Le problème des finances publiques est réel, mais nous devons constater que dix ans après les tentatives de réingénierie de l’État de Jean Charest, nous revoilà encore une fois plongés dans un exercice qui est biaisé d’avance.
Biaisé, car le gouvernement n’a pas donné à la Commission le mandat d’examiner l’ensemble des facteurs expliquant la récurrence des problèmes. De fait, la Commission se contentera d’examiner le fonctionnement et les coûts des programmes gouvernementaux et évitera les questionnements sur les sources de revenus de l’État. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, et pour ne reprendre que quelques exemples, les gouvernements se sont privés de revenus importants en abaissant les niveaux réels d’imposition des grandes corporations et en refusant de relever les taux d’imposition sur les successions ou sur les gains en capitaux. Même constat du côté des redevances liées à l’exploitation de certaines ressources et aux avantages financiers accordés, selon diverses modalités, à certaines entreprises dont les alumineries. Des études récentes ont également montré que le phénomène des paradis fiscaux draine une partie importante des revenus qui devrait légitimement retournés à la collectivité.
Le discours qui accompagne l’exercice est tout aussi biaisé et idéologiquement marqué. À lire les réflexions du Ministre Coiteux ou de la Présidente de la Commission, nous avons l’impression que le modèle de l’État interventionniste est en expansion depuis les années 1990 au Québec. Le portrait ainsi proposé voile quelque peu la réalité, car au Québec, comme ailleurs en Occident, l’État a davantage pratiqué le désengagement, le sous-financement, la privatisation, la déréglementation et la sous-traitance plutôt que l’inverse. Alors, pourquoi les finances sont en si mauvais état ? Parce que, tout en se désengageant, les gouvernements ont privatisé une partie des revenus et surtout, ils ont socialisé les dépenses et les coûts. Rappelons également que nous sommes dans un contexte où la valeur des patrimoines privés est en expansion alors que les écarts de richesse se creusent. Dans ce contexte, bien qu’il soit légitime d’éliminer les dépenses inutiles et de corriger les gaspillages, il serait pertinent de faire un bilan des sources potentielles de revenu de l’État québécois.
Pour légitimer l’exercice, la commission invite les Québécois à s’exprimer sur le site de la Commission. On pose quatre questions aux citoyens. Les deux premières concernent le fonctionnement et les économies récurrentes liés aux programmes. Questionnements qui s’adressent avant tout à ceux qui sont déjà familiers avec le fonctionnement de l’appareil d’État, mais assez peu à la majorité des citoyens qui ont peu d’information et de connaissances sur ces réalités. Les deux autres questions portent sur les dépenses publiques en fonction des priorités actuelles et de leur pertinence dans le contexte d’aujourd’hui. Autrement dit, on demande à la population de s’interroger sur les grands enjeux sociaux et sur les choix de société que nous voulons défendre par le biais d’un vox pop ! On accorde 5000 caractères par intervention ? Oubliez les débats et la réflexion politique, la démocratie version libérale se conjugue en mode twitter. D’ailleurs, à lire les commentaires sur le site, on se rend vite compte que l’opération sert plus de défoulement collectif contre l’aide sociale, les fonctionnaires, les féministes, les syndiqués… que de tremplin à une véritable discussion.
Sylvain Benoit
Enseignant de sciences politiques au CÉGEP Gérald-Godin.