Édition du 17 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Venezuela. Chavisme : le chant du cygne ?

Il y a 17 ans, le 6 décembre 1998, Hugo Chávez remporta les élections présidentielles au Venezuela à une majorité écrasante (56,2%). Le pays d’Amérique du Sud enterra le bipartisme [1] et mit un terme au cycle de cauchemars qui, succession de crise et d’ajustements structurels, ne semblait pas avoir de fin.

Tiré du site de À l’encontre.

Hier, le 6 décembre 2015, exactement 17 ans plus tard, Nicolás Maduro, successeur de Chávez à la présidence, a perdu le contrôle du pouvoir législatif qui passera aux mains de l’opposition [pour la législature 2016-2021]. Après avoir remporté 18 victoires lors de divers scrutins, celui-ci est la première défaite. A partir de maintenant, quoi qu’il arrive, il est possible que nous nous trouvions devant une autre fin de cycle. Mais une question se pose : s’agit-il du chant de cygne du chavisme ?

En premier lieu, souvenons-nous que ce sont là des élections législatives et non des présidentielles. Par conséquent, l’exécutif gouvernera jusqu’en 2019 [le régime est présidentiel].

La victoire sans précédent de l’opposition, avec plus de 100 députés [2], lui offre ce que l’on appelle une « majorité qualifiée » qui lui permettra, entre autres, d’approuver ou de rejeter toute loi, de soumettre à un vote de censure le vice-président et des ministres ainsi que de réaliser des réformes constitutionnelles, parmi d’autres attributions législatives.

Ensuite, en raison de la force dont l’opposition a fait la démonstration, la possibilité de convoquer un référendum révocatoire du président de la République (Nicolas Maduro) existe. Pour cela, ils devront toutefois recueillir les signatures de 20% des électeurs inscrits et dépasser, lors du référendum, les résultats atteints par Nicolás Maduro en 2013 [50,61% contre 49,12% pour Henrique Capriles de la MUD].

L’opposition ne détient pas encore le gouvernement, mais cette victoire laisse l’actuel gouvernement fort affaibli dans un contexte de crise économique, politique et sociale forte.

La grande question qui se pose est celle-ci : pourquoi, après tant de victoires, cette fois-ci le « chavisme » a-t-il perdu ? Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de se demander ce qu’a été et ce qu’est le chavisme.

A son origine, le chavisme reposait sur deux grands piliers :

1° Une réaction face aux recettes néolibérales et à la crise de légitimité du bipartisme qui n’apportait pas de solution aux problèmes des fortes inégalités sociales au sein d’une société vénézuélienne profondément fracturée.

2° Un projet politique qui, dès que Chávez entra sur la scène politique en 1992 [lors d’une tentative de coup d’Etat], était orienté sur le dépassement de la dépendance pétrolière et sur la perspective de surmonter l’épouvantable répartition de ses revenus.

Que c’est-il passé au cours de ces 17 années ? Voici quelques clés utiles pour une première analyse du jour qui suit une défaite.

Première clé : l’affrontement avec les Etats-Unis

Poser comme principe la répartition et le contrôle de la rente pétrolière a constitué pour le Venezuela une déclaration de guerre contre les Etats-Unis qui considèrent que toute réserve énergétique du monde (et, plus encore, celles de l’hémisphère occidental) comme une question relevant de la sécurité nationale. Cet affrontement s’est traduit par un chapelet d’interventions : médiatiques, économiques, politiques – directes et indirectes – du géant du Nord contre le Venezuela, y compris par le coup d’Etat infructueux d’avril 2002. Dix-sept ans plus tard, bien que le Venezuela ait diversifié ses acheteurs, il continue de dépendre de Washington [ses importations de pétrole en provenance du Venezuela sont passées d’environ 1500 barils par jour en 2005 à un peu moins de 800 en 2014 ; sans mentionner la dépendance technologique pour ce qui est des procédés de transformation d’un pétrole lourd, etc.].

