Que seront les solutions à gauche ? « Québec solidaire propose des mesures structurantes dont la hausse du salaire minimum, le gel des tarifs d’Hydro-Québec, le contrôle des loyers et de doubler le crédit d’impôt pour solidarité. Le parti fera d’autres propositions lors de la campagne électorale. » [1] S’il avait été tenu compte de la plateforme électorale non encore publique, il faudrait ajouter la demi-gratuité du transport en commun et la gratuité des soins dentaires. Étonnamment, le parti ne prône même pas la revendication clef du syndicalisme de combat soit l’indexation des salaires, à commencer par ceux du secteur public, et des prestations sociales au coût de la vie. Quant à la hausse du salaire minimum à 18$ l’heure, est-elle suffisante alors qu’en octobre dernier « [l]e président du conseil d’administration de l’entreprise de communication Cogeco, Louis Audet, défend[ait] l’idée d’augmenter dès maintenant le salaire minimum de 13,50 à 20 $. » [2]
Ces mesures, en autant qu’on les met de l’avant, sont certes la première ligne de défense à promouvoir tel que l’a compris le mouvement syndical britannique qui a entamé le plus gros mouvement de grève depuis des décennies [3] Mais si indispensables soient-elles, leur mise en application réussie ne ferait qu’entretenir une spirale inflationniste qui ne règle en rien l’inflation. Les autorités monétaires acquises au capital, instruites par la stagflation des années 1970, se hâteraient de casser cette spirale par une déflation comme elles se sont finalement résolues à le faire au début des années 1980, la porte d’entrée dans l’ère néolibérale, et ce qu’aujourd’hui elles instaurent sans plus attendre. Et cette spirale, domptée ou non, ne contribue en rien à résoudre la crise climatique. On aboutit au bout du compte au même cul-de-sac que les politiques de droite. Est-ce la quadrature du cercle ou bien ne faudrait-il pas plutôt comprendre les causes profondes du retour de l’inflation… ce qui nous donnerait la clef pour articuler lutte anti-inflationniste et lutte écologique climat-biodiversité ?
La pire inflation depuis le début de l’ère néolibérale n’a de conjoncturelle que l’apparence
Depuis l’avènement de l’ère néolibérale au début des années 1980, la croissance des prix du panier de consommation [4] au Québec n’a jamais été aussi élevée en particulier pour le transport et les produits alimentaires et dans une moindre mesure pour les loyers. Le segment locatif du marché du logement étant destiné surtout au 40% le plus pauvre de la population québécoise qui ne bénéficie que de 15% du revenu disponible total [5], leur capacité de payer agit comme un frein à la hausse des loyers ce qui entraîne une pénurie de logements populaires alors que la rente foncière ne cesse de grimper avec l’accentuation de la concentration urbaine ce à quoi s’ajoute la cherté des matériaux de construction due certes à la désorganisation pandémique mais plus structurellement à la pression de la demande étasunienne de bois de construction, malgré sa régulation par des tarifs violant les règles du libre-échange au gré de la politique étatsunienne, et conjuguée au pillage forestier qui en plus sert davantage à la fabrication d’éphémère papier-journal. Quant aux classes moyennes propriétaires de leur logement, si les prix d’acquisition baissent cela est dû à la hausse rapide des taux d’intérêt hypothécaire. Les taux hypothécaires à échéance de 5 ans [6] ont crû relativement de près de 60% depuis un an, haussant d’autant le service de la dette, dépassant le taux de 5% pour la première fois depuis 2010.
La raison d’être de cette inflation est mondiale que ce soit pour le prix mondial du pétrole [7] ou pour le prix mondial des produits alimentaires [8] malgré une légère baisse ces derniers mois ce qui prouve l’effet plus spéculatif que réel [9] de la Guerre d’Ukraine pour le plus grand profit des pétrolières [10] en particulier celles qui font aussi du raffinage pour lequel existe une importante pression de la demande postpandémie. Il y a certes des facteurs conjoncturels expliquant cette inflation comme la désorganisation pandémique des chaînes d’approvisionnement prolongée par la stratégie covid zéro de la Chine… et qui pourrait s’allonger en cas de probable rebondissement automnal étant donné la pingrerie vaccinale des transnationales pharmaceutiques [11] cautionnée par les pays impérialistes ce qui encourage la prolifération des variants préoccupants sans compter l’émergence d’autres zoonoses favorisées par l’agro-industrie et l’étalement urbain. Toutefois ce dérapage, peut-être conjoncturel, recèle un déséquilibre structurel soit la fragilité de la méthode des flux tendus du commerce néolibéral et la guerre commerciale ÉU-Chine qui pousse cette dernière au développement économique autocentré (et sur sa zone d’influence) [12] sous coordination étatique et au renforcement de la répression ce pour quoi sa stratégie covid sert de paravent commode.
