Tiré de Courrier international. Article paru dans la revue marocaine TelQuel originalement.
“J’ai tout aimé du Québec, je ne voulais pas partir”, lance Saïd – un prénom d’emprunt car l’intéressé a préféré rester anonyme. Celui-ci dit avoir déménagé avec deux amis à Ottawa au début du mois de novembre dernier. “Toute ma classe est partie aussi”, ajoute ce titulaire d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) en secrétariat médical.
Saïd est arrivé à Montréal en janvier 2019, dans l’objectif de trouver une meilleure vie que dans son pays d’origine, l’Algérie. Près de trois ans plus tard, il s’est donc installé dans la capitale canadienne, en Ontario, faisant partie de ces milliers d’étudiants ou de jeunes diplômés étrangers qui ont fui le Québec.
L’obligation de trouver du travail rapidement
Comment expliquer cet exode ? C’est une réforme menée en 2019 par le gouvernement du Premier ministre de la Belle Province, François Legault, qui a changé la donne. La nouvelle mouture du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) prévoit ainsi que tous ceux qui obtiennent leur diplôme après le 30 décembre 2020 doivent désormais valider entre douze et dix-huit mois d’expérience de travail au Québec avant de prétendre à la résidence permanente.
“J’ai senti un vrai rejet à partir de ce moment-là. Je parle bien français, j’ai beaucoup d’amis, des liens forts. Ma vie est à Montréal”, s’insurge Saïd. Face à cette nouvelle donne, il a alors choisi Ottawa, une ville “bilingue” et située à seulement 200 kilomètres plus à l’ouest, pour tout recommencer, pour trouver du travail dans son domaine et pour s’installer.
Délais de traitement et climat politique
Pour Kamal Kadhi, consultant en immigration à Montréal, ce changement du PEQ est la première raison derrière le délaissement progressif du Québec par les Maghrébins. “Avant, on pouvait suivre un diplôme d’études collégiales [DEC] et demander la résidence permanente. Du côté des travailleurs, il fallait seulement un an d’expérience. Maintenant, c’est plus long et plus compliqué”, détaille le conseiller.
Ce spécialiste d’origine marocaine avance également quelques autres explications : de longs délais de traitement après avoir demandé la résidence permanente au Québec – plus de deux ans, contre six mois dans une autre province –, l’attente pour obtenir un permis de travail temporaire – de cinq à neuf mois actuellement –, les mesures incitatives d’Ottawa pour attirer les diplômés et travailleurs francophones, ainsi que le climat politique au Québec, où le gouvernement actuel “utilise l’immigration pour être élu”.
Pénurie de main-d’œuvre
Un dernier élément que Saïd confirme. “Il y a comme un mur qui est en train de se construire [au Québec]. Pourtant, les gens qui partent ont un statut et parlent français”, regrette-t-il. Kamal Kadhi abonde dans ce sens : “Les autres provinces essaient de prospérer quand le Québec s’occupe de protéger le français et des signes religieux.”
Le manque de travailleurs est pourtant criant dans de nombreux secteurs – notamment dans celui de la santé, dans lequel les autorités cherchent à recruter 4 000 travailleurs rien qu’au Maghreb. La pénurie générale devrait durer jusqu’en 2028, notamment en raison du vieillissement de la population. Pour pallier cela, le monde des affaires ne cesse de demander une hausse conséquente des seuils d’immigration.
De leur côté, certains collectifs comme “Le Québec c’est nous aussi” réclament que les autorités fédérales valident en urgence “51 000 dossiers” de résidence permanente en attente, afin de combler les retards et de recommencer à zéro. Pour le groupe, les personnes dans l’expectative, parfois depuis plus de deux ans, sont déjà intégrées dans la province et ont déjà un emploi. À ce sujet, Ottawa et Québec se renvoient la balle quant à leur responsabilité.
Autres provinces recherchent francophones
Malgré tout cela, le Québec reste la destination privilégiée par la plupart des Nord-Africains, affirme Kamal Kadhi. “Beaucoup font de la mauvaise publicité du Québec, mais sans l’anglais c’est difficile de vivre dans une autre province, énonce-t-il. Même à Montréal, il y a moins d’options pour les non-anglophones.”
Le gouvernement fédéral continue de vouloir attirer des francophones ailleurs qu’au Québec, en leur attribuant pour cela plus de points lorsqu’ils formulent leur demande de résidence permanente. Au printemps de 2021, le Canada annonçait l’octroi de 90 000 statuts de résident permanent aux diplômés et aux travailleurs “essentiels” du Canada, favorisant les dossiers d’immigrés de langue française. “Beaucoup sont partis grâce à cette loi”, abonde Saïd.
De son côté, Kamal Kadhi recommande aux intéressés de ne pas se fier aux rumeurs. “Il faut surtout regarder ses priorités : est-ce que je parle anglais ? Y a-t-il une demande dans mon secteur d’activité dans la province que je convoite ?” énumère le consultant. Une fois la résidence permanente acquise – sans avoir menti dans son dossier –, il rappelle que chacun est libre de circuler partout au Canada, et par conséquent de revenir au Québec après avoir connu une expérience ailleurs.
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