Ovide Bastien
Et non pas une lacune quelconque. Une immense lacune, qui, dans le contexte du génocide présentement perpétré par Israël à Gaza, et ce, avec l’appui indéfectible de son grand allié étatsunien, invalide, à toutes fins pratiques, une bonne partie de la thèse principale de son livre.
La thèse principale du livre Autocracy, Inc.
De nos jours, affirme Applebaum, les autocraties sont dirigées par des réseaux sophistiqués s’appuyant sur des structures financières kleptocratiques, un ensemble de services de sécurité - militaires, paramilitaires, policiers - et des experts technologiques qui assurent la surveillance, la propagande et la désinformation.
Et quelles sont, selon elle, ces autocraties ? Parmi elles, on trouve des régimes qui ont des racines historiques et objectifs fort différents. Le communisme chinois et le nationalisme russe, par exemple, diffèrent non seulement l’un de l’autre mais aussi du socialisme bolivarien du Venezuela, du Juche de la Corée du Nord ou du radicalisme chiite de la République islamique d’Iran. Et ces derniers diffèrent tous des monarchies arabes et autres autocraties - Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Vietnam - qui, pour la plupart, ne cherchent pas à saper le monde démocratique. Ils se distinguent également des autocraties plus douces et des démocraties hybrides - Turquie, Singapour, Inde, Philippines, Hongrie - qui tantôt s’alignent sur le monde démocratique et tantôt non.
Ce groupe d’autocraties, poursuit Applebaum, ne fonctionne pas comme un bloc mais plutôt comme une agglomération d’entreprises, liées non pas par une idéologie mais plutôt par la ferme et unique détermination de préserver richesse personnelle et pouvoir.
Les membres de ces réseaux sont connectés non seulement entre eux au sein d’une autocratie donnée, mais aussi avec des réseaux d’autres pays autocratiques, et parfois aussi avec certaines démocraties. Entreprises corrompues que contrôle l’État d’une dictature font affaire avec entreprises corrompues que contrôle l’État d’une autre dictature. La police d’un pays arme, équipe et forme la police d’un autre pays. Le propagandiste d’un dictateur partage ses ressources, fermes à trolls et réseaux médiatiques avec un autre dictateur. Et même le message à propager est partagé : les autocraties représenteraient ordre et stabilité, alors que les démocraties ne représenteraient que dégénérescence et instabilité, et Washington le mal incarné.
Au lieu d’idées, les hommes forts qui dirigent la Russie, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela, le Nicaragua, l’Angola, le Myanmar, Cuba, la Syrie, l’Azerbaïdjan et peut-être trois douzaines d’autres pays, ont en commun la volonté de priver leurs citoyens de toute influence réelle ou de toute voix publique, affirme Applebaum. Ils s’opposent à toute forme de transparence ou de responsabilité et répriment toute personne, dans leur pays ou à l’étranger, qui ose les défier.
Ces autocrates partagent également une approche brutalement pragmatique par rapport à la richesse. Contrairement aux dirigeants fascistes et communistes du passé, qui étaient soutenus par les machines du parti et ne faisaient pas étalage de leur cupidité, ces autocrates structurent ouvertement une partie importante de leur collaboration comme entreprises à but lucratif et ne montrent souvent aucune gêne à vivre dans des résidences opulentes. Ce sont des accords ou ‘deals’, et non pas des idées, qui cimentent les liens entre eux et avec leurs amis du monde démocratique. Des accords visant à atténuer les sanctions, à échanger des technologies de surveillance, et à s’entraider pour s’enrichir.