Deuxième clé : la dépendance vis-à-vis du pétrole

Le chavisme n’a pas été en mesure de réduire sa dépendance rentière vis-à-vis du pétrole au cours de ces 17 ans [elle a, au contraire, augmenté : les produits pétroliers représentaient 68,78% des exportations en 1998 et 96,135 en 2012, voir Washington Post, 3 septembre 2014]. Il n’est parvenu ni à créer un tissu industriel, ni à relancer la production agricole, ni même à établir une économie de services moyennement compétitive. Bien qu’il soit arrivé à conserver un pourcentage bien plus élevé de la rente pétrolière dans le pays – suffisamment pour irriter différentes transnationales – il n’est pas parvenu à surpasser la dépendance pétrolière et subit les conséquences d’une économie rentière.

Tant que les prix du pétrole restèrent élevés, le chavisme a maintenu une répartition de la rente avec une forte dimension sociale, basée sur des programmes sociaux qui ont amélioré de manière effective les conditions sociales des secteurs les plus défavorisés. Il a réduit spectaculairement les niveaux alarmants de pauvreté et fourni un accès aux soins et à l’éducation gratuits pour tous les secteurs sociaux.

Au cours des dernières années, cependant, les Etats-Unis – qui restent dépendants des énergies fossiles – ont misé sur le fracking [micro-fissurer la roche pour extraire le gaz de schiste] et les pays producteurs de brut (Ararabie saoudite, entre autres) n’ont pas souhaité diminuer leur production, ce qui a provoqué une chute forte des prix pétroliers [qui sont passés de près de 150 dollars le baril en 2008 à moins de 50 actuellement], avec un effet dramatique pour l’économie vénézuélienne ainsi que pour la « durabilité » de son modèle social. C’est alors que le manque de produits de première nécessité, l’inefficacité, le clientélisme, la corruption et une politique sociale déstructurée et désorganisée ont commencé à éroder les succès du chavisme.

Troisième clé : échec face aux problèmes endémiques

Si l’on demande dans la rue quelle a été la raison de la défaite du chavisme lors de ces élections, la réponse est claire : le manque de produits, la hausse des prix [en octobre Maduro a annoncé une inflation autour de 80% pour fin 2015, d’autres estimations indiquent 210%], pénurie et insécurité. Cependant, ces problèmes, qui ont provoqué un mal-être croissant au sein de la population, mûrissent depuis des années. Ils sont le produit d’inerties structurelles que le chavisme a cru pouvoir conjurer uniquement en les évoquant, mais en étant incapable de les surmonter. Le gouvernement s’est défendu en affirmant qu’ils sont le produit de facteurs [sabotage, complots divers, etc.] qui font obstacle au « processus bolivariens » mais cet argument, à cette occasion, n’a pas été suffisant pour convaincre la majorité.

Quatrième clé : manque d’institutionnalité

Le chavisme a été incapable de créer une institutionnalisation qui permette d’ancrer les conquêtes sociales et la conception d’un nouveau modèle d’Etat qui maintienne de manière soutenable et efficace un système politique et économique orienté vers l’égalité et la justice sociale.

Cinquième clé : radicalisation de l’opposition

L’opposition n’est pas seulement hétérogène, elle est également profondément divisée. La violence dans les rues promue, début 2014, par Leopoldo López et María Corina Machado, a affaibli le leadership d’Henrique Capriles Radonski qui cherchait un rapprochement avec le chavisme et tentait d’aboutir à des accords minimums sur des thèmes clés comme celui de l’insécurité. Cette division de l’opposition a permis qu’au cours de ces 17 ans, les secteurs radicaux de l’extrême droite prennent l’initiative politique empêchant la conclusion d’un accord d’Etat quelconque entre le gouvernement et l’opposition et générant un climat d’ingouvernabilité permanent qui a entravé le développement des politiques du gouvernement.

