Édition du 12 novembre 2024

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États-Unis

Ce que Bernie Sanders pourrait faire au poste de Secrétaire au travail

Si J. Biden le décidait, B. Sanders, avec une équipe de leaders visionnaires, pourrait façonner un nouveau New Deal pour la classe ouvrière américaine.

John Nichols, The Nation, 16 novembre 2020
Traduction, Alexandra Cyr

La plus grande force de B. Sanders a toujours été sa détermination à repousser les frontières politiques. Dernier exemple : il envisage de se joindre à l’administration du Président désigné, J. Biden, à titre de Secrétaire au travail, ce qui s’appelle se situer en dehors des chemins déjà battus.

Son intérêt pour la fonction est un secret de polichinelle depuis des semaines. Il déclare : «  Si on me propose une fonction qui me permet de me battre pour les familles des travailleurs.euses, est-ce que je dirais oui ? Je dirais oui  ».

La perspective qu’il puisse occuper le poste de Secrétaire au travail n’est que ça : une perspective. Mettre en perspective c’est ce qu’il fait quand il répond à Wolf Blitzer à CNN : « Ce qui est exact, c’est que je veux faire tout ce que je peux pour protéger les familles ouvrières dans ce pays. Elles vivent des temps extrêmement durs en ce moment. Au Sénat ou dans l’administration Biden ? Qui sait. Nous verrons ».

Il existe des arguments solides pour qu’il reste au Sénat. Il y a élaboré et défendu sa plateforme de Medicare pour tous et toutes, en passant par la neutralité du Net et d’une politique étrangère humaine. Il a réuni un personnel exceptionnel qui a transformé son bureau en porte d’entrée pour les militants.es en matière d’économie, de justice raciale et sociale, ainsi que pour les environnementalistes.

L’enjeu du rapport de force dans cette Chambre est aussi à l’ordre du jour, y étant en équilibre instable pour le moment. Les Républicains.es pourraient perdre leur majorité si les électeurs.trices de Géorgie choisissaient les candidats démocrates M. Jon Ossoff et le Révérend Raphaël Warnock lors du 2e tour le 5 janvier prochain. Deux démocrates de plus au Sénat établirait la division du vote à 50-50 et, dans ce cas, c’est la vice-présidente, Mme K. Harris, qui trancherait et pourrait le faire en faveur de la nouvelle administration. L’idée de retirer un membre (démocrate) du Sénat est inquiétante, même si le gouverneur républicain du Vermont, Phill Scott, a déclaré qu’il pourrait désigner un.e indépendant.e pour occuper le siège libéré. Cette personne pourrait entrer dans le caucus démocrate.

Mais la question la plus importante est de savoir si J. Biden est vraiment prêt à accorder autant d’importance au Département du travail et à le confier à un ancien adversaire. Supposons que l’audace soit au programme ; que pourrait faire B. Sanders comme le membre le plus en vue du cabinet Biden ?

Avec l’approbation de J. Biden jumelée à un poste qui lui permettrait d’agir avec autorité et une certaine indépendance, il pourrait transformer le Département du travail en un centre de défense des travailleurs.euses et de services à cette population. C’est ce qui s’impose en ces moments de terrible turbulence économique où se trouvent les États-Unis.

Le Département du travail a été fondé en 1913 avec la mission d’ : « encourager, promouvoir et développer le bien-être des salariés.es, des chômeurs.euses et des retraités.es des États-Unis. D’améliorer les conditions de travail ; de développer les possibilités de travail profitables, d’assurer les bénéfices marginaux et les droits ». Sa meilleure période fut celle où Frances Perkins y a été nommée par le Président F. Roosevelt ; elle a occupé le poste de 1933 à 1945. Le Département a joué un rôle de transformation de la vie de la classe ouvrière à cette époque. Il devra être le plus efficace possible si l’administration Biden est sérieuse dans son intention de réparer la dévastation économique qui découle de la COVID19.

Lors des derniers jours de sa candidature (à la présidentielle) de 2020, B. Sanders a mis l’accent sur la pandémie et ce qu’elle faisait vivre aux travailleurs.euses. Il m’a expliqué que, en plus de la crise sanitaire, « nous devons prendre en compte la crise économique qui est d’une ampleur sans précédent  ».

