I- Qu’est-ce que l’urgence climatique ?
Dans son dernier rapport publié en 2018, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a sonné l’alarme climatique et révélé que :
Les activités humaines ont déjà provoqué un réchauffement climatique de 1 ± 0,2 °C au-dessus des niveaux préindustriels. La température moyenne augmente actuellement de 0,2 ± 0,1 °C par décennie en raison des émissions passées et actuelles. A ce rythme, le réchauffement dépassera 1,5 °C entre 2030 et 2052. Les systèmes humains et naturels pâtiront davantage d’un réchauffement de 2 °C que d’un réchauffement de 1,5 °C. (GIEC, 2018)
Suite à cet appel, nous assistons partout dans le monde à une mobilisation citoyenne sans précédent visant à faire pression sur les dirigeants politiques d’agir. Ici au Québec, deux initiatives sont en cours : 1) le Pacte pour la transition : une initiative du metteur en scène Dominique Champagne invitant à la fois les citoyen.ne.s à poser des gestes individuels mais aussi les différents paliers de gouvernement à adopter les lois et les actions forçant le respect de nos engagements climatiques ; 2) la Déclaration urgence climatique du Groupe Mobilisation (GMob) ciblant tout particulièrement les municipalités du Québec.
Le 3 décembre dernier, le conseil municipal a endossé à l’unanimité ces deux initiatives et s’est engagé notamment à réviser « son plan de réduction des gaz à effet de serrepour inclure un volet collectivité et viser une réduction de 50 % d’ici 2030 ». (Ville de Québec, 2018)
II- Urgence climatique et Ville de Québec
En 2011, la Ville de Québec adoptait un Plan de réduction des gaz à effet de serre pour la période 2011-2020. L’un des enjeux important de ce plan était une gestion optimisée et efficiente des matières résiduelles afin d’agir sur les trois principales sources d’émission de gaz à effet de serre : la quantité de matières non recyclées, l’incinérateur et les lieux d’enfouissement.
Afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre produites notamment par son incinérateur, celles-ci équivalent annuellement à la circulation de 120,000 voitures parcourant 10,000 kilomètres, la Ville de Québec s’engageait dans son Plan de réduction des gaz à effet de serre à construire, d’ici 2020, un centre de valorisation des matières putrescibles [1] visant à de réduire les émissions de GES issues de l’incinérateur de quelque 24 000 t éq. CO2, soit une moyenne d’environ 8 000 t éq. CO2 par année.
III- La biométhanisation : est-ce un bon choix ?
La biométhanisation est un procédé de traitement de la matière organique très semblable au compostage mais réalisé en l’absence d’oxygène. Il permet de produire simultanément un genre de précompost (digestat) et du méthane, le principal composant du gaz naturel fossile. Ce procédé est connu depuis longtemps. Il est utilisé avec succès pour le traitement des effluents liquides de certaines entreprises agroalimentaires, telles que des fromageries ainsi que du lisier. Il est très attrayant puisqu’il produit du gaz naturel renouvelable (GNR) à partir de résidus dont le rejet dans le milieu naturel est très dommageable. Par contre, la biométhanisation, pour le traitement des matières organiques solides, pose des enjeux technologiques et économiques non négligeables.
IV- Le projet de la Ville de Québec : un projet ambitieux comportant plusieurs choix risqués
Le projet actuel de centre de biométhanisation de la ville de Québec est un projet unique au Québec, tant par le contenu des matières qui y seront traitées que des choix technologiques privilégiées. Selon consortium Roche-Électrigaz, il « figure parmi les plus importants et complexes centres de traitement de la matière organique en développement en Amérique du Nord ». (Roche-Electrigaz, 2014) Voici maintenant quelques-uns des choix risqués de ce projet.