Le marché global achevé au début du millénaire a lancé l’inflation pétrolière et alimentaire
Cependant, quand on examine la courbe des prix du baril de pétrole, on voit bien qu’elle est ascendante depuis le début du millénaire quand s’est consolidé le marché mondial avec la pleine intégration de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), quoique interrompue par la crise 2008-09, la guerre du pétrole ÉU-Arabie Saoudite 2014-2016 [13] entre pétrole de schiste et pétrole conventionnel et finalement par la crise pandémique. Le rebond actuel n’est que la reprise de cette montée des prix dont la cause fondamentale est l’irrigation du capitalisme néolibéral par un pétrole pléthorique quel qu’en soit le coût déterminé par l’extraction du baril marginal le plus cher, le pétrole étant le produit rentier par excellence. Dorénavant, cependant, la hausse du prix des hydrocarbures, y compris celui du charbon qui flambe [14] sera de plus en plus motivée par le prétexte de la lutte du capitalisme vert pour favoriser les énergies dite renouvelables ce qui amènera les producteurs d’hydrocarbures à spéculer, sans trop de risque, sur une demande non satisfaite suite à des crises géopolitiques telle la guerre de l’Ukraine ou à des ratées d’approvisionnement en énergie renouvelable suite soit aux retards des gargantuesques investissements nécessaires soit à son caractère intermittent, ce à quoi s’ajoutent la production de plastique qui « a doublé entre 2000 et 2019 » [15] pendant que l’utilisation des engrais synthétiques ne cesse d’augmenter [16].
Côté prix des produits alimentaires, on note une montée débutant aussi au tournant du millénaire, après une longue baisse des prix réels depuis au moins le début des années soixante, sauf brièvement au moment de la crise des trente glorieuses vers 1975 suite à la crise pétrolière de 1973, montée qui atteint un paroxysme en 2011 au moment du déclanchement des soulèvements des printemps arabes et autres mouvements des places tel Occupy et en Espagne, pour ensuite redescendre, mais sans atteindre le bas niveau de l’an 2000 tant s’en faut, puis recommencer à grimper au printemps 2020 au moment où la pandémie frappait le monde de plein fouet. Cette montée des prix agricoles, parallèle à celle du pétrole, s’explique en partie par celle du pétrole essentiel à l’agro-industrie férue de machinerie et de transport intrant-extrant et d’engrais fossiles et miniers.
La crise inflationniste dévoile la pénétration de l’économie réelle par la crise climatique
La montée récente a certes été influencée par le désordre pandémique. Mais un facteur qui joue de plus en plus est la crise climatique [17] dont les extrêmes et la variabilité imprévisible nuisent aux rendements agricoles tant et si bien que le monde de la finance a inventé les termes de climateflation, fossilflation et greenflation [18] La simultanéité des extrêmes affectant différentes zones agricoles, comme celle qui s’est manifestée cet été par des pics de 40°C à la fois en Chine, en Europe occidentale et aux ÉU sans compter ceux de l’Inde et du Pakistan ce printemps pourrait bien causer d’importantes hausses de prix agricoles tout comme les sécheresses concomitantes paralysent le transport fluvial des marchandises dont celles alimentaires figurent en tête de liste. Quant à l’Afrique, « …elle a été frappée par 14 sécheresses extrêmes rien qu’au cours des deux dernières années, soit bien plus que tout autre continent, et les Nations unies préviennent que quelque 20 millions de personnes sont menacées en Afrique de l’Est cette année… » [19]. La grande pauvreté de l’agro-industrie en termes de biodiversité la rend encore plus sensible aux déséquilibres climatiques.
