Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié d’abord dans Middle East Eye.
La rencontre entre le président américain Joe Biden et le Premier ministre israélien Naftali Bennett, vendredi, était pleine de subtilités dans le but de projeter une image de véritable amitié. Mais en pratique, c’était la convergence de deux récits de vœux pieux.
C’était la première rencontre entre les deux dirigeants nouvellement élus, qui ont 30 ans d’écart et partagent très peu de choses en termes de valeurs, de vision du monde ou de politiques.
S’il y a quelque chose qui lie Biden, qui est entré à la Maison Blanche il y a sept mois, et Bennett, qui dirige une coalition très étroite et fragile depuis juin, c’est leur némésis mutuel, l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Biden et Bennett feront tout ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer que Netanyahou, actuellement en vacances avec sa femme et son fils sur une île hawaïenne appartenant presque entièrement au milliardaire judéo-américain Larry Ellison, restera un leader de l’opposition.
Des intérêts contradictoires
Au cours de la rencontre, Biden avait espéré persuader et faire bouger Bennett pour relancer, ne serait-ce que symboliquement, le processus de paix israélo-palestinien qui a été relégué depuis très longtemps.
Le premier ministre israélien, en revanche, n’a pas mentionné les Palestiniens, préférant tenter de convaincre le président américain que l’Iran se hâte de devenir un État de seuil nucléaire.
Mais le spectre de l’Afghanistan et la menace d’attaques terroristes contre les forces américaines ont plané sur la visite et l’ont largement éclipsée.
En ce moment, la capacité d’attention de Biden pour toute autre question est très courte. La décision de la Maison-Blanche de reporter de 24 heures la réunion avec Bennett illustre bien les priorités actuelles des États-Unis. L’Afghanistan et le retrait ordonné des forces américaines d’ici la fin du mois figurent en tête de liste.
Avant de partir pour sa visite rapide de 48 heures, Bennett a fait quelques commentaires qui rappellent ceux de son prédécesseur, Benjamin Netanyahu, dans une interview accordée au New York Times.
Bennet a souligné qu’il s’oppose à la reprise des négociations avec l’Autorité palestinienne (AP), rejette un État palestinien et souhaite construire davantage de logements dans les colonies juives de Cisjordanie. Mais il a également déclaré que l’annexion de la Cisjordanie occupée, préconisée par Netanyahou mais bloquée par le président américain Donald Trump, n’est pas dans les cartons.
L’administration de Biden s’oppose toutefois à toutes ces déclarations et politiques, que Bennett articule en grande partie pour plaire à un petit public de droite. Biden veut geler complètement toute expansion des colonies juives, relancer les pourparlers de paix et, avec l’aide de la CIA, améliorer la coopération palestino-israélienne en matière de sécurité dans la lutte contre le Hamas et le Jihad islamique.
Le projet de rétablir l’aide financière à l’AP et de rouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est occupée, tous deux fermés sous l’ère Trump, figure également en bonne place dans l’agenda américain.
Pour faire plaisir à Israël, M. Biden a déclaré qu’il supprimerait l’obligation pour les Israéliens d’avoir un visa pour entrer aux États-Unis et qu’il réapprovisionnerait Israël en missiles Dôme de fer, qui sont en quantité insuffisante après la guerre avec le Hamas en mai.
La liste de souhaits d’Israël
L’Iran et ses aspirations nucléaires sont également une source de divergence d’opinions entre les deux dirigeants. Néanmoins, les deux hommes ont convenu que leurs différends seraient gérés par des voix douces en coulisses, et non par des rugissements publics comme Netanyahu avait l’habitude de le faire.
En ce qui concerne l’Iran, Israël a une liste de souhaits à trois volets pour les États-Unis :
– Faire reculer, ou du moins réduire, la poussée de l’Iran vers l’hégémonie régionale et son implication, par le biais de ses mandataires et milices chiites, dans les affaires intérieures des pays du Moyen-Orient.
– Empêcher l’Iran de fournir des armes aux groupes chiites et sunnites du Moyen-Orient, notamment le Hezbollah, le Hamas et le Jihad islamique, les Houthis et le Kata’ib Hezbollah, un groupe paramilitaire soutenu par l’Iran en Irak.
– Accepter de bombarder les sites nucléaires de l’Iran en dernier recours si les pressions économiques et diplomatiques pour réduire ses activités sont épuisées.
Mais Bennett sait que Biden a des objectifs très limités. Son administration s’oppose à la fourniture d’armes par l’Iran et à ses activités qui déstabilisent la région, mais il n’a pas l’intention d’agir unilatéralement et militairement.
L’époque où les États-Unis jouaient le rôle de gendarme du monde s’est lentement estompée depuis la présidence de George W. Bush, puis avec Barack Obama et Trump. Aujourd’hui, sous la présidence de Biden, le rôle des Etats-Unis dans la région s’est largement évaporé.
Au cours de la réunion de 50 minutes avec Bennett, Biden a réitéré qu’il ne permettrait pas à l’Iran d’avoir des armes nucléaires. "Nous privilégions la diplomatie et voyons où cela nous mène. Mais si la diplomatie échoue, nous sommes prêts à nous tourner vers d’autres options", a-t-il déclaré, sans donner de détails précis.
Une chose est sûre. Biden ne fera pas ce que ses trois prédécesseurs se sont abstenus de faire : bombarder les sites nucléaires iraniens.
Lot de consolation
Bennett et ses conseillers militaires et du renseignement savent très bien que l’administration Biden souhaite vivement que l’Iran revienne à l’accord nucléaire de 2015 avec les six grandes puissances, accord que Trump a déchiré.
Ils savent également qu’Israël dispose d’options et de scénarios militaires très limités pour attaquer les installations nucléaires de l’Iran. Il est certain que cela ne se produira pas tant que les États-Unis s’y opposeront.
Sur le plan rhétorique, Israël s’oppose au retour de l’accord nucléaire, mais il est prêt à accepter cette réalité. Pourtant, il espère aussi qu’au moins l’accord sera modifié pour renforcer la supervision internationale et y attacher des clauses punissables si l’Iran est jugé en violation de ses engagements.
Entre 2015 et 2018, date à laquelle Trump a quitté l’accord, l’Iran a commis plusieurs violations, mais les États-Unis d’Obama et les autres grandes puissances ont fermé les yeux.
S’il y a un grain de consolation pour Israël, il réside dans le fait que lors de la première rencontre en tête-à-tête de Biden-Bennett, les services de renseignement et les militaires des deux parties ont convenu d’accroître leur coopération stratégique en se concentrant sur la dénonciation du comportement de l’Iran dans la région et de ses ambitions nucléaires.
On peut donc s’attendre à de nouvelles opérations secrètes du Mossad et de la CIA tant que l’Iran jouera le jeu du nouveau président Ebrahim Raisi. La réunion de Washington a surtout prouvé que, malgré tous les désaccords, les États-Unis restent un allié fort et important d’Israël.
Traduction : AFPS
Un message, un commentaire ?