où il est difficile d’imaginer un projet social et politique globalisant où anciennes et nouvelles générations, membres du mouvement syndical et des mouvements sociaux, leaders politiques et leaders communautaires, étudiants et travailleurs (etc.), pourraient marcher d’un même pas, être liés organiquement en participant à un même projet politique de fond de transformation sociale.

Certes il y a bien Québec solidaire. Mais, si ce parti est bien le lieu où peuvent se rencontrer toutes ces sensibilités, on doit admettre que ces dernières ont plutôt tendance à coexister côte à côte (parallèlement) sur le mode d’une tolérance bienveillante, qu’à se fondre organiquement dans une entité véritablement nouvelle et qualitativement supérieure qui sans leur faire perdre leurs spécificité particulières, permettrait d’orienter avec une force renouvelée les efforts de tous et toutes dans une même direction. D’où la question lancinante : comment passer à une autre étape qui permettrait de faire naître au sein de QS un nouveau mode d’intervention sociopolitique beaucoup plus collectif et puissant, seul capable de le faire sortir de la marginalité qui est la sienne ?

Deux préoccupations majeures

En fait, pour venir à bout de cette difficulté et tenter de trouver des voies de dépassement, il serait bon de garder en tête deux préoccupations majeures : (1) tout d’abord ne pas chercher à opposer inutilement ce qui devrait être conçu comme pouvant au contraire se compléter ou s’enrichir et au bout du compte se renforcer mutuellement ; (2) ensuite parier sur le pouvoir de rassemblement et d’unification propre à l’action sociopolitique, à condition cependant de la concevoir comme une « action sociopolitique intervenante, » c’est-à-dire « stratégique, propositive et globalisante ». Ainsi, et seulement ainsi, on pourra faire de la fragmentation actuelle, non pas un évident talon d’Achille, mais à l’inverse une force nouvelle, les éléments d’une puissance collective renouvelée, recomposée.

Les expériences d’affirmation politique de gauche les plus avancées que l’on retrouve ailleurs, comme par exemple celles effectuées dans la première décennie des années 2000 en Amérique latine (en Bolivie, Équateur ou Venezuela), peuvent dans ce sens stimuler notre réflexion et nous éclairer. Mais là encore, en prenant toutes les précautions nécessaires, car les contextes comme les héritages historiques restent bien différents et les comparaisons fécondes ne sont pas nécessairement aisées. Il s’agit donc d’interpréter ces expériences avec nuances, en les regardant comme des « laboratoires » nous aidant à prendre du recul par rapport à nos propres pratiques politiques, et plus particulièrement celles expérimentées par QS. C’est en ce sens que nous nous réfèrerons ici à l’expérience actuelle de Podemos –tout au moins telle qu’elle nous est racontée dans la revue web Ballast (http://www.revue-ballast.fr/que-pense-podemos-1/4/2/4/3/4/4/4-)

De quelques leçons possibles à tirer de Podemos

Quelles leçons pourrions-nous tirer de cette expérience ? En tout premier lieu, il faut le dire et le redire, comme le texte de Ballast en rend bien compte, Podemos nait et prend sa force et son dynamisme, d’un mouvements social, le mouvement des indignés (M15), lui-même surgissant et acquérant sa radicalité anti-système dans le sillage de la crise économique espagnole.

En fait, Podemos a réussi à offrir une traduction politique et électoral à ce mouvement social, nous faisant peut-être mieux voir au passage que si en ce début de 21ième siècle l’on veut renouveler l’action politique, on ne peut le faire qu’en la pensant tout en même temps comme « action sociale et politique », comme action « sociopolitique ».

Et pour Québec solidaire, cela pourrait nous aider à comprendre toute l’importance qu’il y aurait à se doter d’une véritable politique en direction des mouvements sociaux. Ne serait-ce que pour savoir par exemple et bien prosaïquement ce que nous ferons comme parti à l’automne prochain ? Resterons-nous de simples spectateurs, alors que nous avons tant de militantEs qui sont aussi mililtantEs syndicaux dans les secteurs de la santé et de l’éducation ?

L’actuel succès de Podemos nous indique aussi que –contrairement aux a-priori libertaires— la politique (y compris dans sa dimension électorale) a une vertu propre qui relève de sa capacité de rassembler, de réunir, en somme d’aller au-delà de revendications qui, parce que sociales, restent toujours partielles et spécifiques. La politique –prise au sens fort du terme— c’est toujours ce qui remet les êtres humains ensemble, leur permet de se constituer en une force collective agissante et « constitutante ».

Certes il y a politique et politique. Mais justement, en pensant la politique, dans le sillage de Gramsci, comme l’organisation d’une puissance collective agissant dans l’ici et maintenant, comme le pouvoir de changement, comme l’art de « rendre l’impossible possible », Podemos joue sur les rapports de force réellement existant et s’ouvre à la possibilité de regrouper –à travers l’arène électorale— tout un peuple autrefois fragmenté, ou pour le moins de larges secteurs de celui-ci. Et s’il y est en partie parvenu (en sachant que rien n’est cependant joué à l’heure qu’il est !), c’est qu’il a su aussi adapter cet art de la politique intervenante aux exigences de l’univers médiatique contemporain en parvenant à se servir du pouvoir de persuasion qu’il véhicule et en le retournant contre ses adversaires (Voir notamment l’émission télé culte La Tuerka de Pablo Iglesias). .