À sa manière réformiste « liberal », le New York Times admet ce lien entre inflation et crise climatique : « Le nom, [Inflation Reduction Act, le projet de loi de 370 milliards de dollars conçu pour éloigner le pays des combustibles fossiles et vers l’énergie solaire, éolienne et autres énergies renouvelables] en fait, est approprié car il existe un lien direct entre le changement climatique et la hausse des prix, où que vous soyez dans le monde » [20]. Cependant, pour ce qui est de la portée de cette loi pour la lutte contre le climat, il faudra repasser de dire The Guardian : « Une analyse coûts-bénéfices par la Climate Justice Alliance (CJA), qui représente un large éventail de groupes urbains et ruraux à l’échelle nationale, conclut que les points forts de l’IRA sont compensés par les faiblesses du projet de loi et les menaces posées par l’expansion des combustibles fossiles et des technologies non prouvées telles que la capture du carbone et la génération d’hydrogène - que le projet de loi encouragera avec des milliards de dollars de crédits d’impôt qui profiteront principalement au pétrole et au gaz » [21].
Menace de récession avec une touche de cynisme à l’avenant
L’arme traditionnelle monétariste de la hausse des taux d’intérêt (et du renversement de la politique de création monétaire par les banques centrales dite quantitative easing) pour combattre l’inflation ne peut rien contre ses causes sauf à rabattre la demande populaire vers plus de pauvreté et d’inégalité — la hausse des taux enrichit les flux de revenus des épargnants quoique la baisse initiale de la valeur des encours boursiers puisse diminuer leurs avoirs mobiliers — ce qui contraint la demande à s’ajuster à une offre déficiente faisant ainsi diminuer l’inflation et provoquer une récession avec une touche de cynisme à l’avenant [22].
La vertu du monétarisme pour le capital est de casser la spirale inflationniste prix-salaire [23] avant qu’elle ne s’installe à demeure, ce que la pénurie de main-d’œuvre accélère surtout quand elle s’appuie sur une remontée des luttes syndicales [24] de sorte à ne pas nuire à la spirale réellement existante prix-profits [25] qui elle se porte très bien. Ainsi la bourse se maintient à des hauteurs historiques [26] nonobstant la baisse du premier semestre 2022 qui a vu quelques chemises se déchirer et les avertissements de récession… qui pourraient bien se matérialiser quand on constate les déboires du marché immobilier [27] dont celui canadien est en première ligne, toujours la première cible de la hausse des taux d’intérêts.
La lutte anti-inflation accentue les contradictions aggravant la très matérielle accumulation
Les causes de l’inflation relèvent déjà soto voce, et relèveront de plus en plus, de la crise écologique climat-biodiversité et plus profondément de la crise du capitalisme néolibéral dont elle est issue, plus précisément de l’accentuation de ses contradictions dont celle inter-impérialiste et celle fondamentale bourgeoisie-prolétariat qui donne une priorité absolue à la sauvegarde du taux de profit quelle que soit la politique anti-crise mise en œuvre. Confronté à l’aggravation quasi exponentielle de la crise de l’écosystème terrestre dérivant irrémédiablement vers la terre-étuve [28] combinée à celle de la sixième grande extinction des espèces, le capitalisme ne peut pas mettre de côté pour autant la loi de la compétitivité entre capitaux privés, et son extension aux États, dont la conséquence nécessaire est l’accumulation du capital.
Cette accumulation a beau prioriser l’économie du savoir, telle la performance informatique qui n’a toujours pas livré la hausse de la productivité escomptée [29], elle n’est pas parvenue à se libérer, tant s’en faut, de l’accumulation matérielle. En fait, le développement des forces productives qui se cache derrière l’économie du savoir recèle une montagne d’équipements souvent en réseaux à la source d’une nouvelle infrastructure se superposant à l’ancienne issue des révolutions industrielles des XIXe et XXe siècle. En résulte une montée fulgurante du capital fixe réduisant à la marge le coût variable ce qui, en termes de théorie des prix néoclassique, donne une fausse impression de gratuité, en plus masquée par les revenus publicitaires qui amortissent le capital fixe. Cette pseudo gratuité à son tour donne accès au monde virtuel des banques gargantuesques de données et des réseaux sociaux donnant une illusion de non-matérialité de la croissance capitaliste.
Les solutions capitalistes à la crise de l’écosystème terrestre sous contrainte d’accumulation très matérielle du capital empirent les causes de cette crise dont l’inflation devient à la fois le symptôme et l’accélérateur, en plus de priver le capitalisme néolibéral de sa grande victoire sur le capitalisme keynésien dont l’inflation inhérente avait dégénéré en stagflation.
