Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Afrique : Covid-19, « élites », dette, capitalisme et le « temps d’après » (3/3)

Nous republions en trois parties l’article de Jean Nanga « Afrique : Covid-19, ’’élites’’, dette, capitalisme et le ’’temps d’après’’ » du 2 septembre 2020. Dans cette dernière partie, il poursuit son balayage des positions émises par le monde intellectuel africain avant d’analyser comment la pandémie permet d’accélérer l’offensive néolibérale sur le continent.

Publié sur le site du CADTM, Pour l’abolition des dettes illégitimes

Sommaire

D’autres intellectuel·le·s, critiques de l’Africa rising
Grila : Le grand écart entre constat et perspectives ?
Covid-19 et offensive néolibérale

D’autres intellectuel·le·s, critiques de l’Africa rising

C’est d’ailleurs ce grand écart, entre les discours sur la “solidarité africaine” et des rapports sociaux intra-africains très inégalitaires/très injustes, qui est, entre autres, relevé par le texte d’autres intellectuel·le·s (88 [1]), très majoritairement africain·e·s (avec en tête de la liste des signataires le prix Nobel de littérature 1986, Wole Soyinka, qui n’en serait pas un des rédacteurs/rédactrices, a-t-il laissé entendre ailleurs) [2], en affirmant que « La pandémie du coronavirus met à nu ce que les classes moyennes et aisées vivant dans les grandes mégalopoles du continent ont feint de ne pas voir. Depuis près de dix ans, en effet, certains médias, intellectuels, hommes politiques et institutions financières internationales s’accrochent à l’image d’une Afrique en mouvement, d’une Afrique nouvelle frontière de l’expansion capitaliste. Une Afrique sur la voie de l’émergence économique ; une Afrique dont les taux de croissance positifs feraient pâlir d’envie plus d’un pays du nord ». Et en rappelant la coexistence de ce récit avec « les conditions de précarité chronique vécue par la majorité de leurs populations » dont quelques-unes ont été, sont encore aujourd’hui, malgré tout, soumises au confinement, quelques autres menacées de re-subir un confinement. La précarité ou le précariat, en Afrique du moins, n’est pas ainsi considéré comme né de la pandémie, à la différence de ce qu’en affirmaient les intellectuel·le·s précédent·e·s.

Par ailleurs, dans ce texte peuvent être remarqués l’usage non seulement de l’expression « classes moyennes et aisées » – quand bien il existe des notions plutôt pertinentes (petite bourgeoisie, bourgeoisie, etc.), « aisées » renvoyant dans le texte à celles et ceux « ayant la possibilité de travailler à domicile » pendant le confinement ; les patron·ne·s et actionnaires inclus·es ? –, la mention des sociétés où prévalent des « logiques de profit et de domination », mais aussi l’usage du terme, apparemment encore tabou pour les autres intellectuel·le·s (dans leur appel), « capitalisme », indiquant la réalité dont relèvent ces logiques. Il y est même question de « prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun. » Ce qui la distingue des deux appels précédents, autant qu’une certaine insistance sur l’« au-delà de l’urgence », le devenu fameux « jour d’après ».

Ainsi, invitation est faite aux destinataires de la lettre (« dirigeants africains de tous bords […], peuples africains et […] ceux qui essaient de penser le continent ») de « saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un État au service du bien-être des peuples, de rompre avec le modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement extérieur, de sortir de la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance, et du profit pour le profit ». Autrement dit, pour aller à l’essentiel, à la différence de l’Afrique actuelle, avec ses « classes moyennes et aisées », partisanes de « l’émergence économique » (capitaliste, évidemment) et la majorité des populations vivant dans des « conditions de précarité chronique », l’Afrique du « jour d’après » s’annonce post-idéologique, car il n’y aurait plus de différences, de divergences, de contradictions ; « dirigeant[e]s politiques de tous bords », « peuples africains » et penseur·e·s s’étant accordé·e·s sur « une nouvelle idée politique d’Afrique », la réorganisation du « vivre ensemble », désormais sur « des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun » – espérons que l’égalité soit aussi celle entre les genres, et la dignité, celle de chacune aussi. Ce qui pourra être considéré, ici aussi, comme une réactualisation de la supposée tradition africaine anté-coloniale telle que couramment présentée, surtout dans les années 1950-1960 (dont la nature prétendument solidaire a été traitée dans la partie précédente) : « Dans la société africaine traditionnelle, en effet, aucun intérêt ne pouvait être considéré comme déterminant ; les pouvoirs législatif ou exécutif ne soutenaient les intérêts d’un groupe particulier. Le but suprême était le bien du peuple tout entier » (Kwame Nkrumah, Le Consciencisme, chapitre III, 1964). En fait une nostalgie qui a été considérée par la suite comme uchronique, un « mythe », par le même Nkrumah, post-présidence [3].

Réorganisation sur des « bases égalitaires » qui est impossible à réaliser, eu égard à l’esprit économique exprimé dans cette lettre, laissant entendre, qu’ici aussi, il est fondamentalement question des réformes au sein de l’économie actuellement dominante, du vœu d’un capitalisme hétérodoxe dans lequel le culte de la croissance et du profit serait miraculeusement abandonné, alors qu’il est consubstantiel au capitalisme (à ne pas ramener à nos épiceries de quartier en Afrique, à l’“épicerie kabyle” dans certaines villes ou quartiers en France). Les capitalistes africain·e·s, une composante des « classes aisées », étant censé·e·s devenir – tout en demeurant, semble-t-il, propriétaires privé·e·s des moyens de production – des partisan·e·s de l’égalité, respectueux/respectueuses de la dignité de la force de travail exploitée productrice de survaleur qu’elles/ils s’approprient en principe, ainsi que de celle constituant l’« armée industrielle de réserve » (K. Marx).

Au temps de la lutte contre le colonialisme tardif en général, portugais en l’occurrence, Amilcar Cabral avait pensé que la « petite-bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe pour ressusciter comme travailleur révolutionnaire, entièrement identifiée avec les aspirations les plus profonds du peuple auquel elle appartient » (« Fondements et objectifs de la libération nationale et structure sociale », 1966). Ces intellectuel·le·s pensent, quant à elles/eux, que les « classes moyennes et aisées » sont capables de se suicider comme « classes moyennes et aisées », pour la construction de sociétés africaines égalitaires. Alors que l’existence d’une bourgeoisie révolutionnaire ne relève plus, à l’échelle mondiale, que d’un passé bien lointain. Voire que semble actuellement inexistante en Afrique quelque fraction de la petite bourgeoisie se voulant révolutionnaire (dans l’acception de Cabral).

C’est au nom d’un humanisme petit-bourgeois, malgré son respectable activisme pour la “démocratie” au Nigeria et pour la paix dans le monde (cf. par exemple, les pages consacrées à la tragédie du peuple palestinien dans son Climat de peur, Actes Sud, 2005), que Wole Soyinka, dans un entretien postérieur à cet appel, s’attend, en s’appuyant sur l’histoire mais tout en en évacuant certains faits pourtant majeurs, à une sorte de sursaut des dirigeant·e·s politiques africain·e·s : « Voulez-vous saisir cette opportunité pour réfléchir à notre pleine et entière existence en tant que peuple, et à votre existence à vous en particulier, en tant que dirigeant sur le continent africain… un continent qui porte une histoire d’esclavage, de colonisation, de néocolonisation, d’exploitation sans fin ? Et si cet événement était le moment de vous poser, pour enfin réfléchir, et vous demander si vous n’avez pas trahi votre propre peuple, trahi votre propre humanité ? [4] ». De la moraline, dirait le philosophe. Comme si cette histoire n’était pas aussi celle de la succession de dirigeants cyniques, des collaborateurs de la traite à ceux qui, dépourvus de quelque qualité (recommandable), sont arrivés à mettre leurs pays à feu et à sang, faisant plus de victimes que des épidémies, rien que pour la conservation de leur pouvoir ou pour y accéder, c’est-à-dire sans autre idéal que la jouissance des privilèges, la satisfaction de leur kleptomanie qu’il permet. Le néocolonialisme mentionné n’est-ce pas l’alliance, hiérarchisé certes, entre les dirigeants interpellés et les puissances (politiques et économiques, principalement des pays du centre capitaliste traditionnel, avec possibilité de restructuration, par exemple dans le contexte de montée en puissance économique de la Chine) et à laquelle ils s’avèrent inébranlablement très attachés, aux dépens des majorités sociales. Attendre quelque sursaut “humaniste” de ces dirigeants, indifférents en temps dit normal aux malheurs chroniques des classes populaires (dont des maladies comme le paludisme, le sida, la tuberculose, etc. qui sont incomparablement plus meurtrières pour le moment que la Covid-19 en Afrique), revient à espérer des eucalyptus qu’ils produisent des mangues, des oranges ou qu’ils enrichissent le sol. Par ailleurs, ces dirigeants ne trahissent en fait rien, car leurs promesses sont généralement mensongères au moment de leur énonciation.

Semble oublié, dans cet appel à l’union sacrée de tous/toutes les Africain·e·s face à la Covid-19, le fait que dans les dernières décennies du 20e siècle, il y a eu des conférences nationales, dites mêmes souveraines, et autres concertations nationales. Elles résultaient, entre autres des mobilisations sociales contre la paupérisation populaire causée par l’endettement critique (ayant plus profité aux kleptocrates et à leurs partenaires capitalistes, d’Occident surtout, à travers, par exemple, la surfacturation des grands travaux) organisé par les IFI (par exemple, la Banque mondiale avait promu au cours des années 1970 “l’endettement pour se développer”, du fait de l’abondance des pétrodollars), et les subséquents programmes d’ajustement structurel néolibéral. Conférences nationales et autres assises qui ont, paradoxalement, été des moments de légitimation nationale quasi consensuelle (organisations politiques et société civile, syndicats patronaux compris dans celle-ci) de l’option néolibérale, auréolée de multipartisme (généralement sans réel pluralisme idéologique, dans le contexte de l’après destruction du Mur de Berlin), de “dynamisme” de la “société civile”. La “démocratie”, ainsi instaurée, était présentée, considérée comme la forme de gouvernement permettant de résoudre les problèmes sociaux ayant causé les mobilisations sociales, alors que les gouvernant·e·s élu·e·s choisissent systématiquement la direction opposée, celle de la fixation, de l’aggravation durable desdits problèmes. En fait, ce fut un moment de nouvelle confirmation du « déficit idéologique » en Afrique post-coloniale constaté déjà par Frantz Fanon (« Cette Afrique à venir », 1960) et Amilcar Cabral (« Une crise de connaissance », 25 mars 1961 ; « Fondements et objectifs de la libération nationale et structure sociale », janvier 1966), au moment de la guerre dite froide (ni l’un ni l’autre ne voulaient ainsi prôner une “idéologie africaine”, mais une idéologie de l’émancipation humaine, c’est-à-dire abolition de « toutes les formes d’oppression », de « l’exploitation du travail par qui que ce soit [5] »). Déficit idéologique aggravé par le contexte néolibéral de propagande, renouvelée aussi, de l’idéologie de la fin des idéologies (la “science économique” présentant plus qu’auparavant l’économique, substrat et finalité de la société capitaliste, comme non idéologique). Comme cela se donne à voir déjà ci-dessus, les “élites” africaines produisent, généralement, sous une « ennuyeuse apparence de diversité » – pour reprendre une expression hégélienne –, avec une indéniable habileté rhétorique, sophistique, des adaptations africaines (particularistes ou cosmopolites) de cette idéologie, y compris sous forme de « manifestation assez raffinée d’apologétique critique », comme le disait Ernst Bloch à propos d’une certaine critique sociale dans le cinéma hollywoodien (Principe Espérance, tome 1, chap. 29, 1959), en l’occurrence la critique pro-capitaliste du capitalisme néolibéral. Ce qui peut être médiatiquement rentable, voire pour la carrière.

