Frida Dahmani, à Tunis
Très attendue, une loi anticorruption a été approuvée par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) dans la soirée du 22 février. Elle prévoit notamment la protection des lanceurs d’alerte et la mise en place de mécanismes de dénonciation du phénomène.
Jeune Afrique : Le projet de loi relatif à la dénonciation de la corruption a été approuvé… Vous sembliez ne plus y croire ?
Chawki Tabib : Il faut s’en réjouir mais tôt ou tard il ne pouvait qu’être adopté. Je craignais néanmoins des discussions byzantines qui auraient retardé la mise en place d’un outil aussi fondamental pour lutter contre la corruption. Il fallait un texte qui mette à l’abri les lanceurs d’alerte aussi bien des poursuites judiciaires et que des menaces des personnes dénoncées. Logiquement ce projet ne pouvait que convaincre par son bien-fondé, mais il a rencontré une opposition qui s’est activée en coulisse en évitant de s’afficher. Cependant, au regard de l’opinion nationale et internationale, il ne pouvait en être autrement ; un report de plus n’aurait pas été raisonnable dans la mesure où le texte a été discuté, détaillé sous ses moindres coutures, amputé puis étoffé.
Quelles sont les grandes lignes de la nouvelle loi ?
Elle définit les conditions et les procédures de dénonciation de la corruption et de protection de ses dénonciateurs et envisage des sanctions contre ceux qui révéleraient l’identité d’un dénonciateur.
Quelle est la prochaine étape ?
Le gouvernement a inscrit la lutte contre la corruption sur sa feuille de route mais nous devrions avancer plus vite. Cette loi est un premier pas important ; protéger les lanceurs d’alerte est essentiel mais il y a encore de nombreuses mesures à prendre pour combattre efficacement la corruption dans l’administration et les institutions, jusqu’à parvenir à une bonne gouvernance, dans la transparence. La dynamique est lancée. D’après Transparency International corruption, la Tunisie a progressé de 3 points au niveau de l’indice de perception de la corruption en 2016. Cela souligne les efforts consentis pour lutter contre la gangrène.
Les dossiers que vous traitez sont transmis à la justice sans être rendus publics. Quelle était la situation de ceux qui dénonçaient la corruption jusqu’ici ?
Nous avons entendu des histoires terribles. Des personnes ont été menacées, leur vie a été gâchée parce qu’ils avaient voulu rompre l’omerta qui sévit dans l’administration. Le harcèlement et la mise au frigo étaient chose courante. Cela pouvait durer des années. Certains ont également été sommés de rentrer dans le rang et de se taire faute de quoi leur famille était menacée de rétorsions.
Après cette adoption, les choses vont-elles s’accélérer ?
Le problème est la mise en application de la loi. Qui dit protection, dit moyens financiers. Avec 2 millions de dinars de budget, l’Instance nationale de lutte contre la corruption ne pourra faire face à moins que des fonds supplémentaires ne lui soient alloués. L’instance démontre par ses activités qu’elle est dans son rôle ; elle réussit à bloquer certains circuits de corruption mais il lui faut mobiliser des moyens supplémentaires pour être présente sur tout le territoire, recruter des experts, opérer des investigations. En Italie, la lutte contre la corruption est financée par un prélèvement de 1% sur les marchés publics.