Édition du 17 septembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Laïcité

91% : construire l’interculturalisme solidaire

91% des personnes déléguées lors du dernier Conseil national (CN) de Québec solidaire (QS) ont voté pour que le parti s’oppose à toute interdiction du port de signes religieux pour les agent.es de l’État, y compris en position de pouvoir coercitif, à l’exception de quatre critères définis par notre programme depuis 2009 : prosélytisme, devoir de réserve, exercice de la fonction, normes de sécurité. Il faut le dire, ce raz-de-marée en faveur de « l’option B » a surpris tout le monde, y compris ses partisan.es. Des explications des plus loufoques ont été émises à propos de ce vote : la faute aux jeunes déconnectés ou trop idéalistes ; un parti noyauté par des idéologues (intersectionnel·le·s) ; la propagande multiculturaliste montréalo-centrée, et j’en passe… Évidemment, toutes ces explications de radio poubelle sont une insulte à l’intelligence des déléguées et des associations locales qui ont débattues sereinement, de manière informée et en toute indépendance.

Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que ce vote veut dire ?

D’abord, les tenant·e·s de l’option B se sont très bien organisé·e·s et ont mené une campagne presque parfaite ; nous avons eu, comme nos « adversaires », quelques dérapages. En même temps, comme le dit Bruno Latour à propos des gilets jaunes : « si on est bien ensemble mais qu’on évite les sujets qui fâchent, on ne fait plus de la politique » [1]. Les tenant·e·s de l’option A ont à mon sens péché par excès de confiance et ont tenu un argumentaire [2] tautologique, parsemé de bricolage juridique. Pire, ils/elles n’ont pas su répondre aux arguments [3] qui leur ont été opposés, et se sont ainsi enfermés dans un discours circulaire. Sur le plancher, ils se sont trouvés désunis : options A- (sans la présidence et la vice-présidence de l’AN), A+ (avec les agents de la DPJ), A++ (avec les enseignants). Bouchard-Taylor ou pas Bouchard-Taylor ? Quant au Collectif laïcité, il n’a même pas usé des statuts du parti pour tenter de ramener sur le plancher leur statutairement irrecevable option C, n’ayant ni le nombre de délégué.es ni le nombre d’associations suffisantes pour ce faire ; il préfère donc aujourd’hui crier au bâillonnement plutôt que d’admettre sa marginalité factuelle.

Plus profondément, le débat et le choix qu’on fait les militant·e·s solidaires s’articulent, en filigrane, sur la nature même du pays que nous souhaitons construire. Notamment parce que la fusion avec Option nationale (ON) a renforcé cette question au cœur de notre projet. Cette question nationale est donc en pleine réappropriation et redéfinition, spécialement par les militant·e·s néo-solidaires. Et s‘il est clair que QS souhaite une Nation québécoise souveraine, plurielle, écologiste, féministe, et inclusive, il nous reste à en (re)préciser les contours. Une première pierre a été posée le 30 mars 2019 : elle sera résolument antiraciste (« Lâchez-nous avec l’Islam ! ») [4].

La nouvelle question nationale : pas d’indépendance sans tous nos droits fondamentaux.

Lorsque l’on parle de droits fondamentaux – pas d’alliance électorale, pas de mandat de constituante ou de fusion entre partis politiques – on parle de la primauté du droit, un outil capital qui touche le cœur de la démocratie moderne et de notre pacte social. C’est extrêmement grave. Or, une partie de mes camarades et de nos député·e·s ont défendu des options qui consistaient tout bonnement à restreindre des droits fondamentaux. Pour des raisons idéelles : une version plus ou moins light mais tout autant anachronique et ethnocentrique de la laïcité française. Pour des raisons électoralistes : c’est-à-dire la pire pratique politicienne des vieux partis. Pour des raisons incantatoires d’apaisement : pourtant aucun exemple historique n’appuyait le raisonnement du « compromis honorable », bien au contraire.

Avant le vote, je me suis donc questionné : est-ce que ça voulait dire qu’à l’avenir, mes camarades, mon député, des député·e·s de mon parti, pourraient marchander d’autres droits fondamentaux pour les mêmes raisons ? Je vous avoue que j’avais peur pour l’avenir, si dans mon parti de gauche critique, la possibilité de remettre en cause des droits fondamentaux fut considérée légitime par une partie de ses membres et de son aile parlementaire. Si certain·e·s camarades s’arrogent le droit de hiérarchiser nos droits fondamentaux. Et même de considérer que certains n’en sont pas vraiment ! Quel type de camaraderie pouvions-nous construire avec nos membres issu·e·s des minorités et de la diversité, dont les droits fondamentaux sont une question de survie ?