Les autocrates collaborent aussi pour se maintenir au pouvoir, poursuit Applebaum. On sait que depuis 2008, les États-Unis, le Canada et l’Union européenne renforcent les sanctions contre le Venezuela en réponse à la brutalité du régime et ses liens avec le trafic de drogue et le crime organisé international. Cependant, les amis autocrates du régime Maduro lui viennent au secours, neutralisant l’impact de ces sanctions. La Russie lui accorde des prêts et investit, comme l’Iran d’ailleurs, dans l’industrie pétrolière vénézuélienne. Une entreprise biélorusse assemble des tracteurs au Venezuela. La Turquie facilite le commerce illicite de l’or vénézuélien. Cuba fournit, et ce depuis longtemps, des conseillers en sécurité et des technologies de sécurité à ses homologues de Caracas. La Chine fournit à Maduro canons à eau, bombes lacrymogènes et boucliers qui seront utilisés pour écraser les manifestants de rue à Caracas en 2014, et à nouveau en 2017. La Chine fournit aussi au Venezuela la technologie de surveillance nécessaire pour surveiller la population. Pendant ce temps, les hauts placés du régime Maduro, grâce au trafic international de stupéfiants, continuent d’être bien approvisionnés en Versace et en Channel.
Cette étroite collaboration internationale fait en sorte que même si des autocrates comme Alexandre Loukachenko en Biélorussie, ou Nicolas Maduro au Venezuela, sont largement méprisés dans leurs pays respectifs ; même si tous deux seraient perdants face à des élections libres, si jamais de telles élections avaient lieu ; et même si tous deux font face à de puissants mouvements d’opposition qui pourraient normalement les renverser, ils demeurent néanmoins solidement ancrés au pouvoir.
Car ces mouvements d’opposition ne luttent pas seulement contre les autocrates de leur propre pays, poursuit Applebaum. Ils luttent contre les autocrates du monde entier qui contrôlent des entreprises publiques qui peuvent venir à l’aide de leurs amis autocrates en procédant à des investissements à coup de milliards de dollars ; en leur vendant caméras de sécurité et robots de fabrication chinoise. Aussi et surtout, ils combattent des autocrates qui ont appris, et ce depuis longtemps, à se foutre éperdument des sentiments et opinions de leurs compatriotes, ainsi que des sentiments et opinions du monde entier. Le groupe de pays autocratiques offre à ses membres non seulement argent et sécurité ; il lui offre aussi quelque chose de moins tangible mais sans doute encore plus important : l’impunité.
Autrefois, poursuit Applebaum, les autocraties s’inquiétaient beaucoup de la façon qu’elles étaient perçues sur le plan international. C’était le cas, par exemple, de l’Union soviétique, l’autocratie la plus puissante de la seconde moitié du XXe siècle. Aujourd’hui cependant, ce n’est plus le cas. Les autocrates actuels les plus radicaux se foutent éperdument de l’opinion des autres nations. Ils croient que l’opinion internationale n’a aucune importance et qu’aucun tribunal de l’opinion publique ne les jugera jamais. Les dirigeants de l’Iran ignorent avec assurance les opinions des infidèles occidentaux ; ceux de Cuba et du Venezuela considèrent les critiques de l’étranger comme la preuve d’un vaste complot impérial organisé contre eux. Et ceux de la Chine et de la Russie ont passé une décennie à contester le langage des droits de l’homme utilisé par les institutions internationales, réussissant à convaincre de nombreuses personnes dans le monde que les traités et les conventions sur la guerre et le génocide - et des concepts tels que « libertés civiles » et « État de droit » - incarnent des idées occidentales qui ne s’appliquent pas à eux, affirme Applebaum.
Arguments du livre qui semblent valides
On peut difficilement nier la validité de plusieurs aspects de la thèse présentée dans Autocracy, Inc. Cela explique sans doute pourquoi il est rapidement devenu un best-seller.
En voici quelques-uns.
Depuis le soulèvement populaire massif d’avril 2018 contre le régime Ortega-Murillo au Nicaragua, je suis devenu de plus en plus critique d’une certaine gauche radicale qui persiste à qualifier ce gouvernement de progressiste, socialiste et révolutionnaire. Et qui fait sienne le narratif du régime selon lequel la droite nicaraguayenne, financée et orchestrée par le méchant impérialisme étatsunien, aurait orchestré une tentative de coup d’État contre lui.