1. Biométhaniser les matières organiques : un choix hasardeux selon l’IREC
Dans une étude réalisée en 2014 par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) sur le traitement par biométhanisation des matières organiques et analysant les résultats de différents projets inscrits au Programme de traitement des matières organiques par biométhanisation et compostage (PTMOBC), dont celui de la Ville de Québec [2], l’IREC en arrive à la conclusion que la voie du compostage des matières organiques est une voie plus prometteuse que celle la biométhanisation en raison des nombreux résultats hasardeux suivants de cette dernière voie :
Dans l’état actuel des choses, pour autant qu’on puisse en juger, la voie de la biométhanisation apparaît comme hasardeuse. Le potentiel de revenus est extrêmement bas et ne justifie guère l’investissement requis. Dans un contexte où le prix du gaz est susceptible de rester bas pour une assez longue période et en situation de surplus d’électricité, la voie de la valorisation énergétique des matières organiques putrescibles n’apparaît guère porteuse. Pire encore, elle apparaît très risquée pour les municipalités qui souhaitent l’emprunter, le niveau de subvention requis est tellement élevé que les projets sont susceptibles de se transformer en véritables éléphants blancs. Il faut absolument une mise au point reposant sur la publication d’une information complète dont actuellement le Ministère du Développement durable est le seul dépositaire. Le déficit d’information se double d’un déficit démocratique justifiant un temps d’arrêt pour que les contribuables puissent non seulement voir clair, mais encore et surtout, savoir combien il leur en coûtera et les solutions retenues sont les meilleures et les moins chères pour réduire les gaz à effet de serre. Déjà les interrogations sont assez radicales pour remettre en question la pertinence de choisir une voie qui, en plus d’être coûteuse, est susceptible de n’avoir que peu d’impact sur le développement économique local et même national dans la mesure où, pour l’essentiel, la technologie et l’expertise seraient importées. À cet égard, la voie du compostage50 mérite un examen approfondi, qui pourrait justifier une révision en profondeur du PTMOBC. D’une part, cette solution s’impose par défaut à une majorité de municipalités et territoires qui ne produisent pas suffisamment de matière organique putrescible pour justifier même d’examiner une hypothèse de biométhanisation. D’autre part, c’est une filière où existe déjà une expertise locale (41 centres de compostage sont déjà en exploitation) et qui a un impact direct sur le développement local et la création d’emplois là où les centres sont implantés. Le choix de bannir l’élimination de la matière putrescible pourrait offrir une avenue fort prometteuse de développement pour beaucoup moins cher, comme on peut déjà l’estimer à partir de l’analyse des données actuellement disponibles. (IREC, 2014, p. 31)
2. Traiter les boues municipales et les résidus de table : un choix rendant risqué l’utilisation du compost
En matière de contenu, la Ville de Québec a choisi de traiter ensemble deux types de matières organiques : soit celles de nos résidus de table et des boues municipales. Nous avons ici un premier élément contestable de ce projet, car la composition de ces deux résidus est très différente. Notamment, les boues municipales, provenant des deux unités de traitement des eaux, est un résidu contenant plusieurs contaminants. Selon une étude réalisée par l’Institut national de la santé publique, les biosolides municipaux contiennent différents métaux préoccupant pour la santé des citoyen.ne.s.
le cadmium, le mercure, le plomb et l’arsenic présentent les propriétés toxicologiques les plus préoccupantes du point de vue de la santé publique (Santé Canada, 2004). Brièvement, ces métaux sont reconnus comme étant néphrotoxiques, cardiotoxiques, neurotoxiques ou cancérogènes. Le chrome hexavalent, le nickel et le cobalt soulèvent aussi des préoccupations puisqu’ils sont classés comme cancérigènes probables ou possibles selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, 2015). En plus de ces composés inorganiques, plusieurs centaines de composés organiques, dont certains sont étudiés depuis fort longtemps, sont susceptibles de se retrouver dans les boues municipales (Harrisson et al., 2006). (INSPQ, 2016)
Donc, en mélangeant les boues municipales, un résidu contaminé, à celui des résidus de table, le projet de la Ville de Québec compromet la qualité du compost qui résultera de la biométhanisation et sa réutilisation dans le domaine agricole.
3. Faire transiter par un conduit de 1,7 km les matières organiques de l’incinérateur au centre de biométhanisation : un choix faisant peser une incertitude de colmatage
Dans un souci de réduire le camionnage lourd, une problématique importante vécue par les citoyen.ne.s de Limoilou vivant le long du boulevard Henri-Bourassa et dans l’axe de la Canardière (entre Henri-Bourassa et Des capucins), la Ville de Québec a décidé de construire, à proximité de l’incinérateur, un centre de récupération des matières organiques. C’est dans ce centre que les matières organiques seront triées des autres matières résiduelles, puis, transférées par un conduit souterrain vers le Centre de biométhanisation.