Ainsi, si les « dirigeants africains de tous bords » (les politiques) sont, à juste titre, interpellés, ne le sont pas les autres acteurs/actrices, parmi la minorité bénéficiaire du drame vécu par les classes populaires africaines, que sont les capitalistes africain·e·s, avec lesquels il serait impossible de « mutualiser [les] efforts » pour la construction « d’un État au service du bien-être des peuples » et qui ne pourraient abandonner le principe « du profit pour le profit ». Il est illusoire d’attendre des capitalistes de partout en Afrique – les actifs/actives à l’échelon national, comme celles et ceux qui le sont transnationalement (en Afrique et ailleurs) –, des associations patronales africaines, qu’elles/ils tournent le dos à l’inégalité structurelle du capitalisme, se métamorphosent en partisan·e·s de l’égalité. Tout comme, ne peut être espéré en même temps que les démocrateurs (la démocrature est une dictature d’apparence démocratique selon Eduardo Galeano, parlant des régimes ayant immédiatement succédé aux dictatures militaires des années 1970 en Amérique dite latine) et kleptocrates se transfigurent en démocrates (soumis au contrôle populaire basé sur une bonne information, une vraie formation citoyenne autonome) et personnes intègres. Alors qu’à proprement parler, il n’y a pas actuellement, sauf dans une poignée de pays, de dynamisme de la lutte de classe des exploité·e·s [6], des luttes contre les différentes inégalités, injustices, oppressions (généralement imbriquées) pouvant les contraindre à une telle mutation. À moins de penser que ce serait possible par quelque miracle de la “palabre africaine” mise à jour. Par quelque réactivation de la supposée « solidarité dont elle [l’Afrique] possède les gènes », selon les intellectuel·le·s précédent·e·s.

Il semble que c’est sur une telle métamorphose qu’aurait planché l’édition de mars 2020 de l’Africa CEO Forum (haut lieu de concertation entre capitalistes africain·e·s, dirigeant·e·s politiques africains et investisseurs étrangers – sans les classes populaires, évidemment), annulée pour cause de pandémie, car elle avait pour thème : « Capitalisme et bien commun : un nouvel horizon pour le secteur privé africain ». Comme l’avait précisé le président de cet événement (organisé par le Groupe Jeune Afrique avec, entre autres partenaires, la Banque africaine de développement, la Société financière internationale du Groupe de la Banque mondiale) considéré comme majeur pour l’essor du capitalisme en Afrique, Amir Ben Yahmed (Groupe de presse Jeune Afrique), il s’agirait de réfléchir sur la réalisation d’« un capitalisme africain au profit de tous », d’un « capitalisme pour le bien commun » [7]. Sans, cependant, se référer, dans son texte, à quelque solidarité africaine génétiquement déterminée. Sa source d’inspiration serait plutôt le Manifeste de Davos 2020 (Davos Manifesto 2020 : The Universal Purpose of a Company in the Fourth Industrial Revolution, décembre 2019) produit par Klaus Schwab (président de l’autre forum, le Forum économique mondial de Davos), pour sa dernière édition (janvier 2020). Et dont l’idée principale est : compte tenu des inégalités colossales actuelles, il faudrait passer à un capitalisme ne profitant plus seulement aux actionnaires mais aussi à toutes les « parties prenantes », y compris donc la force de travail salariée. Conception de l’économie (sociale) capitaliste qui est bien loin de connaître un début de commencement, vu que dans la principale économie capitaliste du monde, par exemple, même la période de la pandémie de Covid-19 a eu du bon pour les plus capitalistes des capitalistes : « This year’s Forbes report examines billionaire wealth as of March 18, 2020, a bit later than the February dates fixed upon in the magazine’s previous 33 annual reports. By April 5, two-plus weeks after March 18, U.S. billionaires had seen their collective wealth rise back to $3.017 trillion, and by April 10 their wealth had surged to $3.229 trillion, surpassing the 2019 level. Between March 18 — the near bottom point of the pandemic financial swoon — and April 10, 2020, U.S. billionaire wealth rebounded by $282 billion [8] ». Il n’en est pas autant, évidemment, pour les autres « parties prenantes », celles, par exemple, qui suent à produire ces richesses. Mais l’Afrique étant considérée comme d’une humanité si particulière, avec ses vertus génétiquement déterminées, ses capitalistes sauraient se métamorphoser. Ce que fait douter néanmoins, par exemple, le panafricanisme exprimé par l’ex-footballeur professionnel en Europe, Samuel Eto’o, appelant à « un sursaut d’orgueil, il faut qu’on sache se mettre ensemble. On ne sera jamais d’accord, mais l’intérêt général c’est l’intérêt général ! L’intérêt de notre continent doit primer sur tout [9] ». Mais, après avoir présenté la création d’emplois comme motivée par la solidarité, l’altruisme, plutôt que par la soif d’accumuler, il n’a pas oublié ses intérêts de milliardaire (en FCFA) membre autochtone du capital en Afrique : « Il faut permettre aux Africains qui veulent investir dans notre continent d’avoir la priorité sur certaines choses et d’avoir des avantages aussi, parce que nous sommes nés dans ce continent-là et il est normal qu’on revienne et que l’on ait certains avantages pour pouvoir investir dans notre continent » (idem). Une demande assez claire du privilège d’autochtonie africaine pour l’exploitation/la surexploitation néolibérale de la force de travail africaine, la réalisation des profits, la reproduction des inégalités et injustices structurelles. C’est la voix du panafricanisme bourgeois : par « intérêt de notre continent », il faut plutôt comprendre “nos intérêts de fraction autochtone de la classe exploiteuse”.

Ainsi, dans cet appel aussi, il n’est sous-entendu nulle part une rupture à venir avec le capitalisme, cadre et co-facteur de la crise sanitaire, articulable à la crise écologique, mais seulement avec tel ou tel autre des aspects du capitalisme néolibéralisé. Même concernant la « dépendance systémique » dans laquelle se trouvent les économies, les États africains, il n’est pas question de rupture mais juste de « diminuer notre dépendance systémique » à l’égard des puissances capitalistes, dont les anciennes métropoles coloniales/impériales. Une telle diminution serait tout à fait autre chose que l’interdépendance qui exclut, en principe, des rapports de domination, de subordination entre les partenaires.

Tout comme certain·e·s altermondialistes souhaitaient une mondialisation (capitaliste néolibérale) à visage humain (en ce qui concerne les altermondialistes du centre capitaliste, c’était par nostalgie des prétendues “Trente glorieuses”, considérées en faisant abstraction du contexte de la guerre dite froide, des guerres coloniales/néocoloniales, de la domination impérialiste, de la mise en dépendance des États du Tiers-Monde, avec son échange inégal, du productivisme/consumérisme écocidaire, etc.), l’un des signataires a parlé ailleurs « des opportunités à saisir afin de “coconstruire” une mondialisation plus équitable [10] ». Autrement dit, le stade néolibéral de la mondialisation étant considéré comme actuellement équitable – dans l’acception « à la mode » de l’équité, depuis les années 1990 (cf. François Brune, op. cit.) –, il s’agit d’en faire plus, sans, effectivement tendre vers l’égalité : un changement sans la nécessité de « changer de base » (à la différence de ce qui est envisagé dans un hymne célèbre, de moins en moins chanté ces derniers temps). Considération assez logique de vivre dans un monde équitable quand l’on appartient à la tranche supérieure de la “classe moyenne”, à l’abri de la précarisation. Alors que la mise en circulation ces derniers temps, par des idéologues du capitalisme, des expressions – de nouveaux mots envoûtants de la « sorcellerie capitaliste » comme diraient Philippe Pignarre et Isabelle Stengers (La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement, 2005) – comme « développement inclusif », « croissance inclusive », capitalisme « des parties prenantes » ou du « bien commun » indique assez explicitement que la dynamique en cours, est de nature exclusive, plus gravement injuste et inégalitaire, comme jamais auparavant.

Quant au panafricanisme, l’appel à « retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements » manque de précision : s’agit-il de l’« inspiration originelle » négro-américaine du panafricanisme, en cela plutôt pan-négriste que panafricaine, les peuples d’Afrique étant de plusieurs “races”, depuis au moins le premier millénaire de l’ère dite chrétienne ? S’agit-il du panafricanisme des années 1945-1963 ayant abouti, principalement, à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), à dominante néocoloniale (certains “pères de l’indépendance” et fondateurs de l’OUA, étant alors plus intéressés par le projet de l’EurAfrique, le Commonwealth, la françafricaine Union africaine et malgache, etc.) ? OUA qui ne s’était ainsi quasiment pas préoccupée de l’organisation du vivre ensemble (de l’économique au culturel, en passant par les rapports entre les genres) à partir du principe de l’égalité sociale (un idéal qui n’était pas encore considéré comme une énormité) dans les sociétés africaines dites indépendantes. Les “élites” au service des États dits indépendants parlaient de panafricanisme tout en se distanciant davantage socialement, de façon générale, des peuples/classes populaires, y compris l’“élite” du Convention People’s Party et de l’État ghanéen dirigés par un Kwame Nkrumah qui était incontestablement à l’avant-garde du panafricanisme post-colonial. Les classes populaires y étant alors contenues à « s’énivrer de l’épopée qui a conduit à l’indépendance » (F. Fanon, Les damnés de la terre) Ainsi n’est-ce pas comme une promesse d’attachement au système dominant quand, concernant un supposé accomplissement de progrès considérables, à venir, dans le processus d’intégration africaine, il est juste reproché au dit processus d’avoir été « conçu que sur la base de la seule “doxa” du libéralisme économique » (une référence implicite au Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique/NEPAD [11], à l’Agenda 2063 – L’Afrique que nous voulons de l’Union Africaine, à la Zone de libre-échange continentale africaine ?) ? Autrement dit, il ne s’agirait pas de rejeter la “doxa” du libéralisme économique », alias le néolibéralisme, mais de lui ajouter quelque chose d’autre. Du social sans doute, pour arriver au social-néolibéralisme promu ailleurs [12], car l’Africa Rising est reconnue, même par des institutions de la néolibéralisation, n’avoir pas été “inclusive”. À titre de rappel, ladite inclusion, sociale, dans le jargon des institutions promotrices ne signifiant pas instauration de mécanismes favorisant l’égalité, mais permettant une équité considérée comme nullement incompatible avec la persistance des inégalités sociales structurelles.

