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Entretien avec Guillaume Fondu

« Armer idéologiquement les gens qui luttent »

Les Éditions sociales viennent de lancer une nouvelle collection, intitulé « Propédeutiques », qui vise à transmettre les fondamentaux d’une culture politique large, utile à celles et ceux qui luttent. Nous nous sommes entretenus avec Guillaume Fondu, co-directeur de cette collection avec Antony Burlaud et Quentin Fondu.

14 octobre 2020 | tiré de CONTRETEMPS, REVUE DE CRITIQUE COMMUNISTE
https://www.contretemps.eu/formation-politique-marx-engels-gramsci-commune-bourdieu/

Collection « Les Propédeutiques ». Qu’est-ce qu’il y a derrière ce nom barbare ? Tu peux déjà décrire en quoi consiste la collection ?

Les Propédeutiques, c’est la collection pédagogique des éditions sociales, c’est-à-dire des volumes qui ne sont pas des œuvres à proprement parler mais qui proposent aux lecteurs et lectrices de découvrir et de lire des auteurs, des courants ou des événements historiques. Concrètement, ça se présente sous deux formats différents, les « Découvrir » et les « Pour Lire », les seconds étant plus étoffés que les premiers. Dans les deux cas, il s’agit de donner à lire des textes originaux : decourts extraits d’œuvres dans le cas des auteurs et autrices ; des textes philosophiques, politiques ou littéraires dans le cas des événements.

Par exemple pour la Commune, il y aura des discours, des décrets et proclamations, des témoignages contemporains, des analyses postérieures… Je reviendrai sur l’intérêt qu’il y a pour nous à faire lire directement les textes. Mais cette anthologie s’accompagne de commentaires explicatifs et de notes, que l’on cherche à faire le plus utiles possible. Le but du jeu, c’est de fournir au lectorat tous les éléments d’une bonne compréhension des textes, sans être trop directif dans l’interprétation, puisque, si nous avons choisi de faire lire ce genre de textes, c’est aussi pour les laisser résonner dans l’esprit des lectrices et lecteurs.

Il existe déjà ce genre de format, plutôt à destination du public étudiant. Pourquoi avoir ajouté une nouvelle collection, à quel constat ça renvoie ?

Effectivement, ce format-là existe déjà, notamment pour le public étudiant des disciplines « littéraires » au sens large (lettres, philosophie, sociologie, etc.). C’est d’ailleurs aussi la fréquentation de ce genre de littérature qui a motivé notre réflexion sur le format des ouvrages. Mais premièrement, nos ouvrages prétendent – on verra s’ils y parviennent – s’adresser à un autre public que le seul public étudiant. En tout cas tout est fait pour que les textes qu’on présente soulèvent aussi des enjeux politiques contemporains. Le but n’est pas simplement d’augmenter la somme de savoir de nos lecteurs et lectrices mais de leur proposer des outils intellectuels dont on pense qu’ils peuvent être encore éclairants et utiles.

On part du constat d’une disparition tendancielle des institutions qui permettaient, jusque dans les années 1990, la diffusion d’une culture politique, historique et théorique. Et cela conduit, nous semble-t-il, à une situation assez paradoxale : les militant-e-s, notamment jeunes, sont souvent extrêmement bien formées sur des questions théoriques pointues mais parfois au détriment d’une culture plus large, sur l’histoire des idées politiques, du mouvement progressiste dans toutes ses dimensions, etc. Et cette collection vise un peu à reconstituer une bibliothèque de la culture générale utile aux militant-e-s.

Alors bien entendu, c’est vraiment le début. On n’a que quelques titres et ils portent pour l’instant sur des auteurs très classiques. Mais on est conscient qu’il s’agit d’un point de départ et qu’il faut aller vers des choses plus diverses.

Le slogan retenu pour promouvoir la collection consiste à reprendre en le barrant la phrase de Thatcher « There is no alternative ». Mais en quoi est-ce que vous pensez pouvoir contribuer à faire revivre des alternatives avec cette collection ?

