L’auteur est historien.
Après la guerre civile aux États-Unis qui a duré 4 ans (1861 à 1865), et qui a fait près de 600 000 morts, l’abolition de l’esclavage est proclamée partout au pays (le 13e amendement). 4 millions d’esclaves étaient devenus libres. La question était de savoir comment intégrer ces esclaves dans la société américaine. Rappelons que plusieurs personnalités politiques dont Lincoln lui-même (dans un premier temps) et organisations ne pensaient pas qu’il était possible d’intégrer les anciens esclaves dans la société.
Mais grâce au 14e amendement ratifié en 1868, ces anciens esclaves étaient devenus citoyens américains. Un programme a été mis sur pied pour les aider économiquement (leur donner une propriété, 40 acres et une mule) et politiquement (le droit de vote, etc.). Ce programme est appelé Reconstruction. Mais après l’assassinat du président Abraham Lincoln en 1865, ce programme a été graduellement démantelé, sous la présidence d’Andrew Johnson, pour finalement disparaître au début des années 1870.
À partir de cette décennie, le pays rentre dans une nouvelle période historique qu’on appelle Jim Crow. C’est une longue période qui dure à peu près 100 ans, au cours de laquelle, les Afro-Américains sont victimes d’un racisme extrêmement violent. Plus de 4 000 Noirs sont assassinés et lynchés. Dans plusieurs États du Sud, on leur enlève le droit de vote. Plusieurs entreprises, commerces, associations, organismes noirs sont détruits, réduisant à néant toute possibilité de fonder une base économique qui aurait pu permettre à la population afro-américaine de devenir prospère.
Dans les écoles, partout aux États-Unis, on apprenait que les Noirs n’avaient pas d’histoire, que les Noirs n’ont rien fait, qu’ils n’ont pas contribué au progrès de la société, etc. Beaucoup de gens pensaient que ces anciens esclaves ne pourront jamais intégrer la société, que ce serait mieux qu’ils retournent en Afrique ou s’installer dans un autre pays (Haïti a été l’un des pays visés. En fait plusieurs Noirs américains s’y sont installés à la fin du 19e siècle).
Carter Woodson est né à cette époque, plus précisément en 1875. Ses parents étaient d’anciens esclaves.
Il fait ses études secondaires à l’école Frederick Douglass. Il entre par la suite à l’université Lincoln et à l’université Chicago. Pour finir, il est admis à l’université Harvard où il décroche un doctorat en histoire (le 2e Noir qui obtient un doctorat dans cette université, après WEB Dubois).
En tant qu’historien, Woodson définit clairement son objectif. Il s’agit de faire connaitre l’histoire des Noirs aux États-Unis. En 1916, il crée une organisation, l’Association pour l’Étude de la Vie et de l’Histoire des Noirs. Il fonde au cours de la même année The Journal of Negro History, connu aujourd’hui (depuis 2001) sous le nom de The Journal of African American History.
En 1926, il propose la deuxième semaine du mois de février comme la semaine de l’histoire des Noirs, en hommage à Frederick Douglass et Abraham Lincoln qui sont nés en février.
En lançant cette idée en 1926, Woodson cherche à faire reconnaître la contribution des Noirs, leur existence en tant que citoyens. Et si l’on considère le contexte social dans lequel vivait l’historien, son idée était vraiment révolutionnaire, et même subversive. À l’époque le racisme biologique était à son apogée, des dizaines de Noirs étaient lynchés et assassinés chaque année, et cela impunément. Le Noir était perçu au mieux comme un sous-homme, au pire comme une bête qu’il fallait traquer et contrôler. Faire connaitre l’histoire d’une contribution sociale quelconque des Noirs était donc impensable à cette époque.
Pourtant, l’idée de Woodson d’observer une semaine pour signaler l’histoire des Noirs fut un succès instantané. Plusieurs organismes, enseignants et progressistes noirs et blancs mirent sur pied des groupes de discussion et essayèrent avec les moyens disponibles d’éduquer les gens sur la contribution historique des Noirs à la société. Les efforts de faire comprendre au public l’importance de cette contribution furent constants et assidus, et après des décennies de lutte, cela a finalement porté fruit. Il a fallu quand même attendre jusqu’en 1976 pour que le gouvernement américain reconnaisse la semaine de l’histoire des Noirs et d’adopter du même coup le mois de février comme le mois de l’histoire des Noirs. Quant au Canada, ce n’est qu’en 2008, grâce à une motion du premier sénateur noir Donald Oliver, que le mois de février fut adopté par le parlement canadien comme mois de l’histoire des Noirs.
Aujourd’hui, certains remettent en question la pertinence d’observer un mois de l’histoire des Noirs. Woodson, lui-même, pensait que l’adoption d’une semaine du mois de février pour souligner l’histoire des Noirs aux États-Unis serait temporaire, le temps nécessaire, que Woodson espérait un temps court, pour que cette histoire fasse partie de l’histoire officielle. Il est vrai que beaucoup de progrès ont été réalisés depuis 1926, mais il reste beaucoup à faire : ici au Canada et au Québec, l’image du perpétuel immigrant collée aux membres de la communauté noire, de l’étranger, même si plusieurs générations ont vu le jour sur le sol canadien et québécois montre qu’il est important de continuer la lutte, la lutte non seulement pour faire connaitre le parcours historique particulier des Noirs au Canada, mais aussi de faire comprendre que cette histoire fait partie, comme l’histoire d’autres communautés ethniques, de l’histoire canadienne et québécoise.
Quelques livres de Woodson (disponibles sur le net) :
The history of the Negro church (1921)
A century of Negro migration (1918)
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