Par ailleurs, comme les appels précédents, celui-ci, malgré un intérêt affiché pour la science (mais dépourvu de quelque critique sur une certaine instrumentalisation capitaliste de la science, à l’instar de la technoscience qui est présentée insidieusement comme facteur du développement ou de l’émergence de l’Afrique, des semences génétiquement modifiées à l’expansion de la numérisation), brille aussi par la non prise en compte de la dimension écologique, relevant, entre autres, de la connaissance scientifique des phénomènes qui accablent les sociétés humaines, menacent l’avenir de la vie. Alors que l’Afrique a déjà été affectée, à répétition, par le virus Ebola (dont l’origine est censée, selon l’hypothèse assez partagée par les épidémiologistes, liée, entre autres, à la surexploitation capitaliste des forêts, plutôt que par quelque croissance démographique, comme avancée par le néo-malthusianisme, ou la coupe de bois d’usage domestique), qu’elle subit déjà les conséquences du réchauffement climatique (comme l’ont rappelé, par exemple, les dégâts causés par les pluies de la première décade de mai 2020, du Kenya au Congo, après les cyclones Idai et Kenneth ayant frappé l’année précédente des pays d’Afrique australe, voire la tempête Fakir sur La Réunion, ce “département français” bien situé … entre Madagascar et Maurice), plus intensément, semble-t-il que les autres régions du monde. Et les prévisions, plutôt fiables en cette matière, sont généralement plus alarmantes qu’ailleurs, sur cette terre commune. Si rien n’est sérieusement fait dès maintenant, globalement s’entend. Par ailleurs, elle risque de se retrouver avec un particulier appauvrissement des sols du fait de l’accaparements des terres, et généralement de l’offensive de l’agrobusiness au nom d’une révolution verte en Afrique qui pourra ne pas être, par exemple, moins empoisonneuse de la nature non humaine et moins étrangleuse de la petite paysannerie qu’elle l’a été partout ailleurs. Agrobusiness qui risque de profiter de la récession des économies d’Afrique pour renforcer son pouvoir sur des États africains, sur l’Union Africaine (par exemple, la philanthrocapitaliste Fondation Melinda et Bill Gates est partenaire, financeure très intéressée du NEPAD - Agence de développement de l’UA), leur faisant adopter des orientations écocides mais lui rapportant des profits.

Cet oubli de mentionner, dans cet appel, la dimension écologique, serait-ce l’expression de la conscience d’une incompatibilité de l’écologie conséquente avec le capitalisme – même présenté comme « développement durable », « croissance verte » et autres oxymores dont se revendiquent actuellement des transnationales parmi les plus écocidaires [13] –, mais sans disposition à en tirer les conséquences ?
Grila : Le grand écart entre constat et perspectives ?

Oubli de la dimension écologique que l’on ne trouve pas dans les « Observations du Grila sur la pandémie du Coronavirus. La condition du continent et une riposte panafricaine ». En effet, le panafricaniste Groupe de recherche et d’initiative sur la libération de l’Afrique n’oublie ni la dimension écologique (« la dégradation de la nature propice à la circulation des virus » résultant de l’action des « firmes transnationales et instances financières »), ni des facteurs de la pandémie (comme « la connectivité transnationale des réseaux de communication », la « sous-estimation » de sa propagation, etc.), ni les divers impacts sur les femmes (« En raison de la discrimination systémique dans le système capitaliste et de certaines traditions culturelles patriarcales, les africaines du continent et les femmes de descendance africaine continuent d’assumer la charge du soin des enfants et des aînés. Ces femmes africaines sont confrontées à un plus haut taux de violence sexiste et à l’insécurité économique. Elles sont représentées de façon disproportionnée dans le secteur informel avec des emplois sous-payés et précaires, sans assurance sociale, ou de congé maladie » [14]), ni « la crise du capitalisme [qui] perdure de façon erratique » depuis 2008 et « la nature antisociale du capitalisme », ni les « classes sociales », ni les « paysan·ne·s qui assurent la poursuite de la production ou l’entretien des champs », ni le risque « de conditionnalités supplémentaires des bailleurs de fonds » et de chantage du FMI et de la Banque mondiale (« Les pays africains qui promeuvent l’approche néolibérale ou n’osent pas lui tenir tête seront privilégiés »), ni les « allocations de chômage aux travailleuses et travailleurs mis à pied, des filets sociaux aux plus démunis, surtout à ceux qui seraient confinés » que devraient fournir les États en accompagnement des mesures strictement sanitaires, ni la protection « de la population de l’instrumentalisation religieuse ou culturaliste de la pandémie », ni l’option de « dépasser les mentalités nationalistes et recouvrer un élan panafricain internationaliste et solidaire, pour défendre l’humanité, les biens communs », etc. Bref, une assez synthétique contextualisation, un tour d’horizon permettant au lecteur/à la lectrice lambda d’échapper à l’approche diversement mutilée du phénomène, assez caractéristique des déclarations précédemment présentées.

Cependant, il y est aussi souhaité une accélération de l’intégration africaine. Ce qui revient à ne pas remettre en question la nature néolibérale du processus d’intégration en cours, allant du NEPAD (considéré à juste titre, par l’altermondialiste nigérien Moussa Tchangari, comme le « boubou africain du néolibéralisme », taillé au départ par les présidents Abdoulaye Wade du Sénégal et Thabo Mbeki d’Afrique du Sud, soutenu par ses pairs d’alors, Abdelaziz Bouteflika de l’Algérie et Olusegun Obasanjo du Nigéria) à la Zone de libre-échange continental africaine, cet « afrolibéralisme » [15]. Processus d’intégration qui est soutenu, financièrement, aussi bien par l’Union européenne que par des transnationales, non africaines comme africaines (à l’instar du club patronal “AfroChampions” co-présidé par la première fortune africaine Aliko Dangote et l’ex-président Thabo Mbeki) principalement motivées par les profits qu’elles tireraient de ce vaste espace économique plutôt que par quelque volonté de contribuer à l’émancipation des peuples africains – la dynamique du profit étant en contradiction avec le processus d’émancipation, des exploité·e·s et opprimé·e·s de tous les autres continents aussi. Ces peuples d’Afrique n’étant considérés – tout comme ailleurs – que comme fournisseurs de la force de travail à exploiter et consommateurs potentiels des marchandises, sans pouvoir de décision, dépourvus d’une quelconque souveraineté sur ledit processus. Une telle intégration, néolibérale, ne peut d’ailleurs que reproduire davantage « la nature antisociale du capitalisme » (tous les États africains étant de nature capitaliste, malgré l’oubli dominant de ce fait dans le monde académique et comme l’a prouvé, par exemple, la crise structurelle des années 1980-1990, « la Grande Dépression Africaine » selon Thandika Mkandawire [16], focalisée sur le surendettement, généralement, et son supposé remède, l’ajustement structurel néolibéral dans lequel bon nombre patauge depuis), pourtant rappelée plus haut dans le texte du Grila. C’est comme un oubli, mais qui affecte le mordant (de la première partie) du texte.

Ainsi, de façon assez logique, la perspective n’est pas formulée en termes de post-capitalisme (écologique, socialiste, féministe, etc.) mais en termes timorés, bien vagues d’« avènement d’un développement viable, équitable, durable et populaire par l’État fédéral continental » ou de « reconstruire des valeurs pour une autre économie tournée vers l’équité, l’égalité des opportunités, la décision démocratique et populaire, le respect des genres, des générations et de la nature ». Du développement durable, par exemple, on sait, au moins depuis son adoption par des transnationales co-responsables de la crise écologique et de son aggravation en cours, qu’il s’agit d’un « impossible capitalisme vert » (Daniel Tanuro, L’impossible capitalisme vert, 2010). Le développement, capitaliste s’entend, est impossible sans la croissance qui, animée par l’insatiabilité de l’accumulation du capital, infinie dans une nature finie, ne peut qu’être écocidaire. Quant à l’« équitable », l’ « équité », il s’agit, rappelons-le, d’un usage actuel, faussement synonyme d’ « égalitaire », d’ « égalité ».

En effet, en ces années post-destruction du Mur de Berlin, de supposée fin de l’histoire, quand est évoquée l’équité, il ne s’agit plus de « l’équité au sens où l’entendait Aristote, comme correctif de l’égalité formelle [17] », mais de l’équité opposée à l’égalité (principe alors en cours de ringardisation). Selon la définition, critique, déjà citée, de Noëlle Burgi-Golub : « l’équité tente de trouver un équilibre entre égalité et inégalité », non pas à mettre un terme à celle-ci, aux inégalités structurelles. C’est un des principes de la « nouvelle narration proposée par les gestionnaires de la planète [18] » en néo-libéralisation : « En vertu du principe d’“équité”, un État est juste s’il met en œuvre une politique d’accès de tous à l’éducation. À l’individu, ensuite, d’en tirer le meilleur profit dans le cadre de la compétition scolaire. Ce faisant, les dirigeants ont avalisé non seulement l’idée qu’il existe des inégalités légitimes, résultant notamment du mérite et de l’effort individuels, mais aussi celle que le système scolaire doit de plus en plus servir à la sélection sociale. Ce que confirme la réalité du vécu quotidien ». Celles et ceux issu·e·s des familles défavorisées, les femmes, les “racisé·e·s” dans les sociétés multiraciales, qui ont pu “réussir” dans la société, se faire une place sous le soleil du capital/des riches, de la phallocratie, de la race dominante, sont des individus ayant su saisir l’« égalité des chances » ou l’« égalité des opportunités » (dans le texte du Grila). Celle-ci est, à son tour, un principe de ladite équité. Par exemple, dans le Rapport sur le développement dans le monde 2006 de la Banque mondiale intitulé, comme pour repréciser l’horizon, Équité et développement (Abrégé, version française), le terme “égalité” n’apparaît quasiment que dans l’expression « égalité des chances ». Qui, rappelons-le, a été promue pour couvrir l’existence des mécanismes sociaux structurels favorisant, au départ, plus les uns, les unes que les autres, compromettant ainsi l’effectivité de l’égalité, impossible en fait dans le capitalisme en général, surtout sous sa forme néolibérale, avec le fétichisme plus accentué du grand anti-égalisateur qu’est l’argent. Ce qu’assume sans masque ledit rapport en précisant que « l’objectif de l’action gouvernementale n’est pas d’obtenir l’égalité dans les résultats » (p. 3 de l’Abrégé dudit rapport de la Banque mondiale). Pour les « nouveaux idéologues », les « nouveaux réformateurs » (Burgi-Golub), la persistance des inégalités ne relève pas du structurel, mais s’explique, fallacieusement, par l’incapacité de saisir les opportunités, supposées égales, par le manque de chance pour celles et ceux qui en pâtissent. Alors que, logiquement, « là où il y a égalité, par définition il n’y a pas besoin de chance ; et là où il y a chance il n’y a pas égalité, mais hasard, gros lot ou lot de consolation… Le mot chance ne renvoie-t-il pas au monde de la loterie, un monde où l’on parie, un monde où quelques-uns gagnent … et où la plupart perdent ? [19] ».

