Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

2015 : l’année du CH ?

N’en déplaise aux amateurs de hockey, je ne fais pas ici référence à l’équipe jadis championne, mais au symbole du carbone et de l’hydrogène, les deux atomes définissant les hydrocarbures et qui les composent en majorité. Gaz naturel, pétrole et charbon sont des hydrocarbures, et ces sources fossiles comptent encore pour plus de 80% de l’énergie que l’on produit sur la planète. En 2015, une loi québécoise sur les hydrocarbures sera promulguée, mais une loi pour quoi ? Pour proscrire, pour réguler ou pour soutenir l’industrie des hydrocarbures ? Afin d’y répondre, revenons un peu sur les événements des derniers mois.

Le 23 juillet 2014, le gouvernement libéral adoptait le Règlement sur la protection de l’eau potable stipulant qu’une fracturation du substratum rocheux était permise si elle originait à plus de 400 mètres sous les nappes phréatiques. Rendu public en décembre, le rapport du BAPE sur les enjeux du gaz de schiste concluait que « le gouvernement devrait augmenter la distance verticale requise entre une opération de fracturation et la base d’un aquifère »[1]. Depuis l’adoption de ce règlement mélangeant eau et hydrocarbures, quelques scientifiques, des élus et de nombreux groupes citoyens ont fait moult représentations afin de le renforcer, mais le gouvernement n’a daigné bouger.

Suite à un arrêté du ministre Arcand en juin 2014 et à l’adoption du règlement sur l’eau potable, nous assistons depuis lors à la reprise des forages en Gaspésie et sur l’île d’Anticosti. Dans quel but ? Essentiellement, pour mieux évaluer les ressources en hydrocarbures et ainsi faire fructifier les avoirs des actionnaires des compagnies gazières et pétrolières. À court terme, on pourrait espérer que notre gouvernement, lui aussi actionnaire, s’en tire, mais à long terme, nos collectivités en sortiront-elles gagnantes ?... Les auteurs du même rapport du BAPE, s’appuyant sur les travaux du professeur Marc Durand et d’autres, affirmaient que « même avec la mise sur pied d’un fonds, financé par l’industrie, qui aurait pour objectif d’assurer l’entretien et la réparation des puits devenus orphelins, le risque que les puits fermés constituent un jour un passif environnemental pour le Québec est réel »[2].

Plus près de Trois-Rivières, toujours en 2014, certains se sont enfin rendu compte que le plus gros client potentiel de Gaz Métro, IFFCO, attendait toujours des garanties d’approvisionnement de gaz, de schiste ou non, et que le montage financier requis pour construire l’usine d’urée était ardu sinon chancelant. Mais si l’usine d’IFFCO représente à elle seule une augmentation de 20% de la consommation québécoise de gaz naturel, celle de son futur voisin, l’usine de liquéfaction Stolt, en représente 25%. Quant au projet d’Énergie Saguenay à La Baie, c’est trois fois la consommation québécoise ! On se retrouve ici dans les ligues majeures...

Mais peut-on comparer l’impact environnemental de ce dernier projet avec celui par exemple d’Oléoduc Énergie Est ? Il suffit pour cela d’estimer, sur une période de 100 ans par exemple, les émissions de GES de l’amont à l’aval. Un estimé grossier donne 1 gigatonne de carbone pour Énergie Saguenay et 6 gigatonnes pour l’Oléoduc Énergie Est. Sachant que l’atmosphère contient 830 gigatonnes de carbone, mais déjà 100 gigatonnes de trop, il est manifeste que ces projets insensés ne feront qu’augmenter l’effet de serre et aggraver le dérèglement du climat. Est-ce qu’une étude tiendra compte en 2015 des effets cumulatifs de ces projets à forte teneur en hydrocarbures ? Est-ce que la future politique énergétique du Québec prévue pour cet automne écartera vertement tous ces projets ?...

J’en doute, car si de nombreux citoyens sont prêts à décarboner l’économie, les tenants de l’économie conventionnelle – parfois éditorialistes, élus ; souvent présidents de chambre de commerce mais aussi hauts fonctionnaires de l’État – foncent dans le mur en appuyant sur l’accélérateur, prêts à sacrifier nos modes de vie pour quelques centaines d’emplois. Il faudra s’adapter, affirment certains, mais cela coûtera assurément une fortune et rien ne dit que nous réunirons les sommes requises. Rien ne se fera aussi sans heurts et douloureux sacrifices.

Selon moi, 2015 sera l’année de la grande bifurcation : choisirons-nous les hydrocarbures fossiles, extraction et transport indissolublement liés, ou la préservation du climat ?... Choisirons-nous la glace artificielle ou la glace naturelle ?... « Ne tuons pas la beauté du monde », m’apparaît un plaidoyer sans appel.

Marc Brullemans, biophysicien
Trois-Rivières, le 1er janvier 2015

Références

[1] BAPE (2014). Les enjeux liés à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans le shale d’Utica dans les basses-terres du Saint-Laurent, p. 383. http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/rapports/publications/bape307.pdf.

[2] Idem, p. 396.

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