Democracy Now, 14 juillet 2017
Traduction et organisation du texte : Alexandra Cyr
DN. Amy Goodman : L’acteur James Cromwell, nommé aux Oscars, se présentera à la prison du nord de l’État de New-York à 4 h cet après-midi. Il a reçu une sentence d’emprisonnement d’une semaine pour avoir pris part à une manifestation pacifique contre l’installation d’une centrale électrique au gaz. Il dit qu’il fera aussi une grève de la faim. Il fait partie d’un groupe de 6 militants-es arrêtés-es pour avoir entravé la circulation par un « sit-in » devant le chantier de construction de cette centrale de 650 mégawatts, à Wawayanda dans l’État de New-York, en décembre 2015. Ces militants-es expliquent que la construction de cette centrale va permettre le développement de l’extraction du gaz par fracturation dans les états adjacents et contribuera au réchauffement du climat.
James Cromwell est bien connu pour ses rôles dans environ 50 films hollywoodiens, nommé pour un Oscar pour son rôle dans Babe et dans de nombreuses séries télé dont Six Feet Under. Je l’ai reçu en entrevue jeudi ; il était en compagnie de Pramilla Malick, une autre militante également condamnée à la prison. Elle a fondé Protect Orange County, un groupe communautaire qui s’oppose à la fracturation. Elle a été candidate au Sénat de l’État de New-York en 2016. J’ai commencé par demander à J. Cromwell pourquoi il s’en allait en prison aujourd’hui.
James Cromwell : Nous sommes tous et toutes engagés-es dans une lutte, non seulement pour protéger un mode de vie, mais bien pour protéger la vie elle-même. Nos institutions sont en faillite et nos dirigeants-es sont complices. De plus, le public est fondamentalement désillusionné et désenchanté de tout cela. Il y a un lien direct entre le plan de Minisink….
A.G. : Où est-ce Minisink ?
J.C. : À Wawayanda dans le nord de l’État de New-York. (…) Ce n’est pas très loin de la frontière avec le New Jersey. Entre cette centrale et le Proche Orient. Nous ne sommes pas en guerre qu’avec l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan et le Yémen ; nous le sommes aussi avec Dimock en Pennsylvanie d’où vient le gaz, avec Wawayanda qui l’utilise, avec Seneca Lake où il est entreposé et avec Standing Rock. Et il est grand temps que nous nommions la maladie. La plupart des gens ne peuvent pas mettre le doigt sur la cause (de cette situation), mais chacun-e en perçoit la menace. Le capitalisme est un cancer. Et la seule manière de battre le cancer, c’est de transformer radicalement notre manière de vivre et de nous penser nous-mêmes. J’appelle cela la transformation radicale et révolutionnaire. C’est donc la révolution.
DN Nermeen Shaikh : Expliquez-nous donc pourquoi le capitalisme est le lien, la cause de l’intervention des États-Unis au Proche-Orient, de ce qui se passe dans le nord de l’État de New-York à Standing Rock etc….
J.C. : Cette centrale est construite par une compagnie dont le seul intérêt est de faire des profits. L’électricité qui y sera produite n’est pas nécessaire et la façon dont elle sera produite affectera négativement la communauté. Et celle-ci est importante parce que les effets pourront être ressentis jusqu’à New-York. Toutes les particules fines seront poussées par les vents jusqu’à la ville de New-York ; toute la population sera donc affectée.
Ce développement se fait au nom de notre indépendance énergétique. Nous voulons être indépendants du gaz et du pétrole du Moyen-Orient. Alors que les pays du Proche-Orient s’enlignent vers la démocratie, les gouvernements des États-Unis et de d’autres pays comme le Royaume-Uni et la France, tous de pouvoirs coloniaux, leur disent : « Non, non, non vous ne vous dirigerez pas vers la démocratie parce que si vous le faites, vous menacez notre énergie ». Ils corrompent donc outrageusement (les pouvoirs dans ces pays) à leur manière.
Et, au bout du compte, nous avons créé le groupe armé état islamique. Nous les Américains-es avons créé ce groupe dans le but de nous battre contre autre chose. C’est la même erreur que nous avons fait avec les moudjahidines en Afghanistan. Et qu’est-ce que ça veut dire : protéger nos intérêts investis ? Regardez M. Tillerson, il détient un demi-milliard de dollars de contrats avec les Russes. Et donc, il a…
A.G. : Lorsqu’il était PDG d’ExxonMobil.
