’Humanité, France, le jeudi 6 janvier 2022*
Par Christophe Deroubaix
*Photo* en p. j. (format JPEG) : « Mise à sac du ‘‘ temple ’’ de la démocratie américaine. L’appel au chaos du président sortant a été entendu par sa base. » (R. Schmidt / AFP)
La scène était plantée sur l’Ellipse, un parc situé au sud de la Maison-Blanche, mais le propos n’avait, quant à lui, rien d’elliptique. Que du Trump dans le texte. Du basique. Du direct. Du /tripal/. Du narcissique. Ce discours, c’est la lettre de mission adressée à un condensé du « peuple trumpiste », d’abord transi au milieu du froid de janvier puis chauffé ( à blanc ) par chacun des 11 000 mots prononcés en 1 h 10. Résumons : la grande œuvre réalisée par « moi, Donald, moi Donald, moi Donald » était sur le point d’être compromise par la « gauche radicale » avec l’assentiment des Rino ( Republicans in Name Only, républicains de nom seulement ). Le plus grand « raz de marée » électoral de l’histoire allait, en cette journée du 6 janvier 2021, être « volé » après « l’élection la plus corrompue dans l’histoire du pays, peut-être du monde ». Et ça se passait là, en bas de Pennsylvania Avenue, l’artère centrale de cette capitale fédérale qui relie tous les lieux de pouvoir. Les élus s’apprêtaient à certifier les résultats de l’élection du 8 novembre 2020 : 81 millions de voix et 306 grands électeurs pour Joseph R. Biden ; 74 millions de voix et 232 grands électeurs pour Donald J. Trump. « Stop the steal. » Il fallait « arrêter ce vol ».
*Quand « les idées deviennent des forces matérielles »*
Une invitation, presque un ordre. Pièce à conviction en forme d’extraits : « Maintenant, c’est au Congrès de faire face à cet assaut flagrant contre notre démocratie. Et après ( le meeting – NDLR ), nous descendrons la rue, et je serai avec vous. (…) Nous allons marcher vers le Capitole et nous allons acclamer nos braves sénateurs et députés et nous n’allons probablement pas tant acclamer que cela beaucoup d’entre eux. (…) Parce que vous ne reprenez pas possession de votre pays avec faiblesse. Vous devez montrer de la force et vous devez être forts. » Et ils ont marché. Comme le disait Karl Marx, « les idées deviennent des forces matérielles lorsqu’elles s’emparent des foules ». Et cette force matérielle a marché, renversé les maigres barrières de protection, fait reculer les minces effectifs de police mobilisés, pénétré avec effraction dans le lieu considéré comme le plus saint de la démocratie américaine.
Le dernier intrus portait un uniforme rouge de l’armée anglaise. C’était en 1814 lors de la seconde guerre anglo-américaine, qui scellait définitivement l’indépendance des États-Unis. Deux cent sept ans plus tard, le profanateur se présentait torse nu, muni d’une lance et d’une coiffe aux cornes de bison. S’est posé sur la chaise réservée au vice-président Mike Pence – que certains de ses acolytes recherchaient dans les couloirs au cri de « Hang Pence » ( pendez Pence ) – et a lâché pour la postérité : « Ce n’est qu’une question de temps, la justice arrive ! » Et elle est arrivée : « QAnon Shaman », Jacob Chansley dans le civil, 34 ans, a depuis été condamné à quarante et un mois de prison.
Préparé ou pas, coordonné ou pas ? L’affaire reste à éclaircir. On est en revanche certain du bilan : cinq morts ( quatre émeutiers et un policier ). Un an après, « l’une des plus grosses enquêtes de l’histoire du FBI », selon Lorenzo Vidino, directeur du programme sur l’extrémisme de l’université George Washington, cité par l’AFP, a permis l’arrestation de 725 partisans de Donald Trump sur les 2 000 personnes « impliquées dans le siège ».
La sociologie des émeutiers arrêtés est éloquente : les accusés sont surtout des hommes (87 %), blancs et d’une moyenne d’âge de 39 ans, « plus élevée que l’âge habituel des extrémistes », souligne le chercheur. Ils sont originaires de tout le pays et ont des profils socio-économiques variés ( avocat, paysagiste, agente immobilière… ). À noter une surreprésentation des individus avec une expérience militaire et ayant fait faillite. On y retrouve des militants « ordinaires », convaincus par la rhétorique du chef de meute, Donald Trump, comme des conspirationnistes et des militants d’extrême droite. Ces derniers – membres notamment des groupuscules Proud Boys, Oath Keepers ou Three Percenters – ont clairement préparé le moment. Une quarantaine d’entre eux sont actuellement poursuivis pour « association de malfaiteurs » .
*Les républicains font bloc et refusent de témoigner*
Demeure la question : ont-ils planifié l’attaque en lien avec l’entourage de Donald Trump ? Les procureurs laissent pour l’instant aux élus du Congrès le soin d’investiguer ces liens. Autant dire qu’aucune lumière ne sera faite : les républicains font bloc derrière Donald Trump et refusent de participer à l’enquête parlementaire. Le réalignement a eu lieu à peine quelques semaines après l’impensable assaut, passé un moment de sidération morale et de flottement politique : lors du second procès en destitution, l’immense majorité des élus du GOP ( Grand Old Party, surnom du Parti républicain ) votaient contre la mise en accusation de l’ancien président pour « incitation à l’insurrection ». Steve Bannon et Mark Meadows, respectivement ancien conseiller et chef de cabinet de Trump, ont refusé de témoigner, récoltant des mises en examen. Le tout sous les applaudissements de l’électorat républicain : selon un récent sondage réalisé par le Washington Post, 62 % d’entre eux restent persuadés que l’élection de Biden a été frauduleuse et 83 % estiment « faible » ou « inexistante » la responsabilité d’un Donald Trump tout prêt, tout frais pour un retour en fanfare en 2024 que préparent les législateurs républicains dans les États en votant des lois électorales restrictives. C’est leur leçon du 6 janvier 2021 : empêcher les électeurs de voter afin de ne pas perdre. Un autre assaut contre la démocratie.
* https://www.humanite.fr/monde/capitole/etats-unis-assaut-du-capitole-trump-lincendiaire-impuni-733417 <https://www.humanite.fr/monde/capit...>
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