Ayant séjourné pendant plus de 18 ans consécutifs au Nicaragua, la plupart du temps accompagnant un groupe d’étudiants du Collège Dawson lors de leur stage d’un mois ; ayant donné chaque année aux futures stagiaires un cours de 45 heures sur le Nicaragua, je connais fort bien ce pays.
Voir la répression brutale utilisée par le régime Ortega-Murillo pour écraser les immenses manifestations qui secouaient pendant des mois le pays entier, une répression qui faisait plus de 320 morts et de milliers de blessés ; voir comment le régime éliminait systématiquement toute presse indépendante, emprisonnait, et soumettait à la maltraitance et souvent à la torture tous les dissidents, même d’anciens héros sandinistes avec lesquels Daniel Ortega avait collaboré étroitement pour vaincre la dictature de Somoza ; voir comment Cuba, le Venezuela, la Russie, la Chine, et l’Iran offraient immédiatement leur appui à Ortega-Murillo : tout cela me secouait et m’ébranlait profondément, me plongeant dans une crise émotionnelle.
Une crise émotionnelle qui, pour moi, était d’autant plus déchirante que la plupart des Nicaraguayens et Nicaraguayennes avec lesquelles j’avais collaboré pendant ces 18 ans – campesinos, enseignants, maires, médecins, membres d’ONGs, etc. - étaient des adeptes du gouvernement Ortega-Murillo, et que j’avais développé avec eux une profonde amitié.
Afin de voir plus clair, afin de me retrouver dans tout cela, j’ai donc entamé une recherche dans laquelle je tentais de présenter, le plus objectivement possible, le point de vue des masses nicaraguayennes qui se soulevaient contre le régime Ortega-Murillo, et celui de ce dernier, qu’appuyait fermement une partie la gauche internationale, surtout en Amérique latine.
À l’automne 2018, je publiais le résultat de cette recherche dans Racines de la crise : Nicaragua 2018.
La crise nicaraguayenne, et ma démarche pour la décortiquer, m’amenaient à affirmer l’urgence, pour une certaine gauche plus radicale, de sortir de son aveuglement. Comment peut-on continuer à qualifier de progressiste et révolutionnaire un gouvernement, qui, pour se maintenir au pouvoir, n’hésite pas à écraser impitoyablement le peuple ? Comment peut-on présenter comme anti-impérialiste et espoir pour les marginalisés de la planète, un gouvernement qui penche de plus en plus vers l’autocratie, voire la dictature, et qui est dirigé par un homme et sa conjointe, lesquels octroient à leurs nombreux enfants les postes clés du gouvernement et deviennent rapidement la famille la plus riche du pays ?
Lorsque la Russie envahissait l’Ukraine le 24 février 2022, je vivais un autre questionnement difficile. Plusieurs de mes amis dans la gauche, surtout des Latino-américains, avaient tendance à placer le gros du blâme, non pas sur l’esprit impérialiste et colonialiste de Poutine, mais carrément sur l’expansion de plus en plus menaçante de l’OTAN, une expansion propulsée surtout par Washington. Même si ce point de vue me paraissait avoir un certain fondement, je trouvais qu’on exagérait carrément le pouvoir de Washington dans tout cela, et qu’on ignorait, à toutes fins pratiques, la volonté à maintes fois exprimée par la population des pays qui s’étaient graduellement joints à l’OTAN. Le fait qu’une partie de l’extrême droite, surtout chez les Républicains aux Etats-Unis, adoptait le même point de vue que cette gauche qui focalisait sur l’OTAN, ne faisait qu’accroitre mes doutes à cet égard.