C’est aussi parce qu’il a su contrecarrer en partie l’hégémonie culturelle des classes dominantes contemporaines en mettant de l’avant un nouveau langage de la rébellion, un nouveau récit collectif d’émancipation capable de coller aux réalités concrètes d’une Espagne en crise (notammant en mettant l’accent sur l’opposition entre « ceux d’en bas et ceux d’en haut », entre le peuple et les élites », etc.). Et dans le contexte qui est le sien, cela lui a permis d’apparaître comme pouvant gagner, remporter des victoires (ne serait-ce qu’électorales) et donc faire entrer de larges secteurs de la population en luttes dans un processus possible de « transition » politique effective, c’est-à-dire dans un processus à la fois dynamique et graduel, bousculant favorablement les rapports de force entre pouvoir hégémonique et pouvoir contre-hégémonique et ouvrant la possibilité d’un approfondissement réel du changement social devenant chaque fois plus radical.

À ce niveau, bien de ces éléments pourraient être repris et adaptés par Québec solidaire, à commencer par cette conception stratégique du politique : la politique est d’abord un art de la stratégie, un art de s’insérer dans les rapports de force socio-politique pour les modifier en sa faveur dans une conjoncture donnée. Mais il y a plus : QS aurait besoin de nouveaux mots, de nouveaux récits capables de l’aider à constituer cette synthèse mobilisante et attrayante qui serait la sienne –dans le contexte qui est le sien— et qui lui permettrait d’être avec beaucoup plus de force, tout à la fois féministe, indépendantiste altermondialiste, écologiste et préoccupée de la question sociale. Mais ces nouveaux mots et récits –en phase avec la réalité du Québec contemporain— ne pourront être trouvés que si Québec solidaire parvient à unir toutes ces aspirations si diversifiées dans une conception stratégique et intervenante de la politique pensée clairement autour de l’accession à l’indépendance du Québec.

D’indéniables limites

Certes le discours de l’actuelle direction de Podemos (incarnée dans la figure de Pablo Iglesias, mais aussi celle du numéro 2 Inigo Errejon ) n’est pas exempt d’ambiguités et le virage qu’elle a pris l’automne dernier (au congrès de Vistalegre) est à plus d’un titre inquiétant, notamment en termes de représentation pluraliste et démocratique (voir la mise à l’écart des « cercles » de Podemos), mais aussi en termes de stratégies ordonnées autour de seules priorités électoralistes pensées sur le très court terme [1].

Par ailleurs ses volontés à faire rupture avec la gauche plus traditionnelle l’ont amenée à trop souvent –en termes idéologiques et théoriques— à avoir tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain. Par exemple, on peut bien vouloir renouveler le discours de la contestation sociale sans pour autant être obligé d’envoyer ballader tout de la distinction gauche/droite On peut aussi utiliser Gramsci et son concept d’hégémonie, sans pour autant le traduire dans les seuls termes post-modernes et grandement réducteurs de Laclau et Mouffe.

Une fois encore il n’y a pas lieu d’opposer ce qui devrait pouvoir se combiner et s’enrichir. Walter Benjamin déjà l’avait indiqué en son temps (il est mort en 1940) : « la politique prime l’histoire ». Ce qui veut dire par exemple qu’il existe un courant ouvert du marxisme –dont Walter Benjamin a été avec Gramsci une des figures importantes— qui a continué à faire de l’action politique et stratégique un de ses axes centraux. Un courant qui peut parfaitement s’enrichir et se bonifier des interrogations contemporaines (féministes, écologistes, etc.) ou des meilleurs apports de la science sociale d’aujourd’hui (la théorie des « champs » de Bourdieu, le « biopouvoir » de Foucault, etc.). Tout en permettant au passage de ne pas oublier que la société est un tout, et que si tous les phénomènes sociaux ne se réduisent pas aux seules déterminations de l’économie capitaliste, ils n’en sont cependant jamais exempts. La crise de 2008 et les implacables logiques du profit poussant à un retour à « l’extractivisme » au Canada et en Amérique latine sont là pour nous le rappeler comme jamais.

C’est là pour tous ceux et celles qui aspirent non seulement à interpréter le monde, mais aussi à le changer, le grand défi posé par ces « temps présents » : comment trouver le fil qui permettrait de retrouver « cette force collective » qui à l’heure actuelle manque tant au « peuple d’en bas », aux classes subalternes du Québec ? C’est tout au moins ce que –dans le contexte du Québec et de la présence de Québec solidaire— ce texte cherche à explorer. Manière de lancer ou poursuivre le débat !

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
Québec, le 2 mai 2015


[1La récente démission (début mai 2015) du numéro 3 de l’organisation, Monedero, est symptomatique de ces difficultés. Puisqu’il critique justement l’idée d’un « Podemos transversal », qui s’adresserait plus à l’ensemble des électeurs, de droite comme de gauche, qu’à tous ceux qui ancrés à gauche veulent lutter contre la « caste ». Il questionne aussi le discours « populiste » au sens de Laclau, c’est-à-dire un type de discours conçu comme délibérément vague pour parler à l’ensemble du spectre politique.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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