La domination, rappelons-le, c’est aussi le fait que la grammaire des institutions garantes de la reproduction du système inégalitaire arrive à être adoptée – consciemment ? inconsciemment ? – même par celles/ceux qui se considèrent comme des adversaires dudit système. Comme le rappellent certain·e·s, en ayant fait une de leurs identités, « les mots sont importants », très importants même, dans la lutte pour l’émancipation. Par ailleurs, n’est pas à négliger que l’adoption d’un tel vocabulaire, indiquant aussi l’horizon du possible choisi, favorise, par exemple, le financement de certaines organisations de la société civile par des fondations philanthrocapitalistes (Fondation Ford, Fondation Rockefeller, Open Society, etc.), très actives en Afrique et aucunement portées sur le suicide de leur système. Bien au contraire, leur philanthropie est motivée par l’élargissement des rangs de celles et ceux, des Africain·e·s (pouvant être prédisposé·e·s en tant que “très éduqué·e·s”) qui se chargent, aussi par les mots choisis de l’occultation des mécanismes de reproduction de la domination du Capital – généralement la “nécessité” de bénéficier encore des financements (permettant aussi de ne pas se retrouver dans le précariat) empêche toute critique globale et radicale d’un système dominé par les financeurs –, de produire des illusions stratégiques, à son profit, contre l’émancipation des exploité·e·s et des dominé·e·s.

Appropriation de la grammaire des dominants qu’illustre aussi le fait qu’après avoir critiqué au début du texte le sort fait aux femmes par « le système capitaliste et certaines traditions culturelles patriarcales », il n’est donné en perspective que « le respect des genres », pouvant être compris ici comme respect de l’assignation sociale hiérarchisée des sexes, plutôt que comme remise en question des rapports de pouvoir genrés. Et, auparavant, il a été question d’« équité entre les genres ». Dans le droit fil de ce qui s’est institutionnalisé depuis au moins la 4e Conférence mondiale de l’ONU sur les femmes (Pékin, 1995) au cours de laquelle « “Dans le texte officiel […] il est question de remplacer le terme d’égalité par celui d’équité, et celui de parité par partenariat” […] le passage progressif d’une notion d’égalité à une notion d’équité – et de parité à celle de partenariat – reflète l’offensive idéologique d’un libéralisme triomphant, soucieux de justifier “ses justes inégalités” [20] » ; “féminisme onusien” qui a d’une certaine façon ramolli la réflexion sur l’égalité des genres en Afrique [21]. Cet évitement, par le Grila, de l’expression “égalité des hommes et des femmes” peut aussi relever d’un certain culturalisme africain (féminin comme masculin, beaucoup plus masculin que féminin) sur le sujet (assez amplifié dans les sociétés racistes, de prédominance de la blanchité, dans la diaspora (négro-)afrodescendante), couvrant mal une défense de la phallocratie traditionnelle africaine, avec ses touches religieuses (chrétienne, musulmane). Par exemple, dans « Ce que l’homme noir apporte » (1939), L. S. Senghor (incontournable concernant le culturalisme (négro-)africain) marie l’égalité et la hiérarchie/l’inégalité concernant la dot : « La femme est l’égale de l’homme […] On n’achète pas la femme, on dédommage seulement sa famille ». Pour quoi, si ce n’est pour la force de travail, produite, entretenue et finalement perdue par la parentèle, et pour l’activité (de production et) spécialisée de reproduction sociale qu’elle accomplira dans son nouveau foyer, normalement dirigé par le “dédommageur”. Relativisme culturel mis à jour, en ces temps considérés par certain·e·s comme postmodernes, par des activistes féminines, à l’instar de celles qui nient l’existence des genres dans certaines sociétés africaines précoloniales, en prenant soin, évidemment, de ne pas aborder la question du travail domestique des femmes, par exemple. Relativisme culturaliste qui considère la lutte pour l’égalité des hommes et des femmes comme relevant du féminisme, à honnir parce que d’origine “ blanche” ou “occidentale”. Autrement dit, ne pouvant exprimer que la domination culturelle impérialiste (“blanche” ou “occidentale”), ou, pour être tendance, la colonialité. Ainsi même Françoise Vergès dont le féminisme décolonial est anti-capitaliste, se trouve comme obligée d’affirmer (dans un entretien qui, du fait d’être gratuitement accessible sur internet, va être, sans doute, plus lu en Afrique que son dernier livre Un féminisme décolonial, 2019) que « Pour moi, le féminisme n’est pas les droits des femmes comme l’a défini l’Europe […] Pour moi, les droits des femmes, tels que l’Europe les définit servent l’impérialisme […] Pour moi, le féminisme c’est la justice sociale, c’est la fin du capitalisme et de l’impérialisme. Ce n’est pas simplement qu’il y ait autant de femmes députées que d’hommes députés à l’assemblée […] Je trouve que le féminisme qui vient aujourd’hui du Nigeria, d’Afrique du Sud, des femmes noires du Brésil, c’est ça. Le féminisme blanc du Nord a vu cela et il réagit encore plus violemment parce qu’il a peur. Les femmes du Sud disent : “Nous, notre féminisme ce n’est pas le vôtre. Nous, notre féminisme c’est un féminisme de justice sociale. Ce n’est pas un féminisme de 50/50. Ce n’est pas l’égalité de genre. On veut que tous nos enfants aillent à l’école. On veut un accès réel à la santé, à l’éducation, au logement, au travail. On veut que les femmes n’aient pas deux heures de transport à faire pour aller travailler, gagner une misère…” Pour moi, c’est ça […] La révolution viendra des femmes du Sud [22] ». C’est comme si le contexte d’énonciation, (les Ateliers de la pensée, à Dakar, animés par des co-signataires du deuxième appel traité plus haut) avait imposé un tel confusionnisme. Entre autres questions possibles à partir de ce géo-messianisme : “l’Europe” (des États, on suppose) et les féministes blanches du Nord mais à la fois anti-capitalistes, anti-impérialistes, anti-racistes, etc. – aussi minoritaires seraient encore celles-ci – sont-elles à ranger ensemble ? Le féminisme du Sud est-il si homogène ? N’y a-t-il pas des féministes pro-capitalistes, des capitalistes féministes en Afrique ? Féministes du Sud contre Féministes du Nord ? ou plutôt Solidarité entre féministes anticapitalistes et antiracistes du Nord et du Sud ? Affirmer que « ce n’est pas l’égalité de genre » est-ce à dire être pour un “féminisme” de l’“équité”, de l’inégalité entre les femmes et les hommes ? Autrement dit un féminisme … patriarcal ou un patriarcat féministe. Qu’adviendrait-il si quelque Blanc (à la Donald Trump ou quelque intellectuel·le français·e obsédé·e par le décolonial) prenait le courage d’affirmer que son humanisme “ce n’est pas l’égalité des races” (qui a le premier/la première parlé de l’égalité des races ?) ? La scolarisation de tous/toutes les enfants, n’est-ce qu’une préoccupation féminine (féministe) ou plutôt “universelle” comme le « réel accès à la santé », qui concerne des millions et des millions de femmes, d’hommes et d’enfants, à des proportions différentes certes, sur tous les continents ? Ce qui est assez différent de la revendication d’un accès égalitaire, entre hommes et femmes à la terre, dans le cas de plusieurs sociétés africaines, contre les accaparements, pour un retour de la terre au statut de commun, mais dépatriarcalisé.

Ainsi, ces panafricanistes, ayant pourtant pointé du doigt le risque d’« instrumentalisation culturaliste de la pandémie », expriment, comme malgré eux, un culturalisme concernant les rapports hommes/femmes, entre les genres, au moment où en Afrique aussi, les femmes subissent particulièrement ladite pandémie, pour les raisons justement avancées au début de la déclaration. C’est comme une illustration de la résilience (dans l’acception courante) du culturalisme et de phallocratie au sein de l’intelligentsia africaine.

Par ailleurs, il y a, dans la déclaration, l’expression de cette quasi-impossibilité dans l’intelligentsia mainstream africaine, voire au sein du mouvement social africain (particulièrement en Afrique dite subsaharienne, sans l’Afrique du Sud, sans Maurice où, comme en Afrique du Nord, les bourgeoisies locales sont plus anciennes, et, paraît davantage organisée la conscience de classe des exploité·e·s), malgré l’usage (une fois) de « classes sociales » dans le texte, d’évoquer clairement, pour la lectrice/le lecteur lambda, le capital africain. Par exemple, le texte s’achève par un appel à « Saisir que la transition post pandémie sera une occasion autant pour l’impérialisme et les forces réactionnaires de poursuivre l’effort de recoloniser l’Afrique ». L’évidence du caractère exogène de l’impérialisme s’accompagne d’une mention des « forces réactionnaires » ne permettant pas de savoir si celles-ci aussi sont étrangères, mais distinctes des impérialistes. Ou s’il s’agit d’éléments autochtones (africains) dont les intérêts convergent relativement avec ceux de l’impérialisme, jusqu’à adhérer à la “recolonisation” de l’Afrique, procédant ainsi à une mise à jour de la tradition des participants africains (principalement des souverains) à la traite négrière, des collaborateurs indigènes (chefs “traditionnels” héritiers de l’anté-colonial ou “inventés” par l’administration coloniale, cadres “modernes” dits “évolués”) du colonialisme, dont certains seront métamorphosés en « pères de l’indépendance », premiers co-gestionnaires du néo-colonialisme. Depuis, ce « circuit de bons services et de complicité » (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme) n’a cessé d’être renouvelé. Sa réalité néolibérale n’est pas à considérer, stricto sensu, comme une phase ou un processus de recolonisation de l’Afrique, sinon en mutilant la réalité, néocoloniale en fait, au-delà de la conception initiale du néocolonialisme par Nkrumah, ayant négligé la part autochtone du bloc néocolonial. Certes, l’impérialisme demeure, métamorphosé, mais les États africains sont formellement indépendants, avec, malgré tout, une autonomie relative des classes dirigeantes locales, des classes dominantes locales, fractions autochtones de la classe capitaliste incluses – dont les rapports aux classes dominées sont, comme partout ailleurs, aussi relativement déterminés par les particularités (des rapports ethniques/raciaux, confessionnels, des “traditions”, etc.) de chaque formation social-historique ou pays. Fractions locales de la classe dominante, pouvant être caractérisées certes comme dominées par le capital extra-africain, mais dont, par exemple, la part des investissements (du capital africain), selon l’Africa CEO Forum, était passée de 8 % des investissements en Afrique en 2007 à 23 % en 2013 (elle a légèrement baissé en 2015-2016, selon l’Africa-To-Africa-Investment. A First Look, BAD, 2018) et se classait comme le deuxième producteur d’emplois en Afrique. Autrement dit, c’était le deuxième exploiteur de la force de travail d’autres Africain·e·s (malgré la faiblesse numérique du travail salarié dans la plupart des sociétés africaines, comparativement aux sociétés capitalistes du centre traditionnel et de la semi-périphérie) ou deuxième extorqueur de la plus-value (l’Afrique étant le lieu d’un particulier retour sur investissement). L’importance de cette extorsion s’illustre par la visibilité, en ce 21e siècle, des millionnaires et milliardaires africain·e·s, qu’une certaine presse panafricaniste érige en fiertés pour l’Afrique, dans un oubli des clivages sociaux énormes qu’elle manifeste, ou plutôt en les minimisant, jetant ainsi comme une sorte de voile affectif sur l’exploitation. Pourtant les motivations de ces supposées fiertés africaines sont fondamentalement les mêmes que celles du capital impérialiste, des capitaux provenant d’ailleurs. En dépit de certains aspects de différenciation, historique, pouvant aller jusqu’à des situations de tension, de relative conflictualité entre ceux-ci et certains secteurs des fractions autochtones de la classe, favorisant ainsi l’expression d’une sorte de nationalisme bourgeois post-colonial, tardif. Comme le soutenait, dans un langage trop rare au sein des classes dirigeantes africaines, l’alors gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Sanusi Lamido Sanusi (président du conseil d’administration de Black Rhino, filiale africaine du fonds d’investissement rapace Blackstone, et brièvement émir Muhammadu Sanusi II de l’État fédéré de Kano, 2014-2020) à propos du « buharisme » (la première présidence, par putsch militaire, de l’actuel président nigérian, Muhammadu Buhari, 1983-1985) : « Buharism therefore was a crisis in the dominant class, a fracturing of its members into a patriotic, nationalist group and a dependant, parasitic and corrupt one. It was not a struggle between classes but within the same class. A victory for Buharism would be a victory for the more progressive elements of the national bourgeoisie. Unfortunately the fifth columnists within the military establishment were allied to the backward and retrogressive elements and succeeded in defeating Buharism before it took firm root [23] ». Tension ou conflictualité relative, entre cette supposée bourgeoisie nationale et le capital impérialiste, qui n’était pas particulièrement manifeste au moment où Nkrumah publiait Le néocolonialisme, dernier stade de l’impérialisme (1965). Toutefois, l’impérialisme et les classes dirigeantes locales sont, par principe et dans les faits, généralement solidaires contre les intérêts des classes populaires, au niveau local/national, comme au niveau régional/continental.