Le Département du travail de l’administration Trump n’a pas su protéger les travailleurs.euses de première ligne et les travailleurs.euses en général depuis l’arrivée de la pandémie. B. Sanders reconnaît qu’il faut s’attaquer immédiatement à la crise sanitaire et aux injustices qu’elle provoque : «  Je crois que ce que fait cette crise, c’est de retirer le petit pansement sur la plaie. C’est la réalité. Et la réalité maintenant c’est que des gens vont travailler n’importe où, occupent des emplois dangereux où ils peuvent attraper le virus parce qu’il leur faut travailler que ce soit dans les épiceries ou les pharmacies, n’importe où, où il y a du travail parce qu’ils n’ont pas le choix. Et pour un salaire de 12 $ de l’heure avec la peur au ventre. Pendant ce temps, les riches s’en vont dans leurs résidences secondaires et même tertiaires, alors que les autres mettent leurs vies en danger pour assurer une vie acceptable à leurs familles ».

B. Sanders est sans doute la figure la plus reconnue après F. Perkins à pouvoir accéder à la direction du Département du travail, avec un mandat du Président pour agir avec assurance et hardiesse. Il aurait toutes les conditions requises pour faire face à la crise. Personne ne prétend que ce serait une tâche facile. Il devrait se confronter, non seulement aux Républicains.es, mais aussi prendre beaucoup de précautions avec les Démocrates. Il a démontré qu’il en est capable.

Il aurait là une magnifique tribune à partir de laquelle il pourrait travailler à remplacer le salaire minimum par une formule salariale qui permettrait de vivre décemment et ainsi sortir les travailleurs.euses de la pauvreté. Il pourrait faire table rase des lois dites « de droit de travailler ». Il pourrait aussi mettre de l’avant des réformes des lois sur le travail, comme celles dont il a fait état durant sa campagne à la présidentielle dans son document intitulé « Work Place Democracy » où il propose de doubler les adhésions aux syndicats en quatre ans.

Si J. Biden a suffisamment de jugeote pour donner le coup d’envoi à son ancien adversaire, B. Sanders pourrait s’appuyer sur son importance en politique et sur ses réseaux de partisans.es dans tout le pays, pour faire du Département du travail un outil de développement et de son ordre du jour ambitieux en matière de droits des travailleurs.euses, comme F. D. Roosevelt et F. Perkins l’ont fait durant les années 1930. Il aurait à sa disposition les énormes ressources de ce département avec ses 15,000 employés.es et son budget de 50 millions de dollars, non seulement pour faire observer les lois existantes qui protègent la classe ouvrière américaine, mais pour développer de nouvelles lois, des stratégies, des règlementations et des programmes qui renforceraient ces protections. Il pourrait mettre en évidence les luttes actuelles des travailleurs.euses et améliorer la recherche sur l’avenir du travail, de l’automatisation et de l’économie digitale.

Sous une administration Biden, les perspectives pour la direction de ce département sont impressionnantes, dont celles sur lesquelles B. Sanders a travaillé depuis des années. Si jamais il recevait l’avis favorable de J. Biden, il pourrait leur donner le meilleur des résultats. Imaginez qu’une de ses assistantes, investie de tous les pouvoirs, soit Sara Nelson, la présidente de l’Association des travailleurs.euses en service dans les avions. Elle pourrait élaborer des programmes pour donner à ces employés.es un certain pouvoir sur leurs conditions de travail dans toute l’industrie. Ou encore Julie Su, la Secrétaire au travail de la Californie. Elle est co-fondatrice de Sweatshop Watch qui s’occupe de la discrimination dans les lieux de travail et des enjeux de sécurité qui s’y trouvent. On peut aussi penser à William Spriggs, économiste en chef de la centrale syndicale AFL-CIO et ancien assistant- secrétaire au Département du travail sur les politiques. Il est professeur d’économie à Harvard où il a saisi l’opportunité de traiter des discriminations dans les statistiques et de s’engager plus avant dans l’exploration des disparités raciales dans les résultats économiques, et ce, de manière plus habile et honnête. B. Sanders pourrait même faire appel à Andrew Yang, (candidat à la candidature présidentielle démocrate cette année) pour qu’il conçoive les stratégies nécessaires pour donner du sens au travail et prévoir des compensations dans la prochaine économie.

Juste avant l’élection du 3 novembre dernier, J. Biden est allé à Warm Springs en Géorgie, où il s’est engagé dans le sens de F.D. Roosevelt en promettant une présidence qui mettrait en place « un plan économique qui finalement reconnaîtra la valeur du travail à sa juste valeur et n’encouragera pas l’accumulation de la richesse dans le pays ». C’est une noble ambition en lien direct avec le New Deal. Pour la mettre en action, J. Biden doit nommer un.e Secrétaire au travail, visionnaire et avec la force de F. Perkins du temps de F.D. Roosevelt. S’il choisissait B. Sanders, avec une équipe de leaders chevronnés.es, il pourrait faire du Département du travail une plateforme pour déclencher un nouveau New Deal.

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