A. Principales mesures du projet de loi 69
Rappelons en quelques mots les principales mesures du projet de loi 69. Il s’agit :
• De centraliser les pouvoirs dans les mains du responsable ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MÉIE).
• D’augmenter considérablement la production énergétique en doublant dans les 25 prochaines années les capacités de production d’électricité du Québec.
• D’inviter Hydro-Québec à investir des dizaines de milliards de dollars pour ce faire. [1]
• De prévoir l’élaboration d’un projet de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) qui établirait les orientations, les objectifs et les cibles à atteindre en matière d’énergie et d’efficacité énergétique sur un horizon de 25 ans.
• De privatiser une partie de la production et de la distribution de l’énergie renouvelable en favorisant l’autoproduction des entreprises privées.
• D’autoriser Hydro-Québec à se départir de davantage de ses centrales hydroélectriques au profit de petits intervenants comme les municipalités ou les communautés autochtones en rehaussant à 100 mégawatts la limite des projets de petites centrales hydroélectriques.
• De revoir le processus de tarification, particulièrement à partir de 2026, et d’ouvrir la possibilité de fixer un ou plusieurs tarifs pour les clients résidentiels d’Hydro-Québec afin d’amener les consommateurs à consommer moins. [2]
B. Les réactions au projet de loi 69 en commission parlementaire
Les interventions faites dans le cadre de la commission parlementaire méritent d’être examinées, car elles permettent de voir le caractère de classe de ce projet de loi qui apparaît comme un coup de force antidémocratique sous le couvert de la décarbonation et qui risque de se concrétiser par une régression démocratique de la société québécoise tout en évitant la discussion sur les politiques qui permettraient d’atteindre les objectifs de réduction de GES et d’engager une véritable lutte aux changements climatiques et à la perte de la biodiversité.
Les interventions des organisations patronales.
La communauté d’affaires s’est réjouie des mesures destinées à renforcer la production d’électricité et à accélérer la privatisation de la production et de la distribution d’énergie.
À l’intérieur de cette communauté, Energir a salué le dépôt du projet de loi 69 et la volonté du gouvernement du Québec d’inclure Énergir dans les travaux d’élaboration du plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE). Le projet de loi selon Énergir permettra de faire avancer la filière GSR afin que le Québec maintienne son rôle de leader en Amérique du Nord.
Les Manufacturiers et Exportateurs du Québec, le Conseil du patronat, la Fédération canadienne des entreprises indépendantes et la Fédération des chambres de commerce du Québec [3], malgré diverses préoccupations et des propositions d’amendements différentes, accueillent ce projet de loi favorablement car il répond à plusieurs de leurs intérêts et objectifs :
• avoir accès à plus d’énergie en quantité suffisante pour répondre aux besoins actuels et à leur projet de croissance et d’augmentation de leurs profits ;
• assurer d’avoir des tarifs compétitifs. Si les organisations patronales représentant les PME comme la FCEI dénoncent l’interfinancement, soit le fait que la majorité des PME paient pour les plus grandes entreprises qui ont des tarifs préférentiels (tarif L) et les résidents, elles espèrent que le gouvernement se rendra à leurs demandes et leur offrira des mesures fiscales et des subventions leur permettant de faire face à d’éventuelles augmentations de tarifs.
• L’ensemble du patronat salue le projet de loi qui permettra d’accélérer et de faciliter l’autoproduction d’énergie. Il appelle à l’octroi des crédits d’impôt pour faciliter cette autoproduction. Les Manufacturiers et Exportateurs du Québec invitent même le gouvernement à permettre des projets comportant plus d’une entreprise et à ne pas limiter la possibilité de vente aux entreprises situées sur des terrains adjacents.
• Les organisations patronales insistent pour que le PGIR s’assure du soutien de l’ensemble des filières énergétiques et que tous les secteurs (secteurs gazier et pétrolier y compris) puissent être impliqués dans sa mise au point.