Vu qu’il n’y a plus d’« Afrique traditionnelle » échappant à la structuration des sociétés africaines par le capital, par l’argent, ou hostile à l’accumulation des marchandises et autres symboles de la “modernité” [24] – à l’instar des véhicules 4x4 et limousines rutilantes, voire la Rolls Royce d’Ado Abdullahi Bayero, prédécesseur sur le trône de Kano (1963-2014) de Muhammadu Sanusi II (Sanusi Lamido Sanusi) –, ces « forces réactionnaires » ne peuvent être que les fractions africaines du bloc néocolonial. Celles qui tiennent les commandes politiques (et leurs rivales dites oppositions, attendant leur tour de gestion généralement prédatrice), ainsi que celles qui constituent la fraction autochtone/indigène de la classe dominante partout en Afrique [25], organisant (avec le soutien de l’Union européenne, de la Chine en nouvelle puissance capitaliste, des fondations philanthropiques du grand capital, états-unien par exemple, etc.) l’intégration africaine en cours. Et dont l’accélération est néanmoins souhaitée par le Grila. Intégration néolibérale qui n’en est pas moins une certaine continuation du panafricanisme néocolonial, des États post-coloniaux fondateurs de l’OUA, pour lesquels l’émancipation des classes populaires africaines n’était pas une préoccupation, sinon pour en réprimer les velléités. Ainsi, pour être conséquente, l’Afrique – dont la nature capitaliste post-coloniale est souvent oubliée dans le monde académique, y compris africain [26] – étant non seulement sous l’emprise du capital étranger, mais aussi de capitalistes africain·e·s, complices et concurrent·e·s en même temps, la « repolitisation démocratique des masses panafricaines », ne devrait-elle pas être conscientisation non seulement contre l’impérialisme, mais en même temps, contre l’afrocapitalisme/l’afrolibéralisme (dont certaines des figures descendent même biologiquement des tenants du petit capital indigène de l’époque coloniale ou des débuts du néocolonialisme) ? L’africanité de ce capital ne change pas la nature exploiteuse, opprimante du capitalisme, néolibéralement ajustée en l’occurrence – à travers par exemple, la mise à jour des législations, réglementations, lesdites réformes régulièrement évaluées par le rapport Doing Business de la Banque mondiale et qui ne sont jamais, dans les faits, favorables à la force de travail exploitée. Pour les capitalistes africain·e·s aussi, les profits valent plus que des millions de vies humaines, celles qu’elles/ils exploitent pouvant toujours être remplacées par d’autres, de l’ « armée industrielle de réserve ».

Comme l’illustre assez bien, en ce temps de pandémie de la Covid-19, le champion des capitalistes africains : « Whereas public offices are shut, Dangote workers, for example, are exempted from the lock-down and the workers are angry that adequate protection is not being made available for their health [27] ». Le profit attendu vaut bien plus que la santé de ses salarié·e·s. Même si, selon une certaine tradition de compassion parmi les capitalistes, il s’exhibe en même temps comme philanthrope, en contribuant financièrement à la lutte contre la pandémie – de la redistribution spectaculaire, pouvant être fiscalement intéressée, d’une infime partie de la plus-value extorquée à ses employé·e·s produisant sa richesse. Mais, en l’occurrence, il a été relevé que le plus riche des “Afrochampions” a été « the smallest donor, excluding those that didn’t bother at all » parmi les plus riches africain·e·s, avec 3,1 million de dollars, très en deçà des 55 millions chacun, offerts par des moins riches que lui (Nicky Oppenheimer & famille – 4e rang des milliardaires africain·e·s –, Johann Rupert & Famille – 5e rang –, Patrice Motsepe – 10e rang), des 33 millions de dollars de Issad Rebrab (6e fortune africaine, ayant, après cette “générosité”, « licencié abusivement trois syndicalistes et sanctionné plusieurs travailleurs pour avoir participé à la création régulière d’une section syndicale [28] », dans un groupe transnational, Cevital, aux très longues journées de travail pour des salaires de misère et dans des conditions d’insécurité sanitaire en pleine pandémie de Covid-19). Le total de la contribution des huit premières fortunes africaines est de 212 millions de dollars, comparés aux 80 millions offerts par le milliardaire chinois Jack Ma (17e fortune mondiale, dont l’entreprise de commerce en ligne, Alibaba, s’est lancée à partir de 2018 à la conquête du marché africain) et 40 millions du milliardaire et politicien états-unien Michael Bloomberg (16e fortune mondiale, Bloomberg LP est un acteur financier en Afrique, partenaire de la BAD, par exemple) [29]. Autrement dit, ces deux derniers (plus riches, certes) s’avèrent plus “généreux” en Afrique, plus compatissants que leurs collègues de classe sociale africain·e·s – rappelons que cet argent aussi est une part du profit tiré de l’exploitation de leurs travailleurs/travailleuses, même s’il ne s’agit pas d’africain·e·s, le don philanthropique pouvant aussi être déductible fiscalement – et en particulier le plus riche d’entre elles/eux qui “pouvait mieux faire”, au nom de la “solidarité africaine”. En attendant de passer à la construction de sociétés où n’existeront plus les facteurs de la philanthropie.
Covid-19 et offensive néolibérale

De ces « forces réactionnaires », il n’y a pas à attendre quelque “temps d’après”, post-pandémique, qui serait substantiellement différent de celui d’avant la pandémie. Celle-ci n’a pas un pouvoir de transformation substantielle des valeurs des classes dirigeantes, en Afrique comme partout ailleurs. Par exemple, les occasionnelles envolées pro-État providence de tel chef d’État européen – par ailleurs supposé partisan de l’annulation de la dette africaine –, au plus fort de la crise sanitaire, face aux défaillances évidentes du système local de santé publique, s’avèrent en cette période post-confinement (sous la pandémie persistante) comme relevant d’un opportunisme éphémère ou plutôt de la démagogie. Le “temps d’après” – dans trois mois, dans un an … – ne fera que reproduire, concernant l’orientation économique, celui d’avant la pandémie. Déjà, au nom du « suprématisme du secteur privé » (celui-ci ne se privant pas toutefois de faire la manche auprès des trésors publics en période de crise, « L’État est l’assurance-vie des marchés », a-t-il été rappelé [30]) partagé par les capitalistes et consorts, ainsi que par les États africains, certains de ceux-ci, ont, comme ailleurs, annoncé l’apport d’une aide financière au capital privé local, pour la « relance » post-État d’urgence sanitaire, post-confinement, plutôt que pour quelque réorientation structurelle, de l’économie (une promesse de consolidation des inégalités induite par le renforcement dudit suprématisme). Fidèle à lui-même, malgré l’évocation devenue rituelle de la « croissance inclusive » le FMI en fait même une conditionnalité pour l’octroi de l’“aide” sollicitée par les États africains afin de lutter contre la pandémie et ses conséquences. Par exemple, Tito Mboweni (passé par Goldman Sachs), le ministre des Finances de la première économie africaine, la très socialement inégalitaire Afrique du Sud (dont le président multimillionnaire, Cyril Ramaphosa, co-pilote actuellement l’intégration africaine, en tant que président en exercice de l’Union Africaine) a annoncé sans fard la pratique, à venir, de la « Shock Doctrine [31] » : « Most importantly, the crisis is an important opportunity for government to implement structural reforms to : restructure the network industries ; liberate SMMEs to be the engines of growth and employment ; and broad-based measures to lower the cost of doing business [32] ». Par contre, rien n’est sérieusement annoncé en faveur des classes populaires, dont les secteurs les plus défavorisés ont souvent été oubliés, même dans les cas de confinement. Bien au contraire, malgré les postures de sensibilité à l’égard de la situation critique du social populaire affichées par certaines institutions multilatérales, la recommandation du FMI, par exemple, – aux États obtenant des prêts du FMI pour lutter contre les conséquences économico-sociales très importantes (« monumentales » selon Kristina Georgieva, la directrice générale du FMI, avril 2020) de la Covid-19 – à poursuivre, dans l’après-Covid-19, les « mesures et réformes structurelles », dont celles énoncées par le ministre sud-africain, une partie de ces classes sociales populaires va continuer à en faire les frais, alors que le confinement a rappelé partout le caractère essentiel de la force de travail d’ordinaire méprisée. Des frais qui seront très élevés, très probablement. En Tunisie, par exemple, l’emprunt « engage […] ce gouvernement, sitôt la crise dépassée, à poursuivre les politiques d’austérité et en premier lieu la réduction de la masse salariale dans le secteur public, c’est-à-dire dans le domaine des services sociaux, y compris la santé [33] ». Ce qui est aussi pressenti pour l’après-Covid-19 en Afrique du Sud, où le gouvernement de Cyril Ramaphosa vient, à son tour, d’obtenir un prêt important du FMI : « using the treasury’s estimate of the public sector average wage sector, more than 300 000 public sector workers will have to be fired by 2023 [34] ».