La solution capitaliste vert à la congestion urbaine empêche l’élimination de l’auto solo privé
La solution capitaliste à la congestion urbaine consiste à superposer à l’étalement urbain autoroutier (et à l’augmentation du prix de l’essence) une superstructure de transport collectif électrifié. Face aux déboires de la congestion urbaine qui ajoute à la fatigue prolétarienne nuisant à la productivité du travail et qui ralentit la circulation des marchandises utilisant de plus en plus le système routier ce qui nuit à la vitesse de rotation de la marchandise afin de réaliser le profit final, le capital n’a pas eu d’autres choix que de superposer un système de transport collectif à la primordiale circulation automobile. Par cet ajout, on aboutit ainsi au pire des deux mondes en additionnant de dispendieux et longs à réaliser transports sous-terrain (métro) et aérien (REM), pour le plus grand profit de « l’industrie de la corruption » québécoise, des transnationales des moyens de transport collectif et bien sûr de la Finance, afin de ne pas nuire au règne sur la terre ferme de la « petite reine » (et de plus en plus du gros VUS) qui accapare le réseau routier. La meilleure façon de dissuader l’usage du transport en commun est d’obliger à payer un tarif élevé et à la hausse chaque année pour circuler en autobus bondé et coincé dans la circulation ou peu fréquent, tactique d’exaspération qu’a compris le capitalisme dès le début du XXe siècle pour inciter à l’achat d’une auto d’abord luxueuse puis de masse grâce à l’aliénante production taylorienne à la chaîne.
L’auto solo privée devint vite la cause et le prétexte pseudo-campagnard de l’étalement urbain de maisons unifamiliales (et des maisons en rangée) encore une fois pour le plus grand bénéfice de « l’industrie de la corruption », des transnationales des véhicules routiers, auxquelles se joignent dorénavant les GAFAM et Tesla, et des banques pour lesquelles le crédit hypothécaire et automobile est devenu un actif majeur. Faut-il ajouter que le remboursement mensuel de l’hypothèque et de l’emprunt pour l’auto sont devenus une prison du prolétariat conditionné à l’idéologie de la propriété privée qui forme sa vision du monde, sollicite ses pensées et son temps libre et l’accapare de soucis tout en étant pris à la gorge par les fins de mois ce qui le rend réticent aux grèves.
On objectera qu’il est impossible de se débarrasser de l’auto solo privée assez rapidement pour être au diapason du GIEC. Le Québec de la Révolution tranquille a restructuré et boosté en une quinzaine d’années ses réseaux scolaire et de santé, ses systèmes énergétique et de transport et son aménagement du territoire, pas nécessairement pour le mieux faut-il l’avouer, ce à quoi il a ajouté les réalisations de l’Expo 67 et des Olympiques de 1976. Si la pression de la compétitivité capitaliste mêlée d’aspiration populaire pour la modernisation a pu arriver à pareille résultat, on ne voit pas pourquoi l’urgence climatique — ne devrait-on pas plutôt dire la lutte de la dernière chance pour sauver la civilisation si ce n’est la survie de l’humanité et de biens d’autres espèces — serait incapable de révolutions plus rapides et plus profondes. Souvenons-nous qu’il a suffi de deux ans pour transformer les usines d’autos en usines de chars d’assaut au début de la Deuxième guerre et d’une dizaine d’années pour remplacer le polluant et nauséabond transport par cheval par le transport automobile dans les grandes villes étasuniennes au début du XXe siècle (tout en ignorant les tramway électriques déjà existant). Souvenons-nous qu’il en va de la survie de la civilisation et peut-être même de l’humanité.
Le transport en commun mur à mur bloque le véhicule électrique du nouvel extractivisme
Qu’y a-t-il d’utopique à éliminer d’ici 2030 l’auto solo privée, à essence et électrique, et son alter ego d’unifamiliales et de maisons en rangée pour leur substituer un système de transport en commun à base d’autobus/tramway/train gratuit, fréquent, confortable, électrique jusqu’au moindre village sur tout le réseau routier axial, plus une flotte de minibus éventuellement sans chauffeur sur circuits balisés à cet effet dans les banlieues en cours de densification — rien à voir avec le mythe des autos automatiques à travers les cônes oranges de Montréal plastronné par les GAFAM et Tesla pour attirer capital de risque et subventions gouvernementales — plus un complément d’auto(camion)partage communautaire pour des besoins spéciaux qui iront en diminuant au fur et à mesure de l’adaptation du transport en commun.
