Édition du 18 juin 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Concertation ou mobilisation ?

Si l’hiver peut nous laisser un répit, tout indique que les mobilisations amorcées cet automne vont reprendre de plus belle. C’est certainement possible, mais cela n’est pas inéluctable, contrairement à ce pensent certains romantiques.

Après tout, le 1 % relayé par les larbins qui prétendent gouverner à Québec est déterminé à foncer, sans compromis ! Pourquoi d’ailleurs en feraient-ils, des compromis ? Les élites ne pensent pas que le peuple est prêt à dire non. Elles croient que le peuple va parler avec une petite voix, de temps en temps. Elles estiment que le peuple est divisé entre les générations, gens qui ont un emploi à peu près stable et ceux qui ne l’ont pas, entre hommes et femmes, entre ceux qui sont d’ici et ceux qui viennent d’ailleurs. Au cas où cela ne suffirait pas pour tenir la populace tranquille, on peut faire peur, inculquer l’idée du tout-le-monde-contre-tout-le-monde. On peut le faire 1000 fois par minute avec les radios-poubelles.

Un autre élément qui fait que le 1% est confiant est qu’il a, du moins pour le moment, à peu près neutralisé les anciennes oppositions. Avec ce qui leur reste d’armes et bagages, celles-ci ont passé à droite. C’est arrivé et cela arrive au PQ, notamment, mais on pourrait dire la même chose du NPD, des travaillistes en Angleterre, des socialistes en France. Ces partis usés et obsédés par l’idée de revenir au pouvoir ont capitulé sur l’essentiel, en dépit des batailles d’arrière-garde que certains font encore dans ces partis. La démocratie est alors confinée dans un jeu absurde d’une fausse « alternance » où on peut tout promettre sauf de changer les choses. Les dominants peuvent dormir tranquilles. Du moins, ils le pensent, mais parfois, ils peuvent se tromper comme on le voit en Grèce !
 
Alors que faire ? Et bien il faut réfléchir un peu, car il y a plusieurs pièges à éviter.

Une des impasses les plus naturelles devant un système fermé comme celui qu’on a est la « politique du désespoir ». Elle peut s’exprimer de bien de façons, mais généralement elle relève d’une sorte de pensée magique, arrogante et impatiente. Si le peuple n’est pas prêt à se soulever, on va le faire à sa place. On va les réveiller. On va les secouer. Aujourd’hui, cette politique du désespoir aboutit souvent à des gesticulations, des actions « symboliques », des discours vides. Les Blacks blocs de ce monde sont un pitoyable reflet de cette pensée atrophiée que certains intellectuels mettent de l’avant au nom d’un anarchisme non-défini. Une variante de cet avant-gardisme est la propension de ce que j’appelle le « n’y-qu’à-ça-isme ». Si cela ne bouge pas assez vite, il n’y a qu’à décréter l’insurrection ou la grève générale. Si cela ne se produit pas, ce n’est pas parce qu’on est incapables d’organiser la révolte, c’est à cause des complots de la bureaucratie syndicale ou politique.

Certes, l’impatience a aussi ses qualités. Il faut avoir un certain niveau de volontarisme pour changer les choses. Ce volontarisme, lorsqu’il est bien pensé, produit la mobilisation. C’est ainsi qu’hier et aujourd’hui des batailles ont été gagnées, pour ouvrir l’accès à l’éducation par exemple. Si l’ASSÉ n’avait pas tenu son bout en 2012, il est certain qu’il n’y aurait pas eu le compromis que l’on connaît. Si certaines entreprises ont reculé sur leurs tentatives d’humilier les travailleurs, c’est parce que des braves gens ne se sont pas laissés intimider au Saguenay contre la multinationale Alcan-Rio Tinto. Des victoires, même partielles, proviennent des luttes, surtout lorsque celles-ci sont intelligentes, opiniâtres, organisées.

Aujourd’hui le chemin ne me semble pas très différent.

Aussi je suis un peu inconfortable devant un certain appel qui demande un « dialogue social », comme si la solution était de s’asseoir avec le 1 % pour les « convaincre ». Cette idéologie de la « concertation », a connu son heure de gloire dans les années 1980-90 au sein de certains syndicats. On ne peut pas dire que ça a bien fonctionné car fondamentalement et c’est peut-être malheureux pour certains, on ne peut pas passer à côté de la conflictualité de classe. Dire cela ne veut pas dire d’annoncer l’insurrection pour la semaine prochaine. Cela ne veut pas dire non plus qu’il n’y a pas de négociation ni de « petite » victoire possible. Enfin, cela ne veut pas dire que le mouvement populaire ne peut pas trouver des alliés en dehors du périmètre habituel.

Peut-être que ceux qui demandent ce « dialogue social » pensent que cela va mieux paraître dans l’opinion publique ou médiatique qu’un narratif qui met l’accent sur la mobilisation, mais je crois qu’il y a un danger. Partir de la conflictualité de classe et donc de la nécessité de construire un rapport de force nous ramène les deux pieds sur terre. Cela doit nous inciter à prévoir la longue bataille, à s’organiser, à ne pas se substituer aux capacités du peuple de résister, à profiter de toutes les occasions et toutes les tribunes, mêmes celles qui sont sous la coupe de l’adversaire, pour dire la vérité. Les mouvements populaires qui se tiennent debout, il y en a plein, ici comme ailleurs. On l’a vu cet automne, on le reverra au printemps.

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