Édition du 19 novembre 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Brésil : après le coup

Pierre Beaudet est professeur à l’École de développement international et de mondialisation, Université d’Ottawa

La présidente Dilma Rousseff maintenant suspendue de ses fonctions, la crise politique brésilienne va probablement s’étendre sur plusieurs mois. Cette situation dramatique résulte de plusieurs facteurs.

L’économie en panne

Depuis 2002, le Brésil a connu une assez bonne période du point de vue économique. Le gouvernement de Lula (2002-2010) était stable. L’économie a connu une embellie, essentiellement à cause de l’augmentation des prix des matières premières dont le Brésil est un grand exportateur. Grâce à ses programmes sociaux, le gouvernement disposait également d’une importante base d’appui parmi les couches populaires. Divers grands travaux ont été entrepris. Les institutions scolaires post-secondaire ont connu un afflux d’étudiant-es. En Amérique du sud et même dans le monde, la politique extérieure activiste faisait du Brésil un chef de file des pays du sud. C’est tout cet édifice qui a commencé à se fissurer depuis quelques années, en bonne partie dans le ressac des prix des matières premières. Choisissant le chemin de l’austérité pour faire face au déclin des revenus, le gouvernement de Dilma a sabré dans plusieurs programmes sociaux pendant que les coûts de certains services (transport) et du logement explosaient. C’était difficilement acceptable pour une grande partie de la population dans un pays qui compte parmi les plus inégalitaires au monde. En 2015, il est devenu clair que le Brésil entrait dans une période de déclin prolongée.

Un système politique dysfonctionnel

La démocratie brésilienne est relativement jeune, le pays ayant vécu plusieurs régimes militaires jusque dans les années 1980. L’obtention du droit de votes pour tous, arrachée par de grandes manifestations, ne s’est cependant pas accompagnée d’une réforme de la constitution, ce qui aurait permis de réparer un système politique totalement non fonctionnel, manipulé par des clans familiaux et des grands médias (qui appartiennent au même 1%). Par exemple, le financement des partis n’a jamais été réformé de manière à assurer transparence et équité. Les partis traditionnels de droite, le PSDB et le PMDB, sont restés attachés à cet héritage. Cependant le PT, qui avait pourtant promis de nettoyer les écuries, n’a jamais été en mesure de le faire, en partie parce qu’il ne dispose pas de la majorité au Parlement (congresso). Sous la présidence de Lula, on a donc dû s’accommoder d’un fonctionnement basé sur les prébendes, la corruption et les échanges de faveur. Pour faire adopter des projets de loi, le gouvernement a fait comme ses prédécesseurs en achetant, littéralement, les votes des parlementaires. Ce système de paiements clandestins (mensalão), s’est ajouté à d’autres pratiques nébuleuses, notamment dans l’allocation des contrats publics, la répartition des postes et de manière générale la corruption généralisée pratiquée depuis des décennies par la quasi-totalité de la classe politique. Sans être aussi corrompu que ses adversaires de droite, le PT a été incapable de se dégager de ce système dans lequel plusieurs de ses responsables se sont eux-mêmes engouffrés.

L’offensive de la droite

Avec la Lava Jato (scandale impliquant des responsables du gouvernement dans l’échange de sommes d’argent pour l’obtention de contrats publics), la droite a pensé que le moment était venu de déclencher une grande offensive. Elle s’est alors appuyée sur des mouvements anti PT comme Vem Pra Rua et Movimento Brasil Livre, issus principalement des classes moyennes, qui ont organisé d’importantes manifestations, avec l’appui des puissantes Églises évangéliques, dont l’influence est importante sur le PMDB et plusieurs autres partis. L’opinion est révoltée, à juste titre, sur l’ampleur de la corruption qui affecte l’ensemble de la classe politique, y compris le PT. Dans cette saga qui continue, le centre de gravité s’est déplacé de la scène politique vers l’institution judiciaire. Présentement, 316 politiciens sont sous enquête. Dans le contexte de la perte de crédibilité des acteurs politiques, les magistrats apparaissent au-dessus de la mêlée aux yeux de la population. Mais on ne peut être certains jusqu’où l’impartialité des tribunaux peut tenir le coup. Il ne va pas sans dire que la grande majorité des magistrats et des juges viennent de la même élite qui occupe le dispositif du pouvoir à tous les niveaux.

L’inévitable confrontation

La confrontation actuelle va sans doute continuer longtemps. Dans les conditions actuelles, le vice-président actuel, Michel Temer (leader du PMDB) va hériter du pouvoir jusqu’aux prochaines élections de 2018. Mais il est également accusé, comme plusieurs de ses collègues, de malversations diverses. Du côté de la droite, des signaux semblent indiquer la possibilité d’une radicalisation. On parle de la nécessité d’« éradiquer » le PT et surtout les mouvements sociaux qui l’ont appuyé, notamment les syndicats et le puissant Mouvement des travailleurs sans terre (MST). Du côté de la gauche, le désarroi se mêle à la colère. Les mouvements sociaux s’opposent à ce qui est de facto un coup d’état constitutionnel, puisque le retour éventuel de la droite au pouvoir pourrait signifier une grande offensive contre les acquis sociaux, et peut-être même la criminalisation de la dissidence et de l’action sociale, comme cela était la norme avant l’élection de Lula en 2002. D’autre part, ces mêmes mouvements sont dans une posture inconfortable. Ils réclamaient sous Lula et Dilma un changement de politique ainsi que des pratiques vigoureuses pour assainir la gestion publique.

Tuer l’espoir

Il est encore tôt pour prédire si le PT pourra se « réinventer » ou s’il faudra ériger d’autres projets politiques répondant aux attentes de la majorité populaire, mais cela risque de prendre passablement de temps. Au-delà de ses graves erreurs, le PT a représenté l’espoir de changement. On peut donc dire que l’objectif de la droite en renversant constitutionnellement la présidente est en fait de détruire cet espoir.

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