Sans oublier les remèdes évidents comme la mise à niveau écoénergétique de tous les bâtiments viables à commencer par ceux climatisés aux énergies fossiles d’ici 2030, le transport en commun tous azimuts résout le noyau dur de l’émanation de CO2, particulièrement au Québec, à condition de ne pas tomber dans le piège capitaliste vert des autos électriques carburant aux énergies renouvelables dont l’hydroélectricité (mais non le nucléaire que même le GIEC promeut) ce qui substitue l’extractivisme de l’électricité à celui des hydrocarbures. Déjà au Québec, la course aux claims de mines à ciel ouvert de graphite et de lithium [30], lesquels claims en cas de succès de l’exploration donnent tous les droits y inclus celui d’exproprier, bat son plein au plus grand désarroi des municipalités concernées et des populations locales qui mettent sur pied des regroupements ce qui amènent les dirigeants les plus conscients à questionner la fausse solution des véhicules privés électriques. L’énergie dite renouvelable étant diffuse et intermittente, contrairement aux hydrocarbures, nécessite une orgie de matériaux énergivores en amont par kw/h produit en comparaison des hydrocarbures dont la puissance énergétique est concentrée donc nécessitant relativement peu d’équipement fixe mais dont la consommation en aval est polluante dont en GES contrairement aux énergies dites renouvelables.
On objectera que cette orgie de nouveaux équipements, dont les batteries, est recyclable. De un, tant que le nouvel extractivisme connaît une croissance exponentielle, mathématiquement la majorité des matériaux des nouveaux équipements et batteries doivent provenir de l’extraction minière, majoritairement à ciel ouvert pour cause de minerais à faible teneur, elle-même mue par des énergies surtout fossiles car celles-ci comptent pour 80% de l’énergie mondiale. De deux, le recyclage de ces matériaux composites, à peine mis en place pour les batteries ion-lithium créées pourtant il y a plus de 25 ans car trop complexe et dispendieux, est lui-même énergivore et polluant indépendamment du pétage de bretelles de ses promoteurs. Passer de l’extractivisme des hydrocarbures à celui du tout électrique est aller de Charybde en Scylla. En prime, les deux extractivismes engendrent l’énergivore étalement urbain qui bloque le réaménagement du territoire sur la base d’un habitat densifié à distance de marche des services de proximité et libérant des « parcs nature » dont l’agrobiologie urbaine mixant ville et campagne.
Une « révolution verte » à bout de souffle qui contribue au tiers des GES mondiaux
Ces parcs nature sont l’extension tentaculaire de la campagne agrobiologique dans les villes et villages au lieu que ce soit l’étalement urbain qui soit l’extension tentaculaire de la ville capitaliste dans les campagnes déforestées et dépeuplées par l’agro-industrie. La « révolution verte » qui a mondialisé le modèle agro-industriel propre aux pays impérialistes a certes causé une croissance phénoménale des rendements des sols et de la force de travail mais ce fut au prix d’une forte pénétration de l’agriculture par l’énergie fossile (mécanisation, engrais, pesticides, herbicides, transport, transformation). Tant et si bien, comme le rappelle le rapport décennal de l’Organisation des Nations unies sur l’alimentation et l’agriculture (FAO) [31], cette agriculture apparemment rentable a un bilan énergétique et de GES fort négatif — 31% du total mondial — en plus de ne pas nourrir convenablement son monde, sans compter un apport faramineux d’eau qui à maints endroits du monde vide les rivières et les nappes phréatiques. Finalement, elle épuise les sols qu’il faut de plus en plus artificialiser et elle favorise la concentration de la propriété étant donné l’intensité de capital requis ce que souligne aussi le rapport de la FAO :
En 2019, Les émissions anthropiques mondiales s’élevaient à 54 milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (éq CO2), dont 17 milliards de tonnes d’éq CO2 – 31 pour cent – issues des systèmes agroalimentaires. […] Après être demeurée stable pendant cinq ans, la prévalence de la sous-alimentation s’est accrue de 1,5 point de pourcentage en 2020 – pour atteindre un niveau proche de 9,9 pour cent. En 2020, dans le monde, plus de 720 millions d’individus souffraient de la faim et près d’une personne sur trois (2,37 milliards) n’avait pas accès à une alimentation adéquate. […] La perte nette de couvert forestier entre 2010 et 2020 est estimée à 4,7 millions d’hectares/an, […] ces chiffres tenant compte de l’extension de la forêt due à la régénération et au boisement. […] On estime que la mise hors production de terres cultivées en raison de la salinisation des sols peut atteindre 1,5 million d’hectares par an. […] De plus en plus, les systèmes d’exploitation agricole reflètent une fracture : les vastes exploitations commerciales se taillent la part du lion dans l’affectation des terres agricoles, concentrant les millions de petits exploitants qui pratiquent une agriculture de subsistance sur des terres exposées à la dégradation et au manque d’eau.