Notons ici que ce conduit souterrain de 1,7 km existe déjà puisque c’est par celui-ci que les boues municipales de l’Usine de traitement des eaux transitent présentement pour être incinéré. Cette solution retenue par la Ville de Québec d’inverser ce conduit pour y faire transiter des matières organiques est toutefois risqué. Selon le rapport d’études réalisées en 2015 par le consortium Roche-Électrigaz un tel scénario « pose un risque non négligeable au procédé » en raison d’un risque de colmatage résultant de la « sédimentation et de la croissance de struvite » dans la conduite. Voici un extrait de ce rapport à ce sujet :
Pour le scénario B, les ROTS conditionnés et chauffés sont pompés sur 1700 m vers le CBAQ via une des conduites existantes. Cette conduite est enfouie à plus de 2 m pour la protection du gel. Elle est non isolée et les joints ont une limite de température d’utilisation de 65 C selon les spécifications du o manufacturier. La perte de chaleur anticipée dans cette conduite enfouie a été estimée à environ 5 C avec les débits prévus et un pompage en continu sur 1 700 m.
Dans le scénario B, une incertitude subsiste sur le colmatage possible de la conduite de 1700 m par la sédimentation et la croissance de struvite. L’utilisation exclusive de cette conduite comme amenée de ROTS conditionnés et de chaleur au CBAQ pose un risque non négligeable au procédé. Des mesures de mitigations devront être développées si ce scénario est retenu. ([Roche-Electrigaz, 2014, p.113->https://www.ville.quebec.qc.ca/apropos/planification-orientations/matieres-residu])
4. Faire reposer la cueillette des matières organiques sur l’utilisation de sacs de plastique : un choix qui va à l’encontre du mouvement mondial d’abolition des objets de plastique à usage unique
Afin de limiter le nombre de collectes par camion, la Ville de Québec a opté pour l’utilisation de sacs de plastiques à couleur spécifique pour recueillir les matières organiques. En décembre 2018, Ici Québec de Radio-Canada révélait que la Ville de Québec n’avait pas encore arrêté son choix entre de sacs de plastique compostables, de sacs biodégradables ou de sacs de plastique recyclables. Pourtant, à l’ère des mères de plastique et de leurs impacts sur l’écosystème des océans, tout milite plutôt vers un bannissement des objets de plastique à usage unique (ex. les sacs minces) ou une taxation de celle-ci pour favoriser la réutilisation ou le recyclage. En favorisant l’utilisation des sacs de plastique, la Ville de Québec va à l’encontre d’une tendance mondiale au bannissement des objets de plastique à usage unique. Selon une nouvelle de Radio-Canada de janvier 2018, il y avait à ce moment-là, une soixantaine de pays ayant réglementé l’utilisation des sacs de plastique et quelque 300 villes avaient adopté des mesures pour réduire la consommation de sacs à usage unique.
5. Construire un centre de récupération des matières organiques à proximité de l’incinérateur : un choix qui ne réduit pas la problématique du camionnage lourd pour les citoyen.ne.s de Limoilou
Le projet de centre de biométhanisation tel que promu par la Ville de Québec nécessitera la construction, à proximité de l’incinérateur, d’un centre de récupération des matières organiques à proximité de l’incinérateur afin de faire un prétraitement de ces matières avant qu’elle soit dirigé vers le centre de biométhanisation. Cela veut donc dire que des dizaines de milliers de camion lourd, fonctionnement au diesel, continueront de se diriger vers ce centre, situé en plein cœur du quartier Limoilou. Cela veut donc dire que la qualité de l’air de cette population continuera à être affecté par les fines particules émises pas ces camions fonctionnant au diesel. D’ailleurs, selon une étude de Santé Canada, tirée d’un article de l’INSPQ publié en février 2018, cette source de contaminant est une cause importante de décès prématuré :
des analyses de Santé Canada ont montré que les émissions de véhicules routiers à essence et diesel contribuent aux concentrations ambiantes des principaux polluants atmosphériques, comme le monoxyde de carbone (CO), les PM2.5, le NO2 et l’O3 (14, 15). Les résultats de modélisation pour l’année 2015, selon une approche analogue à la présente analyse, indiquent que les émissions de véhicules routiers à essence sont associées à 700 décès prématurés (14) et que les émissions de véhicules routiers diesel sont associées à 320 décès prématurés (15). La majorité de ces décès prématurés sont attribuables aux concentrations ambiantes de PM2,5 (65 – 69 % des décès) et de NO2 (20 – 35 % des décès). En incluant les émissions des moteurs et des usages hors routeIII, les impacts sanitaires des émissions de sources mobiles sur route et hors route s’élèvent à 940 décès prématurés pour l’essence, et atteignent 710 décès prématurés pour le diesel. (INSPQ, 2018)
V- Le projet de la Ville de Québec est-il conforme aux Lignes directrices ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte conte les changements climatiques (MDDELCC) pour l’encadrement des activités de biométhanisation ?