Premièrement, si je reprends la question du public, on s’adresse clairement à des gens, militants ou curieux, qui souhaitent s’orienter un peu dans le monde actuel, qui est le produit d’une histoire longue. On pense, encore une fois, qu’il y a un public pour ça. L’idée d’alternative est aussi liée pour nous à l’idée de culture historique. Aller voir ce qu’ont pu penser des auteurs ou des militant-e-s très éloignées de nous permet déjà d’élargir un peu les perspectives.

La phrase de Thatcher, en effet, n’est pas une simple formule isolée. Elle s’est accompagnée d’un matraquage en règle pour faire oublier ou disqualifier toutes les idées et événements qui n’entraient pas dans l’histoire apologétique du capitalisme, présenté comme suite logique du progrès technique et du développement de la liberté individuelle. Et les tenants de l’ordre actuel n’ont aucun scrupule à enrégimenter les auteurs canoniques dans ce récit, on a eu l’exemple récent avec Weber mais c’est aussi et surtout le cas de Gramsci, récupéré par tout le monde, jusqu’à la droite la plus extrême.

On veut contribuer à armer idéologiquement les gens qui luttent, documenter ce qui a été pensé ou ce qui a été possible à certains moments de l’histoire pour nourrir l’idée que l’ordre du monde actuel n’est pas « naturel » et que des alternatives existent.

Tu as mentionné la nécessité de faire lire des textes de première main. Pourquoi ?

En effet, c’est quelque chose à quoi on tient. Premièrement parce que c’est ce qu’on sait faire. Historiquement, les éditions sociales sont, avant tout, l’éditeur de Marx et Engels, et on espère avoir acquis un savoir-faire dans le fait de proposer des textes « classiques » en les accompagnant de tout ce qui permet de bien les comprendre. Mais il y a bien sûr d’autres raisons, plus intéressantes.

Premièrement, les textes « classiques » sont souvent plus denses que les commentaires pédagogiques ou les synthèses qu’on en fait. Ça les rend plus difficiles à lire, certes, mais ça permet aussi aux lecteurs et lectrices d’exercer leur réflexion et d’aller y chercher des choses qu’un résumé aurait laissé de côté, en se centrant sur une seule dimension du propos.

En outre, la lecture directe permet de se confronter à l’historicité des idées. C’est-à-dire qu’on voit un auteur ou une autrice se débattre avec les questions de son époque, essayer d’y répondre en inventant des concepts, des analyses, etc. Et c’est ce lien réciproque entre idées et situations qu’on essaie de présenter dans nos ouvrages, en partant d’œuvres canoniques (c’est le cas des premiers volumes consacrés aux monstres sacrés que sont Marx, Engels, Bourdieu, Gramsci, Weber) mais aussi d’événements (on aura bientôt, je l’ai dit, un volume sur la Commune).

Projets en cours ? À plus long terme ?

L’idée, comme je le disais, est d’ouvrir notre répertoire. On a fait un Weber, ce qui n’était pas du tout évident (et un Bakounine est en projet !), mais on va surtout essayer de diversifier les formats. Ainsi, l’an prochain, on fera paraître un Découvrir la Commune ainsi qu’un Découvrir le programme du CNR, puisqu’on pense que la culture militante consiste aussi à découvrir des événements, les débats politiques qu’ils ont suscités et la manière dont ils ont ensuite façonné les mémoires et les luttes (jusqu’à nous !).

Un Découvrir Luxemburg et un Découvrir Beauvoir sont également en cours, ainsi qu’un plus gros volume sur Lukàcs. On aimerait également sortir des seules sciences sociales, avec un Découvrir Darwin, ou s’éloigner un peu de l’aire culturelle européenne : on réfléchit, par exemple, à publier un Découvrir Sankara, un ouvrage sur les indépendances latino-américaines et un volume sur les socialismes arabes. La principale difficulté est de remplir notre cahier des charges avec des volumes à la fois abordables et suffisamment denses pour intéresser le public.

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