En décembre 2022, je n’étais pas du tout étonné de voir que, sur 195 pays membres, le régime Ortega-Murillo, la Syrie, la Corée du nord, et la Biélorussie étaient les seuls à voter contre la motion de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’annexion par la Russie des quatre territoires qu’elle venait d’envahir en Ukraine.
Applebaum dénonce le caractère autocratique, répressif, et corrompu du régime Maduro au Venezuela. La fraude monumentale que nous avons tous vu dans les dernières élections vénézuéliennes, une fraude qui est même reconnue par de nombreux pays latinoaméricains progressistes, semble lui donne raison.
Applebaum dénonce la répression brutale par la Chine des Ouighours. Elle dénonce l’Iran pour son oppression des femmes, pour sa répression brutale des dissidents, pour ses actions terroristes, en particulier ses assassinats de dissidents.
Ce n’est qu’un petit échantillon d’une abondance de faits troublants que documente fort bien Autocracy, Inc.
L’angle-mort de la lauréate du prix Pulitzer 2024
Tout cela étant reconnu, j’en viens maintenant à ce qui m’amenait, plus j’avançais dans ma lecture, à douter de plus en plus de la validité de la thèse principale du livre. À percevoir que celle-ci souffrait d’un angle-mort. Non seulement d’une lacune quelconque, mais d’une lacune qui, en quelque sort, remettait en question sa validité.
En lisant Autocracy, Inc., il devient vite évident que, selon Applebaum, les puissances occidentales, et bien sûr les États-Unis, représentent État de droit, libertés civiles, ordre international fondé sur les règles, respect des droits humains, respect des Nations unies, respect des traités et conventions sur la guerre et le génocide, etc.
Par ailleurs, Applebaum ne cesse de nous rappeler tout au long du livre que les pays qu’elle qualifie d’autocraties ne reconnaissent pas ces mêmes valeurs. Qu’ils les rejettent même, les qualifiant d’idées purement occidentales.
Le 20 novembre 2024, le Conseil de sécurité des Nations unies tenait une autre réunion sur Gaza. Celle-ci fut convoquée, à la demande, cette fois, des onze membres élus de ce conseil. Une motion de cessez-le-feu, élaborée pendant des semaines, et adoucie pour plaire aux Etats-Unis, fut proposée. Il était question d’imposer des sanctions à Israël si elle n’acquiesçait pas au cessez-le-feu. Par esprit de compromission, on accepte d’enlever cette clause que rejetait Washington.
La motion demande à la fois un cessez-le-feu inconditionnel et permanent à Gaza et la libération par le Hamas de tous les otages israéliens.
Aucun des 15 membres s’abstient, et tous, sauf le grand allié indéfectible d’Israël, les États-Unis, votent en faveur.
Depuis l’invasion israélienne de Gaza, qui en est maintenant à son 412ième jour, c’est la quatrième fois que Washington utilise son véto pour empêcher l’adoption d’une motion de cessez-le-feu !
Au moment où Applebaum publiait Autocracy, Inc. en juillet dernier, certains experts en santé publique estimaient que si on tient compte des effets indirects d’une guerre – épidémies, absence de soins médicaux, destruction de l’infrastructure permettant la production, etc. - l’assaut israélien de Gaza qui débutait en octobre 2023 finirait par tuer, même si cette guerre se terminait immédiatement en juillet, au moins 180 000 Palestiniens et Palestiniennes.i
Environ 70 % des victimes – au 24 novembre il y en a plus de 44 000 – sont, selon le ministère de Santé du Hamas, des enfants et femmes, dont plus de 700 bébés. Ce que semble confirmer le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) dans le rapport qu’il publiait le 8 novembre, après avoir vérifié 8 119 des plus de 34 500 personnes qui auraient été tuées au cours des six premiers mois de la guerre. Dans l’ensemble, affirme ce rapport, 44 % des victimes étaient des enfants, la catégorie la plus importante étant celle des 5 à 9 ans, suivie de celle des 10 à 14 ans, puis de celle des 4 ans et moins. Ce qui se passe à Gaza, poursuit le rapport, revêt toutes les caractéristiques d’un génocide.ii
Le nombre de blessés à Gaza dépasse présentement 104 000. Les bombardements sans relâche d’Israël ont obligé l’immense majorité des 2 millions de survivants de se déplacer à plusieurs reprises dans une bande de Gaza devenu inhabitable, et où on n’observe un peu partout que décombres et ordures. Depuis plus de 40 jours, Israël se sert de plus en plus de la faim comme arme de guerre, surtout dans le nord de Gaza. Une stratégie militaire que dénonce de façon répétée les Nations unies, ainsi que toutes les ONGs. En janvier, la Cour internationale de justice estimait plausible qu’un génocide avait lieu à Gaza et entamait une enquête.
