Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Au Canada, le pouvoir politique laisse la voie libre au génocide, tandis que la population proteste

Les bombardements d’Israël sur Gaza ont fait, depuis qu’ils ont commencé le 7 octobre, plus de 8 000 morts et environ 20 000 blessés. Depuis le commencement, il y a trois semaines, de ses bombardements militaires brutaux sur Gaza, Israël a tué plus de 8 000 Palestiniens et en a blessé environ 20 000. Les munitions larguées par l’armée de l’air israélienne sur la bande de Gaza ont déjà détruit près de la moitié des bâtiments de la minuscule enclave côtière. Des chiffres indiquent que plus de 12 000 tonnes d’explosifs ont été déversés sur ce territoire de la taille de l’île de Montréal, ce qui se compare à la bombe atomique que les États-Unis ont fait exploser à Hiroshima à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Tiré de Canadian Dimension

traduction Johan Wallengren

Mardi 31 octobre 2023 / DE : Yves Engler

Rassemblement à Toronto organisé par Toronto4Palestine, le 28 octobre 2023. Photo par Sikander Iqbal/ Wikimedia Commons.

Israël a coupé l’accès des Palestiniens à l’eau, à la nourriture, à l’électricité et aux infrastructures de communication. Les Nations unies affirment que l’ordre civil s’est effondré et que des personnes désespérées pillent les stocks de nourriture et de fournitures.

Les preuves s’accumulent à l’effet que les responsables israéliens fomentent une seconde « Nakba » (en arabe, ce mot, qui veut dire catastrophe, désigne le déplacement massif et la dépossession des Palestiniens pendant la guerre israélo-arabe de 1948), leur but étant de dépeupler Gaza, dont la population menace les objectifs démographiques du projet d’État ethno-nationaliste d’Israël.

Selon certaines sources, le ministère israélien du renseignement aurait approuvé un plan de l’Institut pour la sécurité nationale et la stratégie sioniste conçu pour « nettoyer » Gaza en transférant ses habitants, une population civile de 2,3 millions de personnes, dans la péninsule égyptienne du Sinaï.

Vendredi, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a assimilé cette population aux Amalécites de la Bible, dont l’éradication a été ordonnée par Dieu. Il se serait exprimé ainsi : «  Vous devez vous souvenir de ce qu’Amalek vous a fait, dit notre Sainte Bible... Va maintenant et frappe Amalek, et vous détruirez entièrement tout ce qui est à lui, et tu ne l’épargneras point, mais tu feras mourir les hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons, les bœufs et les moutons, les chameaux et les ânes ».

Parallèlement à son assaut d’une férocité sans précédent sur Gaza. Israël s’est aussi attaqué à la Cisjordanie occupée en y faisant plus de 100 victimes. Les troupes israéliennes ont également enlevé 1 500 Palestiniens pour les enfermer dans des prisons militaires.

Mardi dernier, le ministre canadien de la défense, Bill Blair, a défendu la conduite criminelle d’Israël, déclarant que le Hamas devait être éliminé : « Je suis d’avis qu’ils [les Israéliens] ont le droit de se défendre contre cette menace terroriste, a-t-il dit. Pour être tout à fait franc, le Hamas doit être éliminé en tant que menace non seulement pour Israël, mais pour le monde entier. »

Notre Premier ministre, Justin Trudeau, a de son côté fait la sourde oreille aux appels à un cessez-le-feu, préconisant plutôt une « pause humanitaire ». Comme l’a pointé le commentateur Michael Tracey, «  l’euphémisme "pause humanitaire" représente une surenchère hyperbolique sidérante dans le vocabulaire de guerre. Cette expression a été inventée pour éviter au personnel politique d’avoir à en appeler à un cessez-le-feu et lui permettre de continuer de prétendre avoir de profondes préoccupations "humanitaires" en ces temps de bombardements dignes de la Seconde Guerre mondiale. »

Lors d’une récente réunion du Comité permanent des affaires étrangères, le député du Bloc Québécois Jean-Denis Garon a voulu savoir où se situe le gouvernement Trudeau par rapport à la question de savoir si le fait pour Israël de couper l’accès à l’aide, à l’eau, à la nourriture, au carburant et à l’électricité à Gaza constitue une violation du droit international. La réponse a été la suivante : «  le Canada n’a pas pris position sur cette question. »

Vendredi, à l’ONU, l’ambassadeur Bob Rae s’est abstenu de voter en faveur d’une résolution appelant à la « protection des civils et [au] respect des obligations légales et humanitaires », résolution qui a été adoptée par 120 pays.