J.C. : Quand il était PDG d’ExxonMobil, mais ces contrats existent toujours. Cela peut encore affecter la compagnie, aussitôt que l’interdiction (installée par les sanctions contre la Russie) sera levée. Je dis donc qu’il y a certains liens quand vous parlez d’énergie. L’énergie est nécessaire partout dans le monde, mais n’est produite que dans certains endroits sur la planète. Nous produisons maintenant de l’énergie en faisant exploser le sol pour capter le méthane qui est dommageable à la santé et nous l’expédions par des tuyaux. Toutefois, le but principal de cela n’est pas la centrale électrique, c’est pour l’expédier au Canada où il sera liquéfié, et ils feront ainsi 6 fois les profits qu’ils feraient s’il le vendait aux États-Unis.
A.G. : Permettez-moi de vous demander ce qui est arrivé il y a pratiquement 2 ans ? Vous entrez en prison aujourd’hui, mais l’action dans laquelle vous avez été impliqué a eu lieu en juin 2015. Dites-nous où vous êtes allé et ce que vous avez fait.
J.C. : Nous avons monté un piquet de protestation devant la centrale en construction depuis au moins deux ans et demi. À partir d’un certain moment, les automobilistes ont commencé à klaxonner pour nous appuyer. Nous avons …
A.G. : Et c’est une centrale…
J.C. : C’est une centrale utilisant du gaz extrait par fracturation, importé de Pennsylvanie.
(…)
Competitive Power Ventures construit la centrale.
(…)
Mais, Millennium Pipeline (…) est un autre propriétaire, mais également 3 grandes entreprises sont aussi : Mitsubishi, General Electric (GE) et Crédit suisse. Alors, qu’est-ce qui peut intéresser ces grandes multinationales dans cette centrale de taille moyenne, même si elle fait bien des dommages ? Cette centrale est la première d’une série de 300, c’est ce qui intéresse ces multinationales. Si la construction et la mise en service vont de l’avant avec cette centrale, rien n’empêchera la construction des autres. Nous pensons qu’il faut empêcher la construction de celle-ci pour stopper le développement de la filière de la fracturation et de ses effets sur l’environnement.
A.G. : Alors, qu’avez-vous fait ?
J.C. : Nous avons eu l’idée de nous enchaîner les uns les autres. Nous l’avons fait avec nos cadenas de bicyclette et nous avons bloqué l’entrée du chantier pendant 27 minutes selon la poursuite. Il semble bien que ni le juge ni la poursuite ne prennent en compte ce que ce plan représente ; cela ne fait aucune différence. Ce que nous voulons, c’est faire comprendre que même s’il ne s’agit que d’un cas particulier, il se passe la même chose partout dans le pays et dans le monde. On proteste aussi en Angleterre et il y a des manifestations partout dans le monde.
N.S. : Pramilla, pouvez-vous nous parler de cette centrale ? Comment en êtes-vous venue à participer à cette manifestation ? Quelle est la vocation de cette centrale et quel impact aura-t-elle sur la population selon vous si elle est effectivement construite (et mise en service) ?
Pramilla Malick : C’est une centrale de 650 mégawatts qui sera alimentée par du gaz naturel obtenu par fracturation. Il faudra de 100 à 150 puits pour l’alimenter à l’année. (Le gaz viendra de Pennsylvanie). Or, nous savons que là-bas, le taux de mortalité infantile est en augmentation et les cancers aussi. Les nappes d’eau souterraines sont contaminées. Les impacts sur la santé cheminent tout le long des infrastructures. Je vis près d’un puits. Nous avons déjà démontré les impacts sur la santé dans ma communauté, à Minisink : saignements de nez, maux de têtes, éruptions cutanées et des symptômes neurologiques.
A.G. : Ça vient de… ?
P.M. : L’exposition à une station de fracturation à Minisink et c’est une équipe de recherche scientifique qui en a fait la preuve. Cette technologie est relativement nouvelle et les gens ne font qu’en ressentir les débuts. Les scientifiques se démènent pour comprendre ce qui arrive, mais les communautés sur la ligne de front comme la nôtre le constatent et nous savons qu’il y a des impacts sur la santé.
A.G. : Donc, vous avez participé à la manifestation de juin 2015. Qu’y avez-vous fait exactement ?
P.M. : Je me suis enchainée avec J. Cromwell et Madeline Shaw.
A.G. : Qui est Madeline Shaw ?
P.M. : C’est une personne âgée qui vit dans notre communauté et elle a très peur. Elle pense que si cette centrale est construite, elle devra quitter sa maison. Elle y vit depuis 1949.
A.G. : James a mentionné Seneca Lake. Est-ce que les environnementalistes n’ont-ils pas réussi récemment à empêcher l’installation d’entrepôts là-bas ?
P.M. : Oui.
A.G. : Quel est le lien avec ce que vous essayez de stopper ?
