Cette injonction à l’assimilation revient à traiter les musulmans comme s’ils étaient en dehors et qu’on se trouvait à un barrage frontalier, contrôlant l’accès à la France. Les gardes-frontières autoproclamés répètent, comme une incantation pour conjurer l’Autre : « À Rome, fais comme les Romains. »
Cette expression, dont l’usage circonstancié révèle un racisme confondant, comporte plusieurs prémisses qui posent problème : la première est : « Tu n’es pas romain. » Cette prémisse, s’agissant de personnes qui, comme nous l’avons démontré précédemment, partagent le plus souvent la même nationalité, font partie du même peuple, vivent dans le même pays, est non seulement exclusive, mais sociologiquement et historiquement fausse. Les personnes à qui cette injonction est adressée sont déjà romaines.
La deuxième prémisse est : « Les Romains ont raison. » C’est pourquoi il faut faire comme eux. Or on pourra postuler, s’agissant des Romains (comme des Gaulois, par ailleurs…) que : 1) ils ne sont pas un peuple homogène, en continuité d’actes et d’idées ; 2) comme n’importe quels êtres humains, ils ne sont ni infaillibles ni omniscients, sauf à être tombés dans une marmite de potion lors d’une (trop ?) joviale célébration nocturne. Par conséquent, les imiter invariablement sans garder une distance critique n’est ni respectueux envers ses concitoyens, les laissant à leurs errements possibles, ni envers soi-même, s’estimant illégitime à dire et faire ce que l’on croit être juste.
La troisième prémisse est : « Rome est historiquement figée et tu ne dois jamais la changer. » En effet, si à chaque fois qu’un (nouveau) Romain arrivait, on lui disait de faire et d’être exactement comme les précédents, nous aurions assisté à une longue chaîne de reproduction shadokesque et machinale, sans la moindre évolution sociologique et politique possible, soit à peu près la conception la plus rétrograde et la plus antidémocratique qu’il soit possible de définir. Or il n’y a pas plus haut degré d’attachement et d’amour sincère à l’égard de son pays, de sa terre et de son peuple que de marquer son désaccord, lorsqu’ils sont exposés à un péril, menacés de perdre leur discernement. C’est très précisément ce que font aujourd’hui des millions de citoyens, lorsqu’ils mettent en cause les dérives auxquelles nous assistons et que j’évoque au fil de ces pages, pour provoquer un sursaut de conscience et nous ramener à des causes communes, ancrées dans le réel et porteuses d’espoir pour demain.
On voit donc, à travers l’analyse de ces trois prémisses, que l’injonction d’assimilation, en plus d’être un non-sens sociologique et politique, est tout simplement préjudiciable non pas aux seules personnes à qui elle s’adresse, mais au pays dans son ensemble, en ce qu’elle le prive de la conscience critique et progressiste de ses citoyens.
Convenons alors d’une chose : il ne s’agit pas de s’autoflageller en tant que peuple ou de ne vivre que pour critiquer la France, mais de prendre acte de ce qui doit changer, tout en préservant ce qui nous rapproche et nous fait avancer, ensemble. En d’autres termes, je ne tourne pas la page de l’histoire, je la lis. Car, à mon sens, la grandeur d’un peuple n’est pas dans le déni de ses failles, mais dans sa capacité à les surmonter.
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