À Maurice, situé à l’avant-garde du capitalisme en Afrique, le gouvernement – surfant sans doute sur la vague du contrôle local de la pandémie (deux semaines alors sans un seul nouveau cas, un nouveau cas à la mi-août), tout en maintenant alors néanmoins le couvre-feu, la fermeture des classes, etc. – a fait adopter, avec célérité, à la mi-mai, la Covid-19 (Miscellaneous Provisions) Bill. Une attaque en règle contre les acquis des travailleurs/travailleuses salarié·e·s, considérée par un dirigeant syndical et politique (Ashok Subron) comme la « plus grande insulte faite à l’égard des travailleurs depuis l’indépendance » [35]. En précisant par la suite qu’« It undermines the right of the working class to be protected against abusive termination of employment for economic reasons, and to the gratuity to be paid in case termination of employment, as well as undermines the right of workers to be guaranteed a not less favorable work condition, in case of a transfer of ownership of companies. It enables companies to easily terminates the employment of workers after having received public funds from government […] It forces ‘work from home’, in very unfavorable conditions, whereby minimal working conditions under law can be derogated. It also undermines the recently won right of parents-workers to request ‘flextime work’ to cater for an underage child or a child with impairment. [36] ». Ce qui confirme que la Covid-19 – du fait de l’état d’urgence sanitaire, du confinement qu’elle a impliqués – est une opportunité saisie pour le patronat de partout non seulement pour être aidée financièrement par l’État – voire par le proto-État communautaire dans le cas de l’Union européenne – au nom de la « relance économique », mais aussi pour obtenir des gouvernants l’imposition de la flexibilité, de sa transformation enfin en norme, là où elle ne l’était pas encore, ou était considérée comme insuffisante. Une exhibition de la nature capitaliste de l’État, de la « shock doctrine » à laquelle vont généralement se prêter les cliques gouvernantes africaines. Comme si elles se sentaient coupables d’avoir pris, de prendre (la pandémie étant encore très dynamique) des mesures protégeant de la circulation du SRAS-CoV-2 la vie de la population, aux dépens, relativement, de la vie du Capital. Avec le ministre sud-africain des Finances (ci-dessus cité), adepte du culte de la croissance, du néolibéralisme, plusieurs voix au sein de l’“élite” africaine parlent en termes de moment propice pour le changement économique [37], sans « changer de base », évidemment. Autrement dit, il s’agit de rendre, pendant la pandémie déjà, l’Afrique plus capitaliste, plus néolibérale et plus rapidement qu’avant la Covid-19. Avec pour conséquences logiques, beaucoup plus d’inégalités et injustices sociales [38], plus d’agressions écocidaires nuisant évidemment à la santé (cf. définition par l’OMS) surtout des exploité·e·s et opprimé·e·s, qu’elles espèrent conjurer par l’invocation de la « croissance inclusive », de la « croissance durable », des « énergies renouvelables » (pour perpétuer le productivisme), etc.

Selon, par exemple, la secrétaire générale de l’association patronale panafricaine, BUSINESS Africa/Organisation internationale des Employeurs, déjà citée, cette accélération se réalisera grâce, entre autres, à cet autre fétiche de la sorcellerie capitaliste qu’est la numérisation/digitalisation (une mise à jour du déterminisme technologique) dont les géants mondiaux du secteur peuvent remercier la Covid-19 d’avoir, du fait du confinement, contribué à la promouvoir davantage. Elle est appelée à s’étendre partout en Afrique, du papotage téléphonique à la “modernisation de l’agriculture”, en passant par le transfert d’argent (initié et contrôlé au Kenya par une transnationale de l’ancienne puissance coloniale, à partir d’un projet du gouvernemental Département du développement international du Royaume-Uni, DFID [39]), la scolarisation, prétendument pour booster le développement, favoriser l’“émergence” de l’Afrique. D’autant plus qu’il y aurait même, selon Achille Mbembe (apparemment tombé sous le charme du culturalisme négro-africaniste, qu’il a longtemps critiqué, mais qui paraît bien coté sur le marché de l’exotisme intellectuel postmoderne), des affinités entre les technologies numériques et les traditions africaines [40]. Et que, par ailleurs, la numérisation est au cœur de la quatrième révolution industrielle, annoncée comme un incomparable progrès – alors qu’elle promet plutôt d’être une production d’innovations (terme qui est censé non discrédité, à la différence de “progrès”) certes rentables pour le capital mais souvent superfétatoires (inutiles socialement et écologiquement parlant [41]), voire dangereuses (en matière de libertés, par exemple) – que l’économie africaine devrait [42], selon des dévôt·e·s africain·e·s du capitalisme, à défaut de l’aborder de plain-pied que les autres économies, ne pas manquer : « As a continent that continues to be impacted by historically low levels of development, Africa can and must take advantage of technological advances to industrialize, pursue inclusive growth, and attract investment » selon Cyril Ramaphosa [43]. Alors que même le président fondateur du Forum de Davos, Klaus Schwab, reconnaît, en usant d’un conditionnel que l’on dirait émoussant, qu’en même temps qu’elle « ouvrira de nouveaux marchés et stimulera la croissance économique », elle ne manquera pas d’aggraver la dynamique inégalitaire du capitalisme : ladite « révolution pourrait perturber les marchés du travail et ainsi renforcer les inégalités […] Cela accroîtra encore la ségrégation du marché du travail entre un segment “qualification et rémunération faibles” et un segment “compétences et salaires élevés”, ce qui intensifiera les tensions sociales. Non seulement l’inégalité est une préoccupation économique importante, mais c’est également l’inquiétude sociétale majeure associée à la Quatrième révolution industrielle [44] ». Autrement dit, l’Afrique de la quatrième révolution industrielle sera plus inégalitaire, plus injuste socialement. Aussi plus écocidaire, car il faudra bien accroître l’extraction des matières premières pour la fabrication des nouveaux produits/nouvelles marchandises. Alors que, plutôt que de vouloir se mettre au diapason de ladite révolution, du point de vue écologique « le “retard numérique” de l’Afrique pourrait justement constituer sa chance […] Plus un pays ou une région ont été loin dans un type de développement numérique donné, plus il leur est difficile et coûteux d’en sortir, un phénomène que les spécialistes qualifient de “dépendance au sentier” (path dependency). À l’inverse, il est donc encore temps pour l’Afrique d’éviter beaucoup des erreurs qui ont été commises ailleurs en matière de développement numérique, mais à condition d’agir vite et de s’en donner les moyens, y compris politiques et réglementaires [45] ». Autrement dit, ne pas faire dépendre de la numérisation, malgré tout, l’organisation de sociétés que l’on pourra dire du “bien vivre” commun, c’est-à-dire d’égalité et de justice sociale et environnementale. Un grand défi à relever, en ces temps-ci de déterminisme technologique, évidemment motivé par l’avidité capitaliste, principalement des mastodontes du numérique.

La période de pandémie, n’est pas, heureusement, que celle de l’expression de ces « forces réactionnaires » et intellectuel·le·s réputé·e·s qui les accompagnent plus ou moins. En effet, sans bénéficier d’aussi importants relais médiatiques que celles et ceux-là, d’autres collectifs se sont aussi déjà exprimés, dans une perspective opposée, contraire, par exemple, en rappelant que « La logique de la réduction de la nature et de ses êtres à des biens à exploiter pour le profit est […] au cœur même de la pandémie Covid-19, la même logique qui est à l’origine de la crise climatique mondiale [celle du] capitalisme patriarcal et extractiviste […] Les femmes de la classe ouvrière et les paysannes d’Afrique portent le fardeau de toutes les crises », en affirmant que « Les établissements de santé privé devraient être nationalisés et leurs services mis à la disposition de tous les citoyens », « L’Afrique doit renforcer sa propre capacité […] à produire des médicaments et des équipement sur son territoire pour ses habitants, dans le cadre de la propriété publique et non de la cupidité privée, fondé sur le principe de la souveraineté des peuples » ; en appelant à « la mise en œuvre de mesures économiques, sociales et environnementales qui se fondent sur les besoins fondamentaux de la classe ouvrière, des petits producteurs et des couches marginalisées en général », à « rompre avec la mondialisation capitaliste et le néolibéralisme », en réaffirmant que « le rôle des syndicats est important […] leur force est nécessaire pour imposer une alternative au système actuel », « les travailleurs et les pauvres sont des laissés-pour-compte. Ils n’ont pas d’autre alternative que de s’organiser pour le renversement de cet ordre social et son remplacement par une société débarrassée de l’exploitation capitaliste » [46]. Une nécessité, optionnelle – comme préciserait Daniel Bensaïd –, qui dépend aussi d’un enrichissement permanent de la compréhension, largement partagée, de cette civilisation capitaliste, de ses mécanismes, des nocivités envoûtantes qu’elle produit – Nkrumah parlait dans Le Consciencisme du néocolonialisme en termes de « sirène, un monstre qui attire ses victimes par une douce musique » –, des imbrications de l’exploitation et des différentes oppressions, de sa dynamique dans chaque société, chaque région, chaque aspect de la vie et globalement. Sans oublier les leçons à tirer aussi bien des soulèvements populaires, des luttes sociales qui ont eu lieu en Afrique, surtout celles de 2011 à 2019, de la Tunisie au Soudan en passant par le Burkina Faso [47], que des luttes pour l’émancipation menées par des exploité·e·s, des opprimé·e·s partout sur cette terre (dont l’unité humaine est aussi rappelée par cette pandémie) que nous avons en partage avec la très riche diversité du vivant, et dont peut encore être sauvée la joliesse.

1er septembre 2020

Merci à Milan Rivié pour ses observations.

Afrique : Covid-19, « élites », dette, capitalisme et le « temps d’après » (1/3)
Afrique : Covid-19, « élites », dette, capitalisme et le « temps d’après » (2/3)
Afrique : Covid-19, « élites », dette, capitalisme et le « temps d’après » (3/3)

Notes

[1] Kako Nubukpo et Demba Moussa Dembélé sont aussi signataires de cet appel-ci. Mamadou Gazibo, l’un des auteurs de l’Index de l’émergence en Afrique 2017, est aussi signataire de cet appel commençant pourtant par la critique du bavardage sur ladite émergence. On dirait qu’il s’agit d’une position auto-critique.