La révolution verte a dissipé son potentiel d’efficacité tout en révélant son coût écologique et social. Les transnationales de l’agro-industrie voudraient soi-disant relancer une deuxième révolution verte à coups d’OGM qui rendent encore plus dépendant des intrants énergivores, auxquels il faut ajouter les semences industrialisées, tout en étant une menace supplémentaire de pollution biologique. En résulte, comme on l’a constaté, une flambée des prix alimentaires mondiaux envenimée par les coupures dans le soutien à l’agriculture des pays dépendants sous l’égide du FMI et par le nouveau marché des agro-carburants. En rajoutent les catastrophes climatiques en cascade qui se conjuguent à la pandémie.
La rente foncière et l’endettement repoussent la relève agrobiologique qui cogne aux portes
Le Canada et le Québec connaissent un sérieux problème d’accès aux terres et d’endettement qui entrave la voie de la relève, en particulier de celle voulant se libérer du cul-de-sac climatique de l’agro-industrie :
L’accès à la terre est encore plus difficile pour cette nouvelle génération d’agriculteurs qui délaisse le modèle d’agriculture industrielle au profit de la production biologique à petite échelle misant sur les circuits courts. La législation québécoise a favorisé la "fusion " des terres pendant des décennies pour le bénéfice des grandes fermes.
« Ça fait des décennies qu’on nous dit que l’âge moyen des agriculteurs est élevé, que c’est une population vieillissante, qu’il y a très peu de relève. Par contre, dans notre secteur, dans le milieu du maraîchage, de la biodiversité, les écoles sont pleines. » — Une citation de Caroline Poirier, présidente de la CAPÉ (Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique) [32]
Il n’y a pas seulement la relève qui en est affectée mais aussi le régime de propriété des terres agricoles, selon un rapport de l’Union des producteurs agricoles (UPA) : « …avec plus de 600 000 hectares de terres en location, le taux de propriété des fermes québécoises se situerait plutôt entre 65 et 70 %... » [33]. Du coût de la terre découle une croissance de l’endettement auquel s’ajoute l’étranglement en amont et en aval des grandes entreprises des intrants et de la transformation. Selon la députée Solidaire responsable du dossier agriculture :
La valeur moyenne des terres agricoles en culture a plus que triplé depuis 2007. Les agriculteurs et les agricultrices doivent s’endetter, parfois sur plus d’une génération, pour acheter les terres… […] La relève agricole est de plus en plus condamnée à la location perpétuelle… […] Les terres agricoles sont la nouvelle manne des institutions financières et des sociétés immobilières.
La concentration de l’industrie agroalimentaire est un autre problème. […] Dans la production serricole, trois acteurs génèrent environ 80% de la production totale en légumes. Même scénario dans la filière du lait et de la transformation et distribution de volailles et de porcs. Trois multinationales, dont Monsanto-Bayer, contrôlent plus de 60% des ventes de pesticides et de semences à l’échelle mondiale. [34]
Au Québec, le système des quotas pour le lait, la volaille et les œufs en rajoute en causant un « endettement sans précédent des agriculteurs » [35] relativement plus important de 50% qu’en Ontario et plus du triple qu’aux ÉU et qui « a doublé au cours des dix dernières années », ce qui provoque « la baisse des revenus agricoles ». Cette baisse a obligé les ménages agricoles, particulièrement la conjointe, à travailler à l’extérieur de la ferme pour les deux tiers de leurs revenus afin de se maintenir à flot. Une ferme familiale québécoise endettée par-dessus la tête ne sera pas en mesure de se lancer dans une révolution agroécologique.
