Tiré de MondAfrique.
The Conversation : Où en est la situation de l’épidémie en Afrique ? Que sait-on de la circulation du virus aujourd’hui ?
Dramane Kania : Si l’on compare la situation sur le continent africain à celle observée sur les autres continents, l’impact de la pandémie semble moins important : le nombre de cas enregistrés y est plus faible, tout comme le nombre de décès.
Cependant, il ne faut pas tirer de conclusion hâtive : ces apparences sont probablement trompeuses, et en réalité la circulation du virus est certainement plus importante que ne l’indiquent ces chiffres. Ce décalage s’explique par des problématiques spécifiques au continent africain : dans de nombreux pays, les capacités de diagnostic sont limitées et les données manquent, même si des projets comme APHRO-COV et d’autres initiatives ont permis de renforcer les capacités diagnostiques dans plusieurs pays. De plus, une large partie de la population n’a pas forcément l’habitude de se référer aux structures de soins en cas de problème de santé. Pour ces raisons, le nombre de cas réels de Covid-19 est donc très certainement sous-estimé.
Cette hypothèse est corroborée par le fait que, dans les pays qui disposent de davantage de moyens et où le diagnostic peut donc se faire de façon plus routinière (comme en Afrique du Sud, ou dans les pays du Maghreb), le nombre de cas rapportés est plus important. En Afrique de l’Ouest, au contraire, l’existence d’une sous-estimation a été confirmée par des études de séroprévalence, qui détectent les anticorps produits après une infection par le virus. Ces travaux ont montré que dans certains endroits, plus de la moitié de la population a été exposée au SARS-CoV-2 au cours des derniers mois.
Alpha Keita : Au 2 janvier en Afrique, on décomptait plus de 9,5 millions de cas et non loin de 230 000 décès. C’est moins que sur d’autres continents, mais on constate qu’il existe de grandes disparités d’un pays à l’autre : la plupart des décès enregistrés le sont dans les pays dont les systèmes de santé sont les plus performants, et qui sont capables de collecter correctement les données en lien avec l’épidémie. Cela accrédite l’hypothèse d’une sous-notification des cas.
Dans le cadre du projet Ariacov, qui appuyait la riposte africaine dans la lutte contre le coronavirus, nous avons mené en Guinée une étude sérologique sur des échantillons prélevés parmi la population de la capitale, Conakry. Ces travaux, qui ont consisté en trois enquêtes réalisées à quelques mois d’intervalle, ont révélé qu’en décembre 2020, 17 % de la population de Conakry avaient été en contact avec le virus. Fin février – début mars, ce chiffre était passé à plus 30 % de la population. En juin – juillet, il atteignait quasiment 50 %.
Ces résultats indiquent clairement que le nombre de cas est sous-estimé. Le nombre des décès l’est également, car seuls sont comptabilisés ceux qui surviennent dans les hôpitaux et les centres affiliés au CHU. En définitive, certes la pandémie n’a pas été l’hécatombe attendue, mais il faut bien comprendre que les nombres de cas et de décès ont été sous-évalués.
Richard Njouom : Au Cameroun la situation de l’épidémie de Covid-19 est identique à celle des autres pays d’Afrique subsaharienne : le nombre de cas confirmés d’infections par le SARS-CoV-2 y est faible, tout comme le nombre de décès qui sont attribués au virus, probablement en raison d’une sous-estimation.
Afin de mieux saisir l’impact de la pandémie de Covid-19 et de suivre l’évolution du SARS-CoV-2 sur le continent africain, nous avons lancé dès le printemps 2020 un programme de recherche collaboratif appelé REPAIR, avec l’ensemble des instituts africains membres du Pasteur Network. Ces travaux touchent à divers domaines : développement et évaluation des performances de tests diagnostiques (au Centre Pasteur du Cameroun, nous avons développé un test colorimétrique simple d’utilisation, actuellement en cours d’évaluation sur le terrain et dans les autres instituts du Pasteur Network), études d’épidémiologie moléculaire du virus, modélisation mathématique de sa diffusion… Des enquêtes de séroprévalence du SARS-CoV-2 ont également été conduites au sein de plusieurs populations « sentinelles », telles que les personnels de santé et les donneurs de sang.
TC : Cette circulation du SARS-CoV-2 peut-elle favoriser l’émergence de variants ?
DK : Ce que nous dit la théorie c’est qu’effectivement, plus un virus circule, plus le risque d’émergence de variants est important. En effet, lorsqu’un virus se multiplie dans une cellule infectée, il recopie son matériel génétique d’innombrables fois. Ce faisant, il peut commettre des erreurs, les mutations. Certaines de ces mutations sont délétères, et les virus qui les portent s’éteignent ; d’autres sont réparées ; d’autres enfin persistent.
Toute la question est de savoir si ces changements qui surviennent dans le génome (qui est en quelque sorte le « plan de construction des particules virales », ndlr) vont se traduire par des changements au niveau de la structure du virus, et si tel est le cas, quelles vont en être les conséquences : vont-ils modifier sa transmissibilité ? Sa virulence ? D’autres caractéristiques ?
Pour pouvoir détecter cela, il faut disposer d’un bon système de suivi ou de surveillance, basé notamment sur d’importantes capacités de séquençage. Malheureusement, en Afrique, la majorité des laboratoires n’ont pas les capacités techniques requises. Dans la plupart des cas, on ne peut aller au-delà des tests diagnostiques, qui ne font que détecter la présence du virus ou confirmer son absence.
