Édition du 17 décembre 2024

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Catalogne

Catalogne. Le débat dans la CUP entre radicalisation et prudence...

Des secteurs de la CUP souhaitent que l’organisation ne vote que ce qui concerne l’indépendance et s’abstienne sur les autres questions car il faudrait refuser de donner de l’air à ce qui s’apparenterait à « un Govern autonomiste ». Ce boycott de l’activité parlementaire signifierait la paralysie du Parlament et du Govern au profit de la promotion de la mobilisation de rue autour des CDR.

Tiré du blogue de l’auteur.

Des secteurs de la CUP envisagent un boycott qui paralyserait le Parlament catalan (El Confidencial)

En nous basant sur cet article du site El Confidencial, opposé à l’indépendantisme catalan, mais présentant la particularité, rare de ce côté de l’échiquier politico-médiatique, d’appuyer ses analyses sur des sources avérées, voici ce qui se dessine autour de la configuration du prochain Govern. Beaucoup dépend évidemment de la situation qui, à partir des résultats du 21 décembre, a donné une nouvelle majorité absolue aux forces politiques indépendantistes tout en modifiant les équilibres internes en termes de droitisation due à l’inattendue poussée des partisan-es de Carles Puigdemont, malgré, ou à cause de, son exil forcé à Bruxelles.

Leur liste a dépassé celle de la gauche social-démocrate de l’ERC dont le principal dirigeant est toujours en prison. Exil, prison, à quoi l’on pourrait ajouter putsch du 155… c’est peu de dire que ce que certain-es analysent, depuis des biais politiciens, comme étant un recul, par la perte de deux sièges, de l’indépendantisme est en fait une victoire politique importante, par la confirmation du résultat en voix du oui au référendum du 1er octobre et par la progression par rapport à l’élection de 2015 (+112 832 voix).

Au demeurant la mécanique infernale du 155 s’est retournée contre le PP et l’a envoyé aux enfers de l’insignifiance en le réduisant, sans droit à une représentation de groupe à part entière, à figurer, avec ses 4 député-es, dans le Groupe Mixte. Le PSC a cru son heure arrivée mais stagne dans une crise qui le réduit à être une force subalterne. Podemos, malgré son alliée de Cataluña en Comú, n’en finit pas de reculer, dans cette élection catalane, dans sa recherche, cette fois, d’une improbable troisième voie entre indépendantisme et unionisme.

Quant à Ciudadanos, ce centre anticatalaniste ultralibéral et hyperautoritaire, que l’on a présenté comme le vainqueur de cette législative, il n’est devenu le premier parti parlementaire qu’en siphonnant l’essentiel de l’électorat du PP, tout en fixant aussi, et cela reste très problématique, un important secteur de l’électorat ouvrier et populaire non-indépendantiste. Mais c’est une victoire à la Pyrrhus qui, par défaut de réserve d’alliés, ne lui donne a priori aucune possibilité de constituer un Govern.

Donc la « gouvernabilité » se joue toujours entre les indépendantistes mais, malgré leur succès politique global du 21 décembre, rien n’est simple entre la droite de Puigdemont (JuntsxCat), elle-même en tension avec son parti, le PDeCAT, et ERC, qui vient de décrocher la présidence du Parlament : aucune de ces deux forces hégémoniques ne sait comment se dépêtrer du casse-tête que représente la volonté de Puigdemont de redevenir le President de la Généralité mais sans avoir la possibilité de revenir en Catalogne pour assumer pleinement ses fonctions puisqu’il reste sous mandat d’arrêt pour sécession, etc. La proposition qu’il préside, depuis son exil bruxellois, par vidéoconférence, ne semble pas pouvoir échapper à une invalidation par le Tribunal Constitutionnel.

Mais, par-delà ces péripéties entre les deux principales forces parlementaires de l’indépendantisme occupant largement la une médiatique, voilà que surgit ce qui pourrait s’avérer être un problème autrement plus décisif. Et cela vient de la gauche, de l’anticapitaliste CUP (Candidatures d’Unité Populaire) : il a largement été relevé qu’elle est sortie très affaiblie électoralement puisqu’elle est passée de dix à quatre député-es. Effet du vote utile couplé à la prime émotionnelle accordée aux élu-es emprisonnées ou en exil puisque, très habilement, la justice aux ordres s’était bien gardée de s’en prendre à cette extrême gauche avant la consultation.