Dans une situation aussi apocalyptique, où, chaque jour sur nos écrans on voit en direct des scènes déchirantes, où on voit le peuple palestinien s’enfoncer de plus en plus dans un enfer qui dépasse l’entendement, le représentant étatsunien au Conseil de sécurité de l’ONU, Robert Wood, prend la parole pour expliquer pourquoi son pays rejette, pour la quatrième fois consécutive, la motion de cessez-le-feu.
« Selon nous, affirme Wood, la motion est inacceptable. Il aurait fallu que le cessez-le-feu soit conditionnel à la libération des otages israéliens. »
Une astuce sémantique digne d’un monstre impérialiste qui veut que le carnage se poursuive ! Même les familles des otages réclament depuis des mois un cessez-le-feu ! C’est pourquoi ils manifestant massivement dans les rues de Tel Aviv.
Quelques jours plus tôt, Washington avait recours à une autre astuce sémantique afin de permettre à Israël de poursuivre sa campagne de destruction et de tuerie.
On sait que la Maison Blanche écrivait une lettre étonnante à Israël le 13 octobre dernier. Sans doute pour donner un petit coup de pouce à Kamala Harris, qui risquait de perdre le vote du secteur plus progressiste, et surtout arabe, du parti démocrate, on permettait que cette lettre, grâce à une fuite, devienne publique. Dans cette lettre, Washington exprime une profonde inquiétude au sujet de la situation humanitaire de plus en plus catastrophique à Gaza ; elle dénonce l’absence d’aide humanitaire et accorde à Israël 30 jours (comme par hasard, exactement quelques jours après la tenue des élections étatsunienne !) pour remédier à la situation, précisant même une série de mesures qu’Israël doit prendre pour augmenter substantiellement l’aide humanitaire, la plus spectaculaire de celles-ci étant un minimum de 350 camions d’aide entrant à Gaza chaque jour ; enfin, Washington menace de couper de façon substantielle son soutien militaire à Israël si elle n’accomplit pas ce qui est demandé.
Grande surprise, un mois plus tard, le 13 novembre... Même si Israël, dans le délai qui lui a été accordé, n’a permis que 57 camions d’aide en moyenne entrent à Gaza quotidiennement ; même si tous les ONGs ainsi que les Nations Unies voient bien qu’Israël n’a pas du tout augmenté de façon substantielle l’aide humanitaire à Gaza et nous avertissent que la plupart des Gazaouis, surtout dans le nord, font face à une famine imminente...
Que fait l’administration Biden ?
Elle a recours à une astuce sémantique pour justifier la poursuite de son soutien militaire à Israël.
« Nous constatons que toutes les mesures exigées n’ont pas été parfaitement respecté » affirme-elle. « Cependant, nous sommes satisfaits du progrès réalisé dans l’accroissement de l’aide humanitaire ! »
Autrement dit, le président Biden accorde encore une fois le feu vert à son allié...
Que se poursuive la campagne de carnage et destruction !