S’il est parfois possible de séquencer le génome des virus provenant d’échantillons testés positifs, cela ne peut se faire que ponctuellement, et parfois seulement 3 ou 4 mois après le prélèvement des échantillons. La capacité à faire du suivi en temps réel des variants est très insuffisante ; pour cette raison, notre vision de l’évolution de l’épidémie et du nombre de variants circulant réellement sur le continent est certainement faussée.
Les pays qui sont capables de mettre en place ce type de surveillance détectent davantage de variants, ce qui explique probablement en partie le fait que l’Afrique du Sud a identifié au moins deux variants préoccupants sur son territoire depuis le début de la pandémie. Cela a permis aux autorités d’alerter la communauté internationale très tôt. Preuve de l’importance du séquençage, au centre Muraz de Bobo Dioulasso, partenaire de l’ANRS, nous avons pu détecter mi-décembre deux cas d’infections par le variant Omicron, ce qui signifie qu’il circule aussi au Burkina Faso.
TC : Concrètement, comment se fait la surveillance des variants ?
AK : Elle repose essentiellement sur la capacité des pays à séquencer les virus circulants. À l’heure actuelle, lorsqu’on regarde les contributions aux bases de données dans lesquelles les chercheurs déposent les séquences obtenues (comme la plate-forme GISAID par exemple), on constate que l’Afrique ne participe que très peu. La Guinée, par exemple, n’a déposé que 311 génomes sur GISAID depuis le 10 janvier 2020.
(sur la même période, l’Afrique du Sud en a déposé près de 25 000, la France 16 000, le Royaume-Uni près d’1,5 million et les États-Unis 1,9 million. La Chine en a déposé 1299, ndlr)
Pour améliorer la situation, le projet Afroscreen a été lancé. Financé par l’Agence Française de Développement (AFD) et coordonné par l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes, en collaboration avec l’Institut Pasteur et l’IRD, il nous a notamment permis, en Guinée, de pratiquer le criblage d’échantillons en routine au cours des deux derniers mois.
Cette approche consiste à rechercher, dans des échantillons testés positifs, les profils de mutation correspondant aux variants connus, répertoriés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Ce criblage est effectué sur des prélèvements provenant soit de patients hospitalisés dans l’un des trois grands centres de soins de la capitale, soit de personnes qui viennent spontanément se faire tester, soit de voyageurs. Les résultats peuvent être obtenus en quelques heures, ce qui permet de faire du suivi en temps réel.
Si efficace soit-il, le criblage a néanmoins des limites, puisqu’il est focalisé sur les variants déjà connus (variants d’intérêt ou variants préoccupants), dont les mutations ont déjà été identifiées. Les profils de mutation des variants non classés sont tous répertoriés comme « sauvages », ce qui n’apporte pas d’information complémentaire et ne permet pas de surveiller de façon exhaustive les variants qui émergent.
Seul le séquençage de génome complet peut permettre d’analyser en détail les mutations qui peuvent survenir dans les nouveaux variants, et de déterminer si elles peuvent être inquiétantes ou non, si l’on peut craindre qu’elles rendent le virus plus transmissible, ou lui permettent d’échapper à l’immunité – qu’elle soit naturelle ou conférée par les vaccins, etc.
Il faut donc renforcer ces capacités dans le plus grand nombre de pays possibles (pour pouvoir notamment comparer les données d’un pays à l’autre), ce qui est aussi l’objet du réseau Afroscreen.
RN : Le séquençage est effectivement essentiel pour étudier la diffusion du SARS-CoV-2 dans le temps et dans l’espace et traquer l’émergence de variants dangereux. Au Cameroun, nous avons pu renforcer nos capacités, tant au niveau matériel qu’en matière de formation des personnels. Nous avons ainsi pu mettre en place dès le mois de janvier 2021 une surveillance génomique qui s’est traduite par le séquençage de 116 génomes complets. Les résultats obtenus ont confirmé la circulation des variants Alpha, Beta, Delta et Gamma dans le pays. Nous espérons que le réseau Afroscreen permettra de décupler cet effort.
L’autre intérêt de faire partie d’un réseau de cette taille, qui regroupe 13 pays africains, est le partage de connaissances et de données. Grâce à la publication des résultats obtenus dans la base de données ouverte GISAID, il sera possible de suivre et mieux comprendre la circulation dans la région.
TC : Concernant la vaccination, où en est-on sur le continent ?
DK : De nombreux pays ont initialement rencontré des difficultés à se procurer le vaccin. Pour pallier le problème, diverses initiatives ont vu le jour. Au-delà de cette question d’accessibilité, certes essentielle, un second problème se pose : celui de l’adhésion des populations, qui manquent globalement d’informations scientifiques pour répondre à leurs interrogations. Les fake news, en revanche, sont abondamment relayées sur les réseaux sociaux, et alimentent la défiance des gens vis-à-vis de la vaccination. À l’heure actuelle, on a l’impression que seuls les citoyens qui sont dans l’obligation de voyager se résolvent à se faire vacciner… Renverser cette tendance constitue un autre défi.
RN : Au Cameroun la situation vaccinale est très en retard : seul 1.1 % de la population cible a un schéma vaccinal complet. Les gens font preuve de défiance envers les vaccins disponibles dans le pays. L’un des défis est donc de convaincre du bien-fondé des vaccins. Ce retard vaccinal observé en Afrique plaide d’autant plus pour un renforcement de la surveillance des variants par le séquençage. Si nous pouvons déterminer quels variants circulent sur quels territoires, il serait plus aisé pour les autorités sanitaires de décider la mise en place de campagnes de vaccination ciblées, plus efficaces pour circonscrire l’épidémie.
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