Désormais, les élections passées, les convocations auprès des juges tombent : Anna Gabriel, la dirigeante cupera la plus connue, et l’ancienne députée Mireia Boya, qui a participé au meeting de Montpellier le 9 décembre dernier, sont convoquées prochainement chez les juges ainsi qu’une cinquantaine de militant-es des CDR (Comités de Défense de la République) accusé-es d’avoir édifié des barrages routiers lors des mobilisations de novembre. Des enseignant-es aussi qui ont organisé dans leurs écoles le référendum du 1er octobre.

L’échec électoral subi, combiné à ces intimidations judiciaires, n’annule pourtant pas la capacité de la CUP à peser politiquement puisque, sans elle, la représentation indépendantiste au Parlament n’atteignait déjà pas, au lendemain des élections, la majorité absolue. La décision des cinq élu-es de JuntsxCat, exilé-es en Belgique, de confirmer leur mandat alors qu’ils/elles ne devraient pas pouvoir siéger, accroît encore le poids de la CUP pour désigner le nouveau Govern (1).

Mais il est connu que les anticapitalistes sont rompu-es à l’idée qu’ils/elles ne sont pas au Parlament pour s’adapter aux combines qui y ont cours. Ayant déjoué le piège d’un appui qu’ils/elles devraient accorder, sans condition, à la « gouvernabilité » catalaniste contre la … cession d’un-e député-e de l’ERC pour leur permettre de se constituer en groupe parlementaire et jouir des avantages afférents à cette disposition, voilà que l’une des composantes cuperas, Lucha Internacionalista (Lutte Internationnaliste, LI, un petit parti de tendance trostkyste), propose de radicaliser le positionnement de la coalition : il s’agirait de refuser tout appui aux deux principaux partis indépendantistes, dont il n’est pas acquis, loin de là, selon LI, qu’ils sont prêts à remettre en route les mobilisations à l’endroit où le 155, la répression induite et ce qui se voulait un leurre électoral le 21 décembre les a arrêtées.

Tout en déclarant que la CUP doit tout faire pour obtenir la libération des prisonniers politiques, le retour des exilé-es et l’arrêt des poursuites à leur encontre, LI appelle à se démarquer ouvertement et radicalement de ce qu’elle considère comme une faute politique des partis et organisations liées à ces personnalités : la démobilisation populaire, la démoralisation, la trahison de la volonté d’indépendance de deux millions de personnes qui avaient pris d’énormes risques pour que se tienne le référendum. Dans le viseur il y a, plus précisément, le refus de proclamer la République, comme il était prévu, dans les 48 heures suivant le référendum du 1er octobre, à quoi il faudrait ajouter l’incroyable palinodie de l’indépendance déclarée et aussitôt suspendue par Puigdemont au Parlament le 27 octobre.

Allant jusqu’au bout de sa logique, ce parti appelle à « reprendre les mobilisations » sans attendre, en prenant acte que les grandes associations indépendantistes (dont leurs dirigeants respectifs sont toujours en prison), que sont l’ANC (Assemblée Nationale Catalane) et l’Omnium Culturel, ne procèdent plus à ce travail de mobilisation des gens. A cette fin il met en avant que le levier pour relancer ce processus est disponible, quoique, actuellement, l’arme au pied : il s’agit des CDR où, bien qu’ils aient une implantation très diversifiée, la CUP jouit d’une grande influence, et qui ont été aux avant-postes pour rendre possible le référendum d’autodétermination en organisant l’arrivée des urnes et du reste du matériel électoral et en appelant les gens à protéger en masse, contre une police déchaînée, les bureaux de vote.

Cette tendance, radicalité dans la radicalité de la CUP, met en garde contre des formules insidieuses du type « construire la République » qui pourraient devenir un piège si l’on ne prend pas en considération que, la République ayant été proclamée, il revient au Govern et au Parlament d’aller jusqu’au bout de ce qui est resté en suspens en transformant celui-ci en « Assemblée Nationale Constituante ».

Cette démarche cherche à faire assumer à la CUP « une alternative de gauche au bloc PDeCAT-ERC ». Ce qui induit qu’elle conserve son indépendance vis-à-vis d’un futur Govern du PDeCAT et de l’ERC par le refus de voter l’intronisation de ce Govern qui ne s’engagerait pas dans la voie d’une Constituante. D’après El Confidencial, ce positionnement serait partagé par d’autres secteurs cuperos qui souhaitent que l’organisation ne vote que ce qui concerne l’indépendance et s’abstienne sur les autres questions car il faudrait refuser de donner de l’air à ce qui s’apparenterait à « un Govern autonomiste » [inséré dans le système constitutionnel des Autonomies, cet antidote, pendant plus de trente ans, à toute revendication d’indépendance de la Catalogne]. Ce boycott de fait de l’activité parlementaire signifierait, souligne l’auteur de l’article, la paralysie du Parlament et, par rebond, du Gouvernement de la Généralité.