Au lendemain de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, soit le 21 novembre, la Cour pénale internationale émet un mandat d’arrêt contre le premier ministre d’Israël, Benjamin Nétanyahou, et son ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant (aussi contre un leader du Hamas qu’Israël aurait supposément déjà assassiné). Les deux sont accusés de crimes contre l’humanité, notamment de l’utilisation de la famine comme arme de guerre, de meurtre, et d’autres actes inhumains. La cour estime aussi qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le siège israélien de Gaza « a créé des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population civile ».
Cela veut dire que si ces deux leaders israéliens se rendent dans un des 124 pays qui reconnaissent la Cour pénale internationale, ils risquent d’être immédiatement détenus et soumis à un procès devant cette cour.
La réaction du Premier ministre Nétanyahou à ces mandats d’arrêt : mensonges éhontés, pur antisémitisme !
La réaction de Washington va dans le même sens :
« Ces mandats d’arrêt sont révoltants, » déclare le Président Joe Biden. « Quoi que la CPI puisse laisser entendre, il n’y a absolument pas d’équivalence entre Israël et le Hamas. Nous défendrons toujours Israël contre les menaces qui pèsent sur sa sécurité ».
J’en reviens maintenant à ce que je qualifie d’énorme angle-mort dans le livre Autocracy, Inc. Un angle-mort à mon sens impardonnable.
Dans son livre, Applebaum mentionne l’attaque brutale d’Israël par le Hamas le 7 octobre 2023, se réfère souvent à l’Iran et aux proxys de ce dernier : le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, et les Houthis au Yémen. Tous, selon elle, seraient horriblement terroristes, et tous seraient étroitement liés à l’ensemble des autocraties.
À la page 155 de son livre, Applebaum écrit :
« Les autocraties suivent les défaites et les victoires des uns et des autres, programmant leurs propres actions pour créer un maximum de chaos. À l’automne 2023, l’Union européenne et le Congrès américain se sont trouvés dans l’incapacité d’envoyer de l’aide à l’Ukraine parce que des minorités ayant des liens profonds avec la Russie, dirigées respectivement par Victor Orban en Hongrie et par une poignée de Républicains Maga au Congrès, agissant sous les instructions de Donald Trump, ont bloqué la majorité et retardé l’aide. Un récit promouvant la « fatigue de l’Ukraine » s’est répandu sur Internet, poussé par des mandataires russes et des médias chinois en plusieurs langues. C’est à ce moment précis que les militants du Hamas, soutenus par l’Iran, ont lancé une attaque brutale contre Israël. Dans les semaines qui ont suivi, les militants houthis soutenus par l’Iran ont commencé à tirer sur des pétroliers et des cargos en mer Rouge, perturbant le commerce mondial et détournant l’attention des États-Unis et de l’Europe de la guerre en Ukraine. »
Tout semble donc se passer, selon Applebaum, comme si l’attaque d’Israël par le Hamas était une chose orchestrée. « C’est à ce moment précis, » dit-elle. Idem pour les attaques par les militants houthis de pétroliers et cargos en mer Rouge. Orchestrée par une bonne partie des autocraties, y inclus « une poignée de Républicains Maga au Congrès », qui veulent détourner l’attention de la guerre en Ukraine.
Tout semble se passer comme si Israël, partie intégrale des pays démocratiques occidentaux, devenait soudainement la cible des méchantes autocraties à tendance terroriste. Rien de plus.
J’avais remarqué que si Applebaum se permettait, à un moment donné, de lancer une flèche contre le gouvernement archi-conservateur de Nétanyahou, laissant entendre que ce dernier ignorait parfois les droits humains, elle faisait cependant sienne le narratif sioniste selon lequel Israël, dans son développement historique, se comportait de façon tout à fait démocratique. Les troubles, elle laissait entendre, avaient commencé avec l’attaque brutale du Hamas, mouvement religieux fanatique et fondamentalement terroriste, qui agissait de concert avec les autocraties.