Même si je me sens meurtri, je suis fier qu’au bout du compte, 91% de mes camarades aient affirmé sans détour que notre Charte québécoise – un des seuls véritables consensus historiques à la base de nos valeurs nationales – est non négociable. C’est par exemple parce que le droit à l’autodétermination des peuples est fondamental, que je me suis rallié, au-dessus de mon opinion personnelle et des petits calculs politiciens, au souverainisme solidaire, alors que j’abhorre a priori le nationalisme. QS a donc réaffirmé et renforcé à 91% un de ces principes fondateurs, l’inclusion. Car, si « les principes sont des attaches, des amarres ; quand on les rompt, on se libère, mais à la manière d’un gros ballon rempli d’hélium, et qui monte, monte, monte, donnant l’impression de s’élever vers le ciel, alors qu’il s’élève vers le néant » [5].

La nouvelle question nationale : construire une souveraineté véritablement inclusive, donc décolonisée.

Le parti québécois a longtemps eu le monopole de la question nationale. Depuis sa formation, QS a eu de la misère à briser l’hégémonie culturelle péquiste sur la souveraineté politique. La fusion avec ON a consolidé cette rupture hégémonique. Mieux encore, le travail narratif de Catherine Dorion et Sol Zanetti donne du corps et du sens à la souveraineté contemporaine que nous devons viser. Avec c’est deux-là, l’inclusion n’est plus un slogan. Et le prochain congrès de QS viendra parachever cette œuvre de salut public (je vais y revenir).

Or pour faire un pays, il faut certes briser le lien de subordination colonial avec l’État canadien multicuturaliste, comme on le sait depuis longtemps. Mais il s’agit aussi, comme l’ont si bien rappelés Catherine et Sol, de décoloniser les esprits, nos esprits. Notamment, les décoloniser du système de monarchie constitutionnelle anglicane, les décoloniser de la finance néolibérale, les décoloniser du pétrole et de la malbouffe, les décoloniser de la domination sur les peuples autochtones, et, c’est moi qui ajoute, les décoloniser de la rationalité eurocentrique [6].

Et c’est aussi là le sens du vote écrasant du 30 mars 2019 : nous décoloniser du laïcisme français.

La nouvelle question nationale : la souveraineté inclusive sera décoloniale ou ne sera pas

Les délégué·e·s ne s’y sont pas trompé·e·s. Le projet caquiste de loi 21 n’en est pas un de laïcité de l’État. Jonathan Durand Folco a raison de dire que « le combat [de la CAQ et du PQ] pour la laïcité est l’utopie compensatoire du projet d’émancipation nationale, qui faute de pouvoir passer à l’auto-détermination politique, se réfugie dans l’affirmation culturelle » [7]. Il est même particulièrement euphémistique, là où nous sommes plusieurs à y voir un combat néocolonial pour la suprématie culturelle de la majorité historique francophone, blanche et catholique dans un Québec pluriel qui s’est profondément transformé, comme notre parti.

Le vote unanime pour la création du Collectif antiraciste décolonial lors de ce CN, est la marque d’un renouvèlement idéologique important à QS, d’une soif de savoirs nouveaux, d’un désir d’intégration réussie de la pluralité progressiste et identitaire (néo)québécoise ; de l’incorporation de plus en plus concrète des « contre-publics minoritaires [8] », dont les identités sont meurtries quotidiennement et depuis longtemps.

Et c’est aussi là le sens du vote écrasant du 30 mars 2019 : un rééquilibrage contemporain entre le récit (post)traumatique anticlérical de la Révolution tranquille (vampirisé par la droite identitaire) et l’interculturalité pragmatique du fait religieux.

L’interculturalisme du XXIème siècle : repenser à nouveau l’équilibre entre majorité historique, peuples autochtones, et pluralité des identités (néo)québécoises.

Pour finir, je crois que le vote du 30 mars 2019 souligne le dépassement nécessaire de la fatalité épistémologique qui semble accabler la gauche québécoise, consistant à penser l’interculturalisme – notre distinction (inter)nationale – comme un compromis entre multiculturalisme et universalisme. Penser notre interculturalisme solidaire, qui peut être sui generis, est une étape réflexive obligée qui a trop attendue. Et justement un gros travail, et pas des moindres, nous attend pour enfin boucler notre programme sur des sujets hautement nationaux et interculturels. Lors du prochain congrès, nous allons devoir nous pencher sur des éléments cardinaux d’une Nation québécoise souveraine, plurielle, inclusive, féministe et écologique. Les questions de défense, de sécurité nationale et de protection du territoire nous obligeront à discuter de l’usage de la violence légitime, ce qui promet d’être mouvementé. Les questions d’économie, de fiscalité, d’écofiscalité, de langue et de culture connaitront aussi leurs lots de débats passionnés. Quant aux questions d’accès formel au processus indépendantiste, il risque d’être tout aussi enlevé. Aucune de ces questions ne pourront se poser sans y intersectionner nos principes fondateurs, l’autodétermination des peuples autochtones et les problématiques de racisme (systémique). Toutes ces questions devront être traitées avec en arrière-plan une interrogation primordiale : de quoi notre interculturalisme est-il le nom ?

Sébastien Barraud, MA anthropologie, éducateur, conseiller syndical, membre de QS Hochelaga-Maisonneuve


[5Amin Maalouf, Les Désorientés, 2012.

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