Ces positions d’un secteur minoritaire dans la coalition participent, reconnaît-on en interne, d’un débat ouvert qui est en cours. Poble Lliure (Peuple Libre), qui tient le secrétariat de l’organisation, n’est pas insensible à cette position mais joue la prudence avec le souci de ne pas prêter le flanc à l’accusation d’avoir fait échouer l’avancée vers la République par ce qui, probablement dans ce courant, relèverait d’une orientation maximaliste et irréaliste. D’où l’appel qu’il fait à être intelligent (sic) dans la stratégie à adopter pour aller vers ce qui reste tout de même l’objectif, la République. Ce secteur, s’essayant à être plus prudent que la LI, estime que Puigdemont, quelles que soient les critiques qu’il lui adresse, est "le seul à pouvoir faire le pari de l’indépendance unilatérale". Ce que démontrerait sa prise de distance avec son propre parti le PDeCat pour ses dernières élections. A Poble Lliure on reste cependant conscient que ledit Puigdemont n’a jamais montré être prêt à débattre de ces questions mais on opte pour attendre et voir "vers où il penche". Et ces membres attentistes de la CUP, et en fait l’ensemble du parti, sont d’accord pour dire que "tant l’ERC que le PDeCat veulent en finir avec le "procés" (le processus indépendantiste), la seule chose qui leur pose problème étant qu’ils ne savent pas comment s’y prendre".

Cette stratégie dans la CUP, donnant priorité dans l’instant, à ce que le jeu institutionnel pourrait encore permettre pour avancer dans ce qui fait l’unanimité en interne, à savoir la concrétisation de l’indépendance, voudrait prendre l’ERC, en particulier, au jeu de son propre souci légaliste : pourquoi risquer de perdre les positions acquises au Parlament avec l’élection du président de cette institution (membre de l’ERC), étant entendu que la CUP détient les clés pour qu’il en aille ainsi ? Sauf que, si l’ERC suit les propositions d’une CUP ayant raté d’une poignée de voix l’obtention de 2 sièges supplémentaires, l’affrontement avec Madrid, qui a comme conséquence traumatisante que le principal dirigeant de ce parti est toujours emprisonné, serait relancé et adieu les acquis au Parlament ! Autant dire que, par ce que pèse la CUP, la quadrature du cercle pour les partis majoritaires de l’indépendantisme est au rendez-vous.

L’autre grande tendance, Endavant (En avant, Organisation Socialiste de Libération Nationale), les durs (resic) de la CUP, se montre très critique face à la situation actuelle et fait aussi le choix d’une opposition ferme. On pense de ce côté-là « qu’il doit être clair que nous ne voulons pas qu’on continue à nous balader ».

Voilà les termes du débat dans la CUP où l’on assure qu’il n’y pas des divisons, seulement des tensions. L’organisation, est-il affirmé, est plus unie que dans la précédente législature, ce que confirme la plus grande homogénéité dans les votes qui ont lieu. Il n’est pas exclu que le site de El Confidencial majore, pour donner une image de division du camp indépendantiste, la place qu’occupent les propositions de la LI dans la CUP. Mais globalement l’article restitue suffisamment d’éléments intéressants pour comprendre le débat qui y a cours et ses possibles répercussions sur ce qui avait fait la force, peut-être paradoxalement, aussi, la faiblesse, l’unité, de l’indépendantisme face à cette autre radicalité, adossée à un appareil d’Etat hyperboliquement répressif, du camp d’en face.

Nous nous sommes appuyés librement sur l’article en espagnol Sectores de la CUP plantean un boicot que paralizaría el Parlamen (El Confidencial, 20 01 2018)

Antoine Rabadan

(1) La majorité absolue se situe à 68 député-es (il y a 135 parlementaires) : ERC, JuntsxCat, en en totalisant 66, étaient, d’emblée, mathématiquement parlant, dépendants de 2 des 4 élu-es de la CUP pour l’atteindre. Ils le sont un peu plus, politiquement parlant, de par la défection, bien malgré eux/elles, des cinq député-es de JuntsxCat.

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