[2] Wole Soyinka et alii, « Aux dirigeants du continent africain : face au Covid-19, il est temps d’agir », Mediapart, 13 avril 2020, https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/130420/aux-dirigeants-du-continent-africain-face-au-covid-19-il-est-temps-dagir

[3] Il est souvent oublié que Nkrumah s’en était détourné après le putsch de 1966, cf., K. Nkrumah, « African Socialism revisited » (1967), Paper read at the Africa Seminar held in Cairo at the invitation of the two organs At-Talia and Problems of Peace and Socialism, https://www.marxists.org/subject/africa/nkrumah/1967/african-socialism-revisited.htm ; K. Nkrumah, La lutte des classes en Afrique, Paris, Présence Africaine, 1972 [Londres, Panaf Books Ltd, 1970 ; traduit de l’anglais par Marie-Aïda Bah Diop].

[4] Wole Soyinka (RFI - Invité Afrique), « Covid-19 : le prix Nobel Wole Soyinka cosigne une lettre ouverte aux gouvernants africains », RFI, 29 avril 2020, http://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200429-wole-soyinka-lettre-ouverte-gouvernants-africains-covid-19. Il y a, par ailleurs, au cours de cet entretien, un propos de Wole Soyinka d’une particulière naïveté sur l’histoire des États-Unis d’Amérique (voire sur l’histoire de l’humanité), au cas où ce ne serait pas par légèreté volontaire : « Je me demande parfois : Trump est-il vraiment un être humain ? Est-ce qu’il fait partie de votre humanité et de la mienne ? Cet homme, je ne sais de quelle planète il vient ». À la lumière de l’histoire des États-Unis d’Amérique, non pas à partir du récit narcissique de cet État, Trump n’est-il pas plutôt à considérer comme une expression concentrée des tares de l’establishment états-unien, du racisme à l’arrogance impérialiste, en passant par la phallocratie, le culte du profit économique ? Apparemment, Soyinka s’y trouvait bien avant l’élection de Trump.

[5] Extrait d’un propos de Cabral aux guérilleros, au village de Maké en 1966, rapporté par Gérard Chaliand, Lutte armée en Afrique, Paris, François Maspero, 1967, p. 49.

[6] De l’Afrique du Sud, Patrick Bond rappelle que « the labor movement is now considered (by corporate elites) to be the world’s third most militant (although its political division are profound) », P. Bond, « Covid-19 Attacks the Down-and-Out in Ultra-Unequal South Africa », Counterpunch, April 3, 2020, https://www.counterpunch.org/2020/04/03/covid-19-attacks-the-down-and-out-in-ultra-unequal-south-africa/.

[7] Amir Ben Yahmed, « Pour un capitalisme africain au profit de tous », Jeune Afrique, 2 mars 2020, https://www.jeuneafrique.com/904427/. L’article semble devenu inaccessible sur le site du journal, mais peut l’être sur les sites de Fraternité matin (https://www.fratmat.info/article/201818/économie/tribune--pour-un-capitalisme-africain-au-profit-de-tous) ou de Leaders (https://www.leaders.com.tn/article/29175/print).

[8] Chuck Collins, Omar Ocampo, Sophia Paslaski, Billionaire Bonanza 2020. Wealth Windfalls, Tumbling Taxes, ans Pandemic Profiteers, Institute for Policy Studies, April 23, 2020, p. 10 ; https://ips-dc.org/ et http://inequality.org/.

[9] Samuel Eto’o (RFI - Invité Afrique), « Samuel Eto’o : “Il faut un sursaut d’orgueil” en Afrique face au coronavirus », RFI, 4 mai 2020, http://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200504-samuel-etoo-il-faut-sursaut-dorgueil-en-afrique-face-coronavirus. En 2018, ce “panafricaniste” avait appelé à voter aux présidentielles pour « le candidat Paul Biya pour toutes ces choses qu’il m’a apportées dans ma vie, dans ma carrière et pour toutes ces choses que j’ai connues », Africanews, « Au Cameroun, Samuel Eto’o et Rigobert Song appellent à voter pour Paul Biya », 2 octobre 2018, https://fr.africanews.com/2018/10/02/au-cameroun-samuel-eto-o-et-rigobert-song-appellent-a-voter-pour-paul-biya/. Serait-ce la croyance en cet intérêt commun ou par ironie que le collectif féministe African Feminism (à ne pas confondre avec la récemment défunte revue Feminist Africa), apparemment critique du néolibéralisme, a exprimé la volonté de dialoguer avec la task force (à la liste de quatre indiquée en note plus haut, s’est ajouté Benkhalfa Abderrahmane, un ancien ministre algérien des Finances) tout acquise au capitalisme, même néolibéral, créée par Cyril Ramaphosa (« nous aimerions entamer une conversation avec vous. Nous voulons entendre vos réflexions et votre vision pour les pays africains, les économies africaines, la mobilisation des ressources et les peuples africains au-delà de la Covid-19. Nous aimerions avoir une audience avec vous pour en discuter davantage, notamment par le biais d’un webinaire », African Feminism, « Déclaration féministe sur la relance économique après la Covid-19 », https://africanfeminism.com/african-feminist-post-covid-19-economic-recovery-statement/) ?

[10] Kako Nubukpo, « Après le coronavirus, une autre Afrique est possible et ce n’est pas une utopie », Le Monde, 4 avril 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/04/apres-le-coronavirus-une-autre-afrique-est-possible-et-ce-n-est-pas-une-utopie_6035567_3212.html

[11] Une autre prise de position collective appelle les chefs d’État africains « à développer une stratégie continentale de résilience pour réduire au maximum les conséquences de la pandémie et de la récession économique globale sur les économies africaines. Cette stratégie devra s’appuyer sur des mécanismes déjà en place, comme le NEPAD … », Collectif RASA (Rapport alternatif sur l’Afrique), LEGS (Leadership, Éthique, Gouvernance et Stratégies pour l’Afrique) et alii, « Déclaration pour une réponse africaine souveraine à la pandémie du Covid-19 » (Dakar, 30 mars 2020), https://www.impact.sn/Declaration-pour-une-reponse-africaine-souveraine-a-la-pandemie-du-Covid-19_a19638.html. Les signataires qui expriment une certaine “fierté” (négro-)africaine ne savent peut-être pas que le NEPAD est, concernant les actions dites de développement, financée à 80 % par des agences de développement de quelques États d’Europe et la philanthropie (du capital transnational) occidentale. Cette déclaration est plus consacrée à réagir, avec un zeste de complotisme, au catastrophisme, comme l’exprime assez bien ce passage : « Nous interpellons les autorités des organisations internationales citées ci-dessus [ONU, OMS, sont aussi prises à partie : la France, le G20, la « communauté internationale »] sur la gravité de leurs déclarations péremptoires et interrogeons les fondements scientifiques de leurs prévisions qui ont plus l’air de plans machiavéliques sur le dos des Africains, voire des menaces voilées à leur endroit ». Sans les alarmes catastrophistes de l’OMS et de l’ONU, les États africains auraient-ils réagi de la même façon, avec la même efficacité qui leur est attribuée ?

[12] José Francisco Puello-Socarrás et María Angélica Gunturiz, « ¿ Social-neoliberalismo ? Organismos multilatérales, crisis global y programmas de transferencia monetaria condicionada », Política y Cultura, Automne 2013, n° 40, p. 29-54.

[13] Razmig Keucheyan, « “Leur écologie et la nôtre”, quarante ans après », Contretemps, 21 novembre 2016, https://www.contretemps.eu/read-offline/12518/

[14] Concernant le fardeau des femmes, cf. la déclaration du réseau WoMin (African women unite against destructive ressource extraction), « Covid-19 – Crise sur crise en Afrique : une perspective écoféministe », 8 avril 2020, https://womin.org.za/covid-19---crisis-upon-crisis-in-africa-an-ecofeminist-perspective.html ; Gavin van der Nest, op.cit.

[15] Jean-Christophe Servant « La ZLEC, un afrolibéralisme caché derrière le masque du panafricanisme », Le Monde Diplomatique, 16 mai 2019, https://blog.mondediplo.net/la-zlec-un-afroliberalisme-cache-derriere-le

[16] Kate Meagher, « Reflections of an Engaged Economist : An Interview with Thandika Mkandawire », Development and Change, 2019, vol. 50, n°2, (p. 511-541), p. 521.

[17] Daniel Bensaïd, Éloge de la résistance à l’air du temps, Paris, Textuel, 1999, p. 89.

[18] Ricardo Petrella, « La dépossession de l’État », Le Monde diplomatique, août 1999, p. 3.

[19] Roland Pfefferkorn, « Sur la notion d’égalité des chances », Revue des Sciences Sociales, 2002, n° 29, p. 130-135.

[20] Sophie Sensier, « La longue marche des femmes », Le Monde diplomatique, septembre 1995, p. 25.

[21] Josephine Ahikire, « African feminism in context : Reflections on the legitimation battles, victories and reversals », Feminist Africa, Issue 19, 2014, p. 7-23, http://www.feministafrica.org. Tout récemment une féministe, Adama Pouye, a ainsi défini le féminisme : « Pour moi, le féminisme est une revendication des droits de la femme, une aspiration vers l’équité. Equité au lieu d’égalité pour être plus juste. L’équité fera que dans tous les domaines (sic), on verra la femme au-delà de son genre, rien ne sera plus basé sur le sexe. Le féminisme est une dénonciation pour tendre vers une société plus juste et plus humaniste » (Maimouna Eliane Thior et Adama Pouye (propos recueillis par Rama Salla Dieng), « Féminisme, religion et culture au Sénégal », Seneplus, 22 mai 2020, https://www.seneplus.com/femmes/feminisme-re...). Néanmoins, elle parle par la suite d’ « égalité juridique », d’« égalité homme/femme »…

[22] Françoise Vergès (propos recueillis par Aboubacar Demba Cissoko), « Les femmes du Sud ne luttent pas pour un féminisme de 50/50 », legrenierdekibili, 30 janvier 2020, https://legrenierdekibili.wordpress.com/2019/01/30.

[23] Sanusi Lamido Sanusi, « BUHARISM : Economic Theory and Political Economy », July 2002, http://www.nigerdeltacongress.com/barticles/buharism.htm

[24] Au cours d’un colloque, à la fin du 20e siècle, la philosophe Aminata Diaw avait ainsi réagi, à juste titre, pendant le débat, aux propos des nationalistes culturalistes (negro-)africain·e·s : « Où est l’Afrique traditionnelle ? J’ai du mal à appréhender ce que certains appréhendent comme Afrique traditionnelle », « Minutes du colloque international État et Société civile en Afrique. Enracinements et Projections », Quest (Special issue), vol. XII, Number 1, june 1998, Actes du Colloque International Interdisciplinaire : État et Société civile en Afrique, Abidjan, 13/18 -7- 1998, p. 310, disponible sur http://quest-journal.net. Néanmoins ladite “Afrique traditionnelle” demeure une marchandise culturelle assez rentable pour maint·e·s intellectuel·le·s/universitaires africain·e·s, ainsi que pour des politicien·ne·s voulant justifier leur hostilité à l’égard des différentes revendications d’égalité concrète.