Avant d’exprimer son vote, M. Rae a proposé un amendement visant à condamner la « cruauté délibérée » du Hamas, mais sa tentative de mettre le groupe militant sur la sellette a échoué. L’ambassadeur du Pakistan, Munir Akram, a réagi à cette intervention en soulignant qu’«  il [M. Rae] ne ressent pas le besoin de dénoncer Israël pour avoir tué 7 000 Palestiniens et en avoir blessé 17 000. Il ne s’en prend qu’au Hamas. Est-ce faire la part des choses ? Ce qu’il dit, c’est qu’"il faut dénoncer ce qui doit être dénoncé". Nous pensons qu’il y a lieu de dénoncer Israël. Si on veut être impartial. Si on veut être équitable. Si on veut être juste. »

Pendant que son ambassadeur cherchait à relativiser des crimes de guerre, M. Trudeau a rencontré des membres éminents du lobby israélien à Montréal. Vendredi, il a rendu visite à Yair Szlak, le PDG de la Fédération CJA, ainsi qu’à Eta Yudin, vice-présidente du Centre pour les affaires israéliennes et juives au Québec, de même qu’à d’autres personnes. Les députés libéraux Anthony Housefather, Anna Gainey et Rachel Bendayan ont également participé à ces rencontres. M. Trudeau, a par la suite été pris en photo avec son groupe devant un drapeau israélien, lors d’une séance de discussion sur l’antisémitisme avec des étudiants juifs.

À peu près au même moment, des centaines de personnes se sont massées devant le bureau de Madame Bendayan dans le cadre d’une manifestation préprogrammée par Voix juives indépendantes Canada. Tôt dans la journée de vendredi, une cinquantaine de personnes ont tenté de perturber le discours du premier ministre au chic Club Saint-James, au centre-ville de Montréal. Comme les manifestants bloquaient l’accès au garage et aux autres sorties, M. Trudeau a été contraint de passer devant des dizaines de personnes scandant des slogans tels que « honte à vous », « Israël État terroriste, Trudeau complice » et «  Trudeau, Trudeau, you can’t hide, we charge you with genocide. »

Les médias dominants semblent être passés à côté de cette manifestation, mais une vidéo que j’ai prise montrant M. Trudeau en train de se faire dire qu’il a du sang sur les mains a été visionnée par plus de huit millions de personnes sur X (anciennement Twitter), ainsi que par des centaines de milliers de personnes sur d’autres plateformes de médias sociaux.

Vancouver, Sudbury, Saint John’s, Winnipeg, Toronto et Ottawa ont également durant le week-end été le théâtre de manifestations de solidarité avec la Palestine lors desquelles des records d’affluence ont été battus. La plus grande manifestation de ce type de toute l’histoire du Canada a eu lieu samedi à Montréal, où plus de 20 000 personnes ont défilé pour inciter M. Trudeau à cesser de cautionner le siège génocidaire imposé par Israël et la violence faite à Gaza.

Hier, des militants affichant leur solidarité avec la Palestine ont occupé les bureaux de 17 députés de diverses circonscriptions. Par ailleurs, cinq personnes ont été arrêtées lors d’une mobilisation d’action directe visant à bloquer l’entrée d’usine d’INKAS Armored Vehicle Manufacturing, au nord de Toronto, où sont fabriqués des voitures et autres véhicules blindés. INKAS exploite également une usine en Israël.

Il est ressorti d’un sondage réalisé les 21 et 22 octobre pour savoir si « le Canada devrait soutenir Israël dans son conflit armé contre le Hamas » que 30 % des 1 484 Canadiens interrogés n’étaient pas du tout d’accord, tandis que 19 % étaient tout à fait d’accord.

Alors que le gouvernement et l’establishment politique de notre pays continuent de laisser la voie libre au gouvernement d’Israël et à son aile d’extrême droite, de plus en plus de Canadiens disent non au génocide.

Yves Engler a été reconnu comme « l’une des voix les plus importantes de la gauche canadienne aujourd’hui » (Briarpatch). « Il est fait de la même étoffe que I.F. Stone » (Globe and Mail). Il «  fait partie de ce groupe restreint mais qui gagne du terrain d’observateurs critiques de la société qui n’ont pas peur de remettre en question les mythes teintés d’autosatisfaction du Canada  » (Quill & Quire). Neuf ouvrages de cet auteur sont actuellement publiés.

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