Unanimement, les représentants du patronat se font les défenseurs de l’augmentation considérable de la production, de la privatisation, de la production d’énergie par l’autoproduction et de leur implication dans la distribution. Ils ne semblent nullement préoccupés par le fait que le projet de loi ne fasse aucune place à un plan de décarbonation et de lutte aux changements climatiques. La croissance verte comme occasion d’affaires et d’enrichissement balaie toutes les réflexions sur les limites de la planète pour ne pas parler de réelles politiques de décroissance. Les organisations patronales ne semblent nullement préoccupées par le fait que la démarche du gouvernement n’a pas fait place à un large débat citoyen. Le premier ministre est complètement en phase avec les aspirations des propriétaires des entreprises, et particulièrement, avec les plus grandes d’entre elles.
Réactions des organisations syndicales, populaires et écologistes.
Des groupes de la société civile ont demandé la suspension des travaux parlementaires entourant le projet de loi 69. [4]
La FTQ réitère dans son mémoire [5] sa « position ferme contre l’adoption du projet de loi no. 69 dans sa forme actuelle. Elle y dénonce la centralisation des pouvoirs dans les mains du ministre, le fait qu’il facilite la proposition de la privatisation et s’attaque ainsi au contrôle d’Hydro-Québec sur la production de l’énergie. Elle écrit :
La FTQ appelle à la suspension immédiate des travaux parlementaires sur le projet de loi et demande la mise en place d’un Plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) avant toute reprise des discussions. Ce plan doit inclure une évaluation exhaustive des impacts environnementaux et économiques, garantir que les décisions énergétiques du Québec soient alignées avec les engagements internationaux en matière de biodiversité et de lutte contre les changements climatiques et assurer un processus décisionnel inclusif qui mettra de l’avant l’expertise des travailleuses et travailleurs ainsi que des nombreux acteurs de la société civile. »
La FTQ recommande de maintenir une gestion exclusivement publique des infrastructures énergétiques afin de préserver leur statut de bien commun, crucial pour la collectivité et propose même que le mandat d’Hydro-Québec soit étendu à l’ensemble de la production, du transport, et de la distribution électrique quelle qu’en soit la source et que les sources renouvelables soient nationalisées.
Ces dimensions sont effectivement absentes du projet de loi.]
La CSN dénonce le fait que le projet de loi 69 ouvre la porte à plus de production d’électricité privée par son article 38 qui permet à une entreprise de produire de l’électricité et de la distribuer à un client situé sur un terrain adjacent. La hausse à 100 mégawatts (MW) maximum, plutôt que les 50 MW actuels de la production hydroélectrique privée, va également dans le même sens. C’est une – autre voie par laquelle de nouveaux producteurs privés pourraient apparaître. Pour la CSN, Hydro-Québec doit être le seul maître d’œuvre pour le développement du secteur éolien au Québec. [6]. En Accord avec la FTQ et le Front commun pour la transition énergétique, la CSN, dans sa recommandation finale (16), appelle à ce que le « gouvernement sursoie à l’adoption du PL 69 et qu’il devance une consultation publique large sur le PGIRE. » [7]
L’Union des Producteurs Agricoles (rappelle pour sa part) que la nationalisation de l’électricité a permis « l’industrialisation des campagnes et d’améliorer les méthodes de production et aussi de garantir un accès équitable et abordable à l’électricité pour tous les Québécois ». Elle dit craindre que le projet de loi 69 débouche sur un retour en arrière. Le mémoire souligne que les terres agricoles ne constituent que 2% du territoire du Québec et que la gestion gouvernementale actuelle face au développement des énergies renouvelables ne contribue pas à protéger la production agricole du Québec. [8]
Le mémoire de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador [Mémoire de l’Assemblée des Premières Nations [https://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_202029&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz]] demande une série d’engagements au gouvernement qui démontrent leur volonté que « les Premières Nations, leurs gouvernements, leurs savoirs et leurs expertises doivent être placés au premier plan de la transition énergétique et du développement économiques, c’est pourquoi, l’APNQL demande une série d’engagements : assurer une représentation des Premières Nations au sein de l’effectif d’Hydro-Québec, prévoir un financement dédié aux Premières Nations, contribuer à la réconciliation économique avec les ¨Premières Nations en précisant des exonérations fiscales, partager les décombres et compenser les domaines du passé et actuel, verser des dividendes d’Hydro-Québec aux Premières Nations, réaménager et restaurer à la fin de l’exploitation, alléger le processus de conclusion entre Hydro-Québec et les Premières Nations, interdire la production d’énergie nucléaire et cibler des entreprises des Premières Nations. Les engagements demandés sont mis en contexte et s’expriment dans des recommandations précises sur lesquelles il faudra revenir.