Sixième clé : hétérogénéité du chavisme

Le chavisme, lui aussi n’est pas homogène. Le mal-être social endémique qui fut à l’origine du chavisme a aggloméré en un même processus différentes sensibilités politiques, différents secteurs sociaux, diverses visions du pays, des civils et des militaires. Cette hétérogénéité idéologique du chavisme – qui s’est renforcée dans un cadre unitaire contraint [PSUV et appareil d’Etat] et en tant que bloc opposé aux assauts de la droite – a toutefois empêché la réalisation de politiques claires et cohérentes. Le chavisme est devenu plus un sentiment politique d’unité de secteurs politiques et sociaux hétérogènes face à une classe dominante qu’une doctrine politique clairement définie.

Cette défaite est un appel à la prise de conscience, non seulement du chavisme mais aussi de la gauche en général, lorsqu’elle doit passer des intentions, du discours en faveur de l’égalité et de la dénonciation des injustices sociales à gouverner grâce à des politiques viables qui offrent des solutions aux besoins concrets de la population.

Conclusion

Les résultats des élections d’hier peuvent être trompeurs. En 1972, dans un petit livre portant le titre de Le Venezuela contemporain, un pays colonial ?, l’historien Federico Brito Figueroa soutenait que son pays, dans une large mesure en raison de la production/dépendance pétrolière, était un exemple parfait du colonialisme qui a suivi la décolonisation. Il est vrai que jusqu’à certain point Chávez a mis un terme à la tutelle étrangère, mais non à la dépendance pétrolière et à ses conséquences sociopolitiques néfastes. L’opposition y parviendra-t-elle ?

Bien que cela puisse sembler banal, ce qui est certain c’est que face à la forte polarisation que vit et dont souffre la société vénézuélienne, l’opposition doit assumer sa victoire de manière responsable devant le défi que lui ont offert les citoyens et citoyennes, une chose dont elle n’a pas fait preuve jusqu’ici. Sa victoire tient plus à l’échec du gouvernement de faire face aux problèmes qui frappent le pays qu’à ses mérites propres comme option politique qui enthousiasme la majorité.

Le vote en faveur de l’opposition, comme son nom l’indique, est un vote d’opposition plus qu’un vote de construction. On ne doit pas oublier que les politiques de ladite Quatrième République [avant Chavez qui a instauré la Cinquième], avec ses vieux dirigeants qui restent actifs, ne sont pas non plus parvenus à résoudre les problèmes endémiques : dépendance vis-à-vis de la rente pétrolière, répartition des richesses, inégalités, marginalité ou encore insécurité.

Entre-temps, le chavisme, qui n’est pas uniquement ce gouvernement, a laissé une profonde trace en termes de conscience politique parmi le peuple vénézuélien qui marque un avant et un après dans l’histoire de ce pays ainsi qu’une capacité et une force suffisante à même de se rénover. La voie existe pour que de nouveaux acteurs et mouvements politiques d’entrer sur la scène politique vénézuélienne et latino-américaine. Que personne ne le donne, dès lors, pour vaincu.

Publié le 7 décembre 2015 sur le site Rebelion.org. Traduction A l’Encontre

Notes

[1] Un bipartisme qui, au Venezuela, prenait la forme, d’un côté, de la COPEI – Comité de Organización Política Electoral Independiente et, de l’autre, l’AD (Acción Democrática, social-démocrate). Or, en 1998, ces formations avaient une liste commune, avec d’autres forces, autour de Henrique Salas Römer sous le nom de Proyecto Venezuela. Elle avait obtenu 39,97% des suffrages, soit 2’613’161 suffrages. Aujourd’hui, ces formations font partie de la Mesa de la Unidad Democrática (MUD). En décembre 1998, Hugo Chavez, à la tête du MVR (Mouvement de la Cinquième République) a obtenu 3’673’685 des suffrages (avec un taux de participation de 63,45% des inscrits), soit 56,20%. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Les derniers résultats sur la page web du Conseil national électoral : MUD : 107 députés (jusqu’à 110) 64,07% ; PSUV : 55 députés, 32,93% ; Re. Indigena, 3 députés, 1,80%. Taux de participation : 73,62%. Un congrès du PSUV « chaviste » est convoqué pour le jeudi 10 décembre 2015. (Rédaction A l’Encontre)

Juan Agulló

Auteur pour Rebellion.

Rafel Rico Ríos

Auteur pour Rebellion.

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