Je n’ai pas vu un seul mot dans son livre au sujet de la guerre génocidaire qui se déroule à Gaza. Je n’ai pas entendu un seul mot non plus au sujet de cette guerre dans les conférences qu’elle donnait sur son livre dans les semaines suivant sa publication en juillet dernier. Du moins pas celles que j’ai moi-même écoutées sur YouTube.
Il n’y a pas un seul mot dans son livre sur l’oppression coloniale et on ne peut plus brutale dont souffre le peuple palestinien depuis des décennies, oppression qui a donné naissance au PLO, au Hamas, au Hezbollah, et qui explique pourquoi les militants houthis tiraient sur des pétroliers et cargos en mer Rouge. Pas un seul. Et ce, malgré le fait qu’Applebaum est une historienne, journaliste et écrivaine à la fois fort réputée et admirée.
Ignorant complètement le fait que l’attaque d’Israël par le Hamas le 7 octobre avait lieu dans un contexte où de nombreux pays arabes concluaient des accords de normalisation avec Israël qui laissait complètement tomber la cause palestinienne, le prochain sur le point de le faire étant l’Arabie Saoudite ; ignorant le fait qu’Israël imposait depuis plus de 16 ans un siège illégal et inhumain à Gaza, qualifié par plusieurs observateurs de plus grande prison ouverte du monde entier, soumettant les Gazaouis à pauvreté, malnutrition, marginalisation et absence de future, dans un des territoires le plus densément peuplé du monde entier, où la moitié de la population a moins de 18 ans ; ignorant le fait que de milliers de Palestiniens sévissaient dans des prisons israéliennes depuis des années, souvent après avoir été détenu sans accusation et possibilité de procès...
Ignorant complètement tout cela, Applebaum interprète l’attaque d’Israël par le Hamas non pas pour ce qu’elle est – une action brutale issue d’années de frustration croissante, de souffrances inimaginables sous une occupation brutale et illégale, un cri de désespoir visant à secouer le monde arabe et à vrai dire aussi le monde entier, visant à les faire sortir de leur apathie et indifférence – mais plutôt selon ce qui fait son affaire. Plus précisément, elle lui accorde le sens qui correspond à la thèse principale qu’elle défend dans son livre.
Les autocraties, affirme Applebaum, programment « leurs propres actions pour créer un maximum de chaos ». D’abord, la Hongrie sous Victor Orban et les Républicains Maga sous Trump bloquent l’aide à l’Ukraine. Ensuite, les Russes et les Chinois répandent sur Internet le récit de la « fatigue de l’Ukraine ». Après, c’est « à ce moment précis que les militants du Hamas, soutenus par l’Iran, » lancent « une attaque brutale contre Israël », poursuit Applebaum. Enfin, les militants houthis jouent leur rôle dans cette grande programmation autocratique. Dans les semaines qui suivent, affirme-t-elle, « les militants houthis soutenus par l’Iran » commencent « à tirer sur des pétroliers et des cargos en mer Rouge, perturbant le commerce mondial et détournant l’attention des États-Unis et de l’Europe de la guerre en Ukraine. »
La preuve est faite. L’attaque d’Israël par le Hamas fait partie d’une série d’actions coordonnées par les autocraties !
Rien de plus normal, dès lors qu’Israël, pays démocrate, entre en action pour se défendre contre ce terrorisme qu’appuient les autocraties !
Chose étrange, si la lauréate du Prix Pulitzer 2024 ne semble pas du tout consciente de l’épouvantable drame dont souffre depuis des décennies le peuple palestinien, presque tous les pays du monde le sont. Refusant de réduire l’attaque du Hamas à du simple terrorisme, ils dénoncent sans relâche les barbaries qu’Israël est en train de commettre présentement.
Depuis l’éclatement de la guerre à Gaza, j’ai passé d’innombrables heures à écouter les discours des représentants de nombreux pays lors des séances de l’Assemblée générale de l’ONU et du Conseil de sécurité de l’ONU. Des pays d’Afrique, des pays du Moyen-Orient, des pays de l’Amérique latine.