Réactions groupes écologistes. Les groupes écologistes déplorent que la sobriété énergétique ne soit pas une priorité. Les entreprises vampiriseront les mégawatts qui ne seront pas disponibles pour se libérer des hydrocarbures. Ils dénoncent également le fait le secteur privé joue un rôle plus significatif en matière d’énergie .
Le titre du mémoire du Front commun pour la transition énergétique est percutant : PL69 sur l’énergie devrait être reportée. [9] Cette proposition s’appuie sur une critique sans compromis.
Compte tenu de la nature des propositions du projet de loi, qui touchent 15 lois et 7 règlements, ainsi que de leurs profonds impacts sur la société et l’environnement, nous sommes d’avis que cette réforme législative, dans sa forme actuelle, serait mal avisée. C’est pourquoi nous demandons de suspendre les procédures menant à son adoption et de retourner à la planche à dessin à la suite d’un réel débat public sur l’avenir énergétique du Québec.
- Le PL-69 ne mène pas à la décarbonation puisqu’il ne contient aucune disposition assurant l’abandon des énergies fossiles
- Le PL-69 favorise un développement industriel énergivore effréné
- Le PL-69 reporte injustement le coût de ce développement industriel sur les tarifs d’électricité
- Ce qui est une injustice sociale
- Et une injustice environnementale
- Le PL-69 aide le secteur privé à s’approprier notre patrimoine énergétique en ouvrant de nouvelles portes vers la privatisation d’Hydro-Québec ou d’une grande partie de ses actifs
- Le PL-69 aurait des impacts catastrophiques sur le territoire
- Le PL-69 ignore les mesures pourtant incontournables à prendre pour favoriser la sobriété collective :
- Nécessaire pour une transition énergétique moins coûteuse.
- Nécessaire pour respecter les limites des territoires.
- Nécessaire pour éviter le nucléaire.
- Le PL-69 repose sur des orientations qui n’ont jamais été présentées à la population et n’ont jamais été débattues ;
Nous croyons que l’ensemble de ces considérations justifie de lancer rapidement le débat de société qui devrait servir de socle au plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE) que le gouvernement s’est engagé à élaborer, et de déposer un projet de loi sur l’énergie fondamentalement remanié, une fois cet exercice complété.
C. Ouvrir un large débat citoyen pour élaborer une réponse solidaire pour la lutte aux changements climatiques
Le gouvernement Legault, malgré la volonté de verdir son discours, manifeste un manque de volonté politique pour rompre avec une croissance basée sur un modèle extractiviste incompatible avec la réduction nécessaire de la consommation énergétique. Si l’ensemble des organisations patronales appuient d’emblée ce projet, ce n’est nullement le cas, pour les organisations syndicales, écologiques, populaires et pour les Premières Nations.
Pour notre part, nous pensons que les axes de ce débat doivent aborder les questions suivantes ;
- Quels sont les fondements d’une politique solidaire de l’énergie et de la lutte aux changements climatiques ?
- Quelle est la place des nationalisations des entreprises produisant des énergies renouvelables ?
- Quelles politiques industrielles sera-t-il nécessaire de mettre en place pour décarboner l’économie et planifier des investissements qui répondent aux besoins de la population ?
- Comment assurer une véritable implication citoyenne dans la détermination des choix stratégiques dans la lutte aux changements climatiques ? [10]
Un vaste débat citoyen doit s’ouvrir. Le gouvernement Legault rejette maintenant cette perspective. Il est important que les organisations écologistes, syndicales et populaire entreprennent ce vaste débat en organisant des États généraux de la société civile pour impliquer le plus largement possible les citoyennes et les citoyens du Québec dans ces débats qui sont importants pour assurer la reprise en main de leur destin dans cette situation d’urgence climatique.
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