Selon le MDDELCC,
la biométhanisation constitue une avenue très intéressante pour le traitement des matières organiques en vue de leur valorisation. Par contre, il faut prendre en compte les impacts environnementaux liés au procédé de biométhanisation. En effet, ce procédé repose sur la dégradation de la matière organique par des micro-organismes en l’absence d’oxygène. Pour ce faire, il y aura donc présence sur le lieu de matières qui dégagent des odeurs en raison de la libération de substances volatiles (acides gras, composés azotés ou soufrés, cétones, aldéhydes, composés aromatiques, etc.) lors de la réception ou à diverses étapes du procédé. Le niveau d’odeur pourrait créer des nuisances au voisinage. Il faut aussi considérer la gestion des eaux provenant du digestat (eaux de procédé), la gestion du digestat lui-même et les risques de contamination des eaux de surface. De plus, le camionnage et les opérations peuvent engendrer du bruit et des poussières. Quant au biogaz, il nécessitera des mesures de sécurité dans sa gestion et pourra nécessiter une épuration plus ou moins importante selon l’origine des matières traitées et en fonction de l’utilisation choisie. La combustion de celui-ci pourrait aussi avoir des impacts sur la qualité de l’air. L’annexe 1 présente des extraits d’études d’agences françaises comparant les risques liés au biogaz et au gaz naturel. (MDDELCC, 2018)
Les Lignes directrices émises par le MDDELCC visent donc à ce que tous les aspects mentionnés précédemment soient prises en compte lors de la mise en place d’un projet de biométhanisation.
En ce moment, lorsqu’on consultele site de la Ville de Québec consacré au Centre de biométhanisation, on constate que plusieurs études prévues aux Lignes directrices ne sont pas encore disponibles :
-* Une étude de dispersion « de niveau 237 », telle qu’elle est décrite dans le Guide de la modélisation de la dispersion atmosphérique [3] (MDDEP, 2005a). Cette étude étant nécessaire afin de valider la capacité de support du milieu et seront utilisés afin d’établir les mesures nécessaires à l’acceptabilité de l’activité prévue à cet endroit.
- Une étude hydrogéologique permettant de déterminer la direction de l’écoulement de l’eau, le ou les horizons aquifères à surveiller ainsi que la qualité initiale des eaux souterraines. Des puits d’observation devront donc être situés en aval de l’endroit où se retrouvent les installations. Un puits supplémentaire sera nécessaire en amont du lieu afin de permettre une comparaison et d’établir s’il y a variation significative de la qualité de l’eau souterraine. Les puits devraient permettre de détecter, à l’aide de l’échantillonnage des eaux souterraines, les fuites des équipements.
et plusieurs documents prévus aux Lignes directrices du MDDEP pour l’encadrement des activités de biométhanisation ne sont pas encore disponibles :
-* les mesures de contingence établies pour les situations d’urgence en cas de fuite de biogaz dans l’atmosphère ;
- le protocole d’échantillonnage ou de suivi en continu de la concentration en H2S du biogaz ;
- le plan de contingence décrivant l’ensemble des mesures advenant un mauvais fonctionnement du digesteur nécessitant sa vidange ;
- le plan d’intervention et de mesures en cas d’urgence ;
- un protocole de suivi, préparé par un professionnel habilité de par sa formation ou son expertise sur l’étanchéité des installations et des eaux souterraines ;
- le plan de gestion des odeurs devant être élaboré et déposé avec la demande de certificat d’autorisation ;
- le devis d’opération prévu à l’annexe 6 des lignes directrices et devant être déposé avec la demande de certificat d’autorisation.
- VI- La Ville de Québec a-t-elle entreprise et obtenue son Certification d’autorisation du MDDELCC ?
Dans le rapport d’études réalisées en 2015 par le consortium Roche-Électrigaz, il était recommandé, à la Ville de Québec ce qui suit au sujet du Certificat d’autorisation :
Enclencher le plus tôt possible la demande de certificat d’autorisation (CA) auprès du MDDELCC, avec l’assistance du professionnel maître, afin d’atténuer et de mitiger le risque potentiel de revirement technologique associé aux préachats de procédés, et ce, avant l’obtention dudit CA. (Roche-Electrigaz, 2014, p.iv)
Est-ce que cette demande a été faite par la Ville de Québec ? Si oui, est-ce que celui-ci il lui été accordé ? Sinon, avant d’entreprendre des changements de zonage, ne serait-il pas sage d’attendre d’avoir obtenu un tel certificat ?
Jean Yves Desgagnés
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