P.M. : Ceux et celles qui étaient contre (ces installations) en étaient sensiblement au même stade que nous (récemment). L’action était traditionnelle, centrée sur du lobbying, des poursuites, des appels aux élus-es concernés-es, et ce, sans résultat et puis, la désobéissance civile. Je pense que c’est ce qui a mis suffisamment de pression sur la compagnie qui a fini par se retirer du projet. Vous approuvez par contre une centrale au gaz extrait par fracturation et je rappelle aux gens que c’est le cas, cette centrale a été autorisée par l’État de New-York, par notre unique gouverneur Cuomo, qui avait interdit la fracturation au nom des impacts sur la santé. Cette centrale a été approuvée même si elle dépendra de milliers de puits de fracturation au cours de sa vie utile et la construction va de l’avant malgré tout.
C’est un projet de milliards de dollars. Selon les scientifiques, il nous en coûtera 940 millions de dollars en soins de santé, en infrastructures et autres dépenses et fera augmenter nos émissions de gaz à effet de serre de 10 % pour la totalité du secteur électrique de l’État. C’est pour cette raison que nous nous sommes impliqués-es dans la désobéissance civile et avons subi un procès où nous avons pu faire témoigner des scientifiques.
A.M. : James Cromwell, vous auriez pu payer une amende tout simplement, mais vous avez choisi la prison. Combien de temps y serez-vous ? Et pourquoi faites-vous cela ?
J.C. : Nous allons purger une sentence de 7 jours. La direction de la prison a l’autorité de modifier notre séjour et il arrive qu’il y ait des remises pour bonne conduite. Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer. Je suis préparé à faire 7 jours. Je ne crois pas être à côté de la plaque et avoir un jugement simpliste. Je pense donc que faire de la prison devient une déclaration publique sur la progression de notre action. Il ne suffit pas de piqueter, manifester et signer des pétitions que personne n’écoute plus. La manière de susciter l’écoute est la désobéissance civile. C’est ce que Tim De Christopher a fait et ceux et celles de Standing Rock. Les personnes les plus visibles à Standing Rock étaient les personnes âgées. J’y étais. Je les ai entendu dire : « C’est un camp de prière ». Autrement dit, cela nous vient de notre pensée la plus profonde. Nous devons changer cette pensée. Nous devons changer notre rapport à la planète et aux peuples qui y vivent y compris ceux qui s’opposent à nous. Réfléchissez à cela à votre échelle. C’est la position que nous défendons. Il est temps d’intensifier la lutte. Il est temps de nous attaquer aux causes fondamentales de notre maladie.
A.G. : Je veux aussi vous demander de commenter l’attitude des personnes qui ont du mal à qualifier le capitalisme de cancer. (…) (Votre analyse) ressemble à ce que Adward Abbey dit : « La croissance pour la croissance, c’est l’idéologie de la cellule cancéreuse ». (…) Avec votre position environnementaliste, vous vous attaquez au capitalisme.
J.C. : Oui.
A.G. : Ce ne sont pas tous les environnementalistes qui ont cette position. Pouvez-vous commenter là-dessus ?
J.C. : Je ne peux pas parler au nom de la totalité des environnementalistes. Je pense que tous les enjeux qui nous embrouillent sont présents ici. Nous sommes dépositaires d’une culture mortifère. Par mortifère je veux dire que tout ce sur quoi elle repose y compris la langue que nous utilisons, c’est le marché. Tout est à vendre. Tout est transformé en marchandise. Et cela oblige toujours à amplifier les profits et à supprimer le travail pour y arriver. (On prétend) que nous devons supprimer le coût des matières premières, contrôler nos zones d’influence pour que la Chine ne s’empare pas de tout le pétrole iranien ou irakien. Donc, automatiquement, ce genre de pensée mène aux confrontations en cours en ce moment.
Si nous y regardons de plus près, si nous nous arrêtons à notre dépendance à cette énergie, à notre mode de vie que nous prenons pour acquis, (nous voyons) que d’une certaine manière nous sommes responsables. Si nous acceptons cette responsabilité, et ce n’est pas comme se blâmer, alors nous pouvons changer les choses en reconnaissant que ce que nous devons changer c’est notre rapport à la nature, aux autres êtres sensibles et à la planète. En ce moment, notre rapport avec ces éléments passe par le viol et l’accumulation. Ça ne doit pas continuer. Il y a un équilibre à avoir avec la nature et nous l’avons violé. Nous en avons la preuve en Antarctique en ce moment même. Et on peut l’observer partout dans le monde. La planète rétablit cet équilibre à nos dépends.
A.G. : C’étaient James Cromwell, acteur nominé aux Oscars et Pramilla Malik, qui vont entrer en prison pour avoir participé à une manifestation pacifique contre la construction d’une centrale électrique qui utilisera le gaz extrait par fracturation. Cette centrale est dans le comté d’Orange dans l’État de New-York.
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