[25] Serait-elle comprise dans les « autres élites » mentionnées dans “Une nouvelle Afrique est possible” (« Les sociétés transnationales (STN), en collusion avec les gouvernements africains et d’autres élites, opérant en toute impunité et au mépris des populations et de la planète, sont parmi les principaux responsables des crises énergétiques, climatique, alimentaire et écologiques actuelles ») ?

[26] Horman Chitonge, « Capitalism in Africa : mutating capitalist relations and social formations », Review of African Political Economy, november 2017, https://doi.org/10.1080/03056244.2017.1372280

[27] Femi Aborisade, « Nigeria – the hunger virus and Covid-19 » /« Out of the Ruins and Rubble : Covid-19 and the fightback in Africa ». Ce n’est pas particulier à Dangote, car dans le rapport de l’Institute for Policy Studies, déjà cité plus haut, il est affirmé que « Despite Amazon’s e-commerce dominance, Bezos has been unable to protect his workforce from Covid-19 : Workers in 10 different Amazon warehouses tested positive for the disease in late March.31 Instead, in early April, Bezos announced a donation of $100 million of his $140 billion in wealth to Feeding America. » (p. 11).

[28] Comité de solidarité avec les travailleurs de Numilog (filiale de Cevital), « Pétition en soutien aux travailleurs licenciés de Numilog », 31 juillet 2020, https://www.bejaia06.com/bejaia-petition-en-soutien-aux-travailleurs-licencies-de-numilog. Ironiquement, il y a cinq ans, les travailleurs de Cevital s’étaient organisés pour « dénoncer “l’acharnement” contre Rebrab » par le gouvernement algérien (« Les travailleurs de Cevital s’organisent pour dénoncer “l’acharnement” contre Rebrab », TSA, 7 octobre 2015 ; http://www.tsa- algerie.com/20151007/les-travailleurs-de-cevital-sorganisent-pour-denoncer-lacharnement-contre-rebrab/). Maintenant qu’ils s’organisent pour la défense de leurs intérêts exclusifs, le même Rebrab les réprime.

[29] Funmi Adebayo Funmi (écrivain et ancien trader), « Thank you Jack Ma ! But where are Africa’s billionaires ? », The Africa Report, 13 juin 2020, https://www.theafricareport.com/29822/thank-you-jack-ma-but-where-are-africas-billionaires/

[30] Romaric Godin, « Emmanuel Macron, Saint Paul de l’État-providence », Mediapart.fr, 13 mars 2020, https://www.mediapart.fr/journal/france/130320/emmanuel-macron-saint-paul-de-l-etat-providence.

[31] Pour Naomi Klein, la « Shock Doctrine » (traduite en français par « stratégie du choc ») consiste à profiter d’une situation dramatique ou catastrophique pour réaliser un projet nocif qui ne passerait pas, sinon très difficilement, en temps ordinaire (La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, 2007, 2008).

[32] Le ministre sud-africain des Finances, Tito Mboweni, cité par Seán Muller, « South Africa’s one sided lockdown/coercing the poor, coddling the rich », Africa is a Country 17 april 2020, https://africasacountry.com/2020/04/south-africas-one-sided-lockdown-coercing-the-poor-coddling-the-rich. La secrétaire générale de l’association patronale panafricaine BUSINESS Africa/Organisation internationale des Employeurs a, par la suite, dit la même chose lors d’une rencontre virtuelle de l’Organisation international edu Travail : « As difficult as the situation night be, we must seize the opportunities that crisis offers and accelerate reforms in our continent », Jacqueline Mugo, Speech during the ILO African Regional Virtual Meeting : Covid-19 response In Africa : Building back Better, 2 july 2020 https://www.ilo.org/africa/WCMS_749780/lang--en/index.htm.

[33] Olfa Lamloum, « Tunisie. Une gestion sécuritaire du Covid-19 au détriment du droit à la santé », Orient XXI, https://orientxxi.info/magazine/en-tunisie-les-fragilites-sociales-et-sanitaires-assombrissent-l-horizon,3839

[34] Dick Forslund, « Tito needs the IMF, South Africa doesn’t », Mail & Guardian, 1st August 2020, https://mg.co.za/business/2020-08-01-tito-needs-the-imf-south-africa-doesnt/

[35] La Rédaction, « Covid-19 Bill : polémique à tous les étages », L’express, 13 mai 2020, https://www.lexpress.mu/article/376885/covid-19-bill-polemique-tous-etages.

[36] Extrait d’un résumé de ladite loi communiqué par Ashok Subron (syndicaliste et militant écosocialiste mauricien).

[37] Linguère Mously Mbaye (économiste supérieure de recherche à la Banque africaine de développement), « Crise et post-crise en Afrique : et si le changement était pour maintenant », La Tribune Afrique, 19 mai 2020, https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2020-05-19/crise-et-post-crise-en-afrique-et-si-le-changement-etait-pour-maintenant-847965.html ; Carlos Lopes (propos recueillis par Marie de Vergès), « En Afrique, “il n’y aura pas de meilleur moment pour accélérer le changement” », Le Monde, 26 mai 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/26/en-afrique-il-n-y-aura-pas-de-meilleur-moment-pour-accelerer-le-changement_6040841_3212.html

[38] Les régimes kenyan et sud-africain ne se sont pas privés de détruire des habitations informelles pendant le confinement – et en pleine saison de pluies au Kenya – évidemment, sans proposer aux pauvres qui y résidaient quelque solution de rechange.

[39] Milford Bateman, « The Dangerous Rise of the Digital Utopians Across Africa », roape.net, 14 september 2018, http://roape.net/2018/09/14/the-dangerous-rise-of-the-digital-utopians-across-africa/. Cf. aussi, Julia Verne, Julian Stenmanns, Stefan Ouma, « La connectivité, condition du développement pour l’Afrique ? », Alternatives Sud, n° 151 : « Impasses numériques », https://www.cetri.be/Impasses-numeriques

[40] Dans le chapitre 3 (« Animisme et viscéralité », p. 77-101) de son livre Brutalisme (début 2020), A. Mbembe affirme, par exemple : « les outils technologiques qui saturent nos existences deviennent des extensions de nous-mêmes et, à travers ce processus, d’autres relations sont créées entre les humains et les objets que les traditions africaines ont longtemps anticipées. En effet, dans les traditions africaines antiques, les êtres humains n’étaient jamais satisfaits d’être seulement des êtres humains. Ils étaient toujours en quête d’un supplément à leur humanité. Souvent, à leur humanité, ils ajoutaient des attributs d’animaux, de plantes et de divers autres étants. La modernité disqualifia de telles manières d’être et les confina à l’enfance de l’Homme ». La dernière phrase semble indiquer qu’il ne s’agissait pas d’une particularité africaine contrairement à ce que laissent penser les trois phrases précédentes.

[41] Un des arguments des partisan·e·s du déploiement de la technologie de cinquième génération (5G) est son utilité pour la télé-médecine. Mais leurs adversaires affirment par contre qu’ « Il n’y a pas besoin de 5G pour les communications machine-machine, ni pour la télémédecine, les réseaux existant suffisent », Collectif “Stop 5G”, « Arguments contre le déploiement de la “5G” », https://www.stop5g.ch/argumentaire-contre-la-5g

[42] En 2017, le Conseil économique social et environnemental du Maroc considérait que « l’industrie marocaine, malgré une forte progression du PIB industriel dans certains domaines (automobile, aéronautique, Offshoring) au cours de la décennie passée – grâce notamment aux stratégies sectorielles – est faiblement préparée à ce grand bouleversement induit par la quatrième révolution industrielle », Conseil Économique Social et Environnemental, Changement de paradigme pour une industrie dynamique au service d’un développement soutenu, inclusif et durable, Auto-Saisine, n°30/2017, p. 15, www.cese.ma

[43] Cyril Ramaphosa, « A national strategy for harnessing the Four Industrial Revolution : The case of South Africa », in chapter 5 of Foresight Africa 2020 : Capturing the Fourth Industrial Revolution. A Regional and national Agenda, Brookings Institution, january 2020, (p. 71-73), p. 72 ; Njunga Ndung’u (Executif Director, African Economic Research Consortium & Former Governor, Central Bank of Kenya), Landry Signé (Senior Fellow, Africa Growth Initiative, Brookings Institution & Chairman, Global Network for Africa’s Prosperity), « The Fourth Industrial Revolution and digitization will transform Africa into a global powerhouse », https://www.brookings.edu/research/the-fourth-industrial-revolution-and-digitization-will-transform-africa-into-a-global-powerhouse/

[44] Klaus Schwab, « La Quatrième révolution industrielle : ce qu’elle implique et comment y faire face », weforum.org, 27 octobre 2017, https://fr.weforum.org/agenda/2017/10/la-quatrieme-revolution-industrielle-ce-qu-elle-implique-et-comment-y-faire-face/

[45] Cédric Leterme, « La numérisation de l’Afrique face au dilemme écologique », CETRI, 29 juin 2020, https://www.cetri.be/La-numerisation-de-l-Afrique-face

[46] Il s’agit de citations tirées respectivement de : WoMin (African Women Unite Against Destructive Resource Extraction), « Covid-19 – Crise sur crise en Afrique : une perspective écoféministe », 8 avril 2020, https://womin.org.za/covid-19---crisis-upon-crisis-in-africa-an-ecofeminist-perspective.html ; idem ; Collectif africain pour la justice climatique, « Une nouvelle Afrique est possible », 14 mai 2020 http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53263 ; Collectif (une quarantaine d’organisations dont une trentaine d’Afrique du Nord), « Appel des peuples. Organisations, mouvements et réseaux militants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient/région arabe Pour l’annulation de la dette et l’abandon des accords de libre-échange », 20 mai 2020 www.cadtm.org/Appel-des-peuples-organisations-mouvements-et-reseaux-militants-d-Afrique-du ; Southern African Peoples’s Solidarity Network (SAPSN), « As Southern African Faces A socioeconomic Catastrophe We Must Break with Capitalist Globalization and Neoliberalism », http://www.sapsn.org/download/sapsn-statement-on-covid-19/ ; Thienta Mahamane (Syndicat des travailleurs du rail de l’Union nationale des travailleurs du Mali, SYTRAIL-UNTM), « Si le coronavirus ne nous tue pas, la faim aura raison de nous », Europe solidaire sans frontières, 7 mai 2020, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53203 ; Union Africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI-UCI), « Lutte contre le Covid-19 :des mesures surtout contre les classes populaires », 17 mai 2020, https://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/cote-d-ivoire/article/lutte-contre-le-covid-19-des-mesures-surtout-contre-les-classes-populaires.

[47] Cf., par exemple, Gilbert Achcar, Symptômes morbides. La rechute du soulèvement arabe, Paris, Actes Sud, 2017 [Londres, Saqi Books ; traduit de l’anglais par Julien Salingue] ; Hamza Hamouche, Extractivisme et Resistance en Afrique du Nord, Amsterdam, Transnational Institute, octobre 2019, https://www.tni.org/en/ExtractivismNorthAfrica?content_language=fr.
Auteur.e
Jean Nanga

est militant du CADTM en Afrique, il collabore régulièrement à la revue Inprecor.
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