Les propos qu’ils tenaient au sujet de Gaza et du conflit Israël-Palestine m’étonnaient. M’émouvaient profondément, même... Au point que qu’il m’arrivait parfois d’en avoir des larmes aux yeux.
La plupart de ces pays étaient d’anciennes colonies des grandes puissances, et plusieurs figurent dans la liste de ce qu’Applebaum qualifie d’autocraties. Ils ont souffert de ce dont souffre présentement le peuple palestinien. Ils savent, en chair et en os, ce que veut dire souffrir de l’oppression d’un empire.
Et lorsque j’écoutais les propos de la Chine, de l’Iran, et de la Russie au sujet de ce qui se passe à Gaza, j’étais encore agréablement étonné de voir leur degré de compréhension de la situation. Même si je sais parfaitement bien que ces pays soient loin d’être des saints au niveau des droits humains, leurs propos m’étonnaient néanmoins, car ils étaient fort similaires à ceux de la grande majorité des pays. Comme ces derniers, ils semblaient comprendre en profondeur la souffrance du peuple palestinien et l’injustice historique qu’il subit.
Je ne pouvais pas en dire autant, par ailleurs, des propos tenus par plusieurs puissances occidentales. Surtout pas des propos du Royaume Unie et des États-Unis.
À la page 139 de son livre, Applebaum souligne le fait que les autocraties assassinent souvent leurs dissidents, en particulier les journalistes. Et je sais qu’elle a parfaitement raison d’affirmer cela. Cependant, elle ne mentionne pas une seule fois dans son livre les assassinats par Israël de leaders palestiniens, même si on sait que le nombre de ces assassinats est inouï. Elle ne mentionne pas une seule fois non plus les journalistes tués par Israël à Gaza depuis octobre 2023. Pourtant, leur nombre est ahurissant et historiquement sans précédent. De plus, les militaires israéliens les ciblent souvent directement. Silence total aussi par rapport aux innombrables hôpitaux, écoles, universités, mosquées, édifices de l’ONU, résidences, etc., bombardés, et souvent complètement pulvérisés par Israël à Gaza.
Les pays autocratiques offrent à leurs membres non seulement argent et sécurité, affirme Applebaum. Aussi et surtout, ils leurs offrent une chose moins tangible mais sans doute plus importante : l’impunité.
Après avoir vu les États-Unis utiliser leur véto au Conseil de sécurité de l’ONU pour bloquer une motion de cessez-le-feu à Gaza, et cela pour la quatrième fois depuis l’invasion israélienne de Gaza en octobre 2023, cette dernière affirmation d’Applebaum m’a frappée comme un coup de masse.
Pourquoi la plus grande puissance militaire au monde, qui se prétend la leader internationale de la démocratie, qui affirme défendre un ordre international fondé sur les règles, etc., accorde-t-elle à son grand allié israélien cette impunité totale ? Pourquoi offre-t-elle à Israël argent, soutien militaire à coup de dizaines de milliards de dollars, et sécurité ? Pourquoi rejette-t-elle le jugement de la Cour internationale de la justice qui estime plausible un génocide à Gaza et entame une enquête ? Pourquoi rejette-t-elle catégoriquement l’action de la Cour pénale internationale qui vient d’émettre un mandat d’arrêt contre le Premier ministre d’Israël Benjamin Nétanyahou et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes contre l’humanité ?
L’argument d’Applebaum selon lequel seules les autocraties ne respectent pas l’ordre international fondé sur des règles et les traités et convention sur le génocide tient-il vraiment la route ?
Notes
1.Counting the dead in Gaza : difficult but essential, The Lancet, le 10 juillet 2024. Consulté le 23 novembre 2024.
2.Nearly 70 percent of deaths in Gaza are women and children : UN, Al Jazeera, le 8 novembre 2024. Consulté le 23 novembre 2024.
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