La concentration des terres comme celle en amont et en aval étrangle la ferme paysanne
Le corollaire de l’endettement est la concentration des fermes : « Les fermes ayant des revenus de 100 000 $ et moins, soit près de 20 000 fermes [les deux tiers des fermes existantes], généraient [seulement] 10 % des revenus bruts globaux. » [36]. On peut être certain que les grandes fermes, qui bénéficient le plus des subventions et/ou des quotas, comme la tour de Pise penchent du côté du statuquo agro-industriel. La conséquence en est que l’UPA a fortement tendance à se crisper dans la défense des acquis, à freiner l’éco-conditionnalité et à ossifier sa direction des plans conjoints de mise en marché qui financent ses fédérations spécialisées.
Non seulement la concentration de la propriété concerne-t-elle l’amont et l’aval de la ferme comme presque partout ailleurs dans le monde mais elle est très forte au niveau de la distribution : trois distributeurs dont deux hors Québec contrôlent de 90 à 95% du marché avec en plus Walmart et Costco qui s’y pointent. Sans une remise en cause de l’endettement des fermes paysannes et de leur concentration/transformation en fermes capitalistes, de la monopolisation tout au long de la filière agro-industrielle, et sans remise en question des modes de consommation et d’habitation, y compris les rapports ville-campagne, on sera coincé entre le Charybde du libre-échange et le Sylla du protectionnisme. Historiquement, le recours au coopératives dans un environnement capitaliste a été un échec. Desjardins, Coop fédérée/Olymel et Agropur participent comme les autres banques et autres fournisseurs à l’étouffement de la ferme paysanne, sans compter leur antisyndicalisme notoire.
Non seulement la ferme paysanne est-elle étranglée par la finance mais elle est aussi coincée entre d’une part les transnationales des engrais, des semences et des équipements et d’autre part les grandes entreprises de la transformation et de la distribution, sans compter les intégrateurs dans le porc. Elle est condamnée, pour survivre, soit à l’agriculture de niche normalisant l’auto-exploitation et le double emploi, soit à l’élargissement et à l’embauche de travailleurs étrangers temporaires. La pandémie a souligné la surexploitation, et souvent le risque sanitaire, des travailleurs des abattoirs et des grandes fermes maraîchères dont une forte portion sont au Canada et au Québec des travailleurs temporaires mexicains et guatémaltèques.
Le régime carné, comme l’auto solo privée, sont les éléphants dans la pièce qu’on dénonce peu
À ces maux, l’agro-industrie ajoute ceux du gaspillage alimentaire et du régime carnée. La lutte au gaspillage alimentaire permettrait une baisse notable des GES : « Près de 60 % des aliments produits au Canada, soit 35,5 millions de tonnes métriques, sont perdus et gaspillés chaque année. De ce nombre, 32 % - soit 11,2 millions de tonnes métriques de nourriture perdue - sont évitables et constituent des aliments comestibles… » [37]. Ajoutons-y une forte atténuation du régime carnivore pour faire un autre bout de chemin car « [l]e marché de l’alimentation animale est de loin le plus important utilisateur de grains au Québec. » Il représente plus de 80 % des utilisations » [38]. Selon le journaliste spécialisé du Devoir :
La lutte contre les changements climatiques passe inévitablement par un changement majeur de notre régime alimentaire. Cela implique surtout de réduire substantiellement notre consommation de viande, conclut une nouvelle étude publiée mercredi dans le magazine scientifique Nature […]
En moyenne, les habitants de la planète devraient ainsi réduire de près de 75 % leur consommation de viande rouge. Pour les Canadiens, ce recul serait davantage de l’ordre de 85 %, en tenant pour acquis un passage à un seul repas à base de viande par semaine […]
…cette production est responsable à elle seule de 72 à 78 % de toutes les émissions de GES du secteur agricole mondial, selon les données présentées dans l’étude. À titre d’exemple, la production d’un seul kilogramme de bœuf génère 32,5 kg de CO2. Pour l’agneau, on évalue le bilan à 33 kg par kilogramme produit, et à 2,9 kg pour le porc. A contrario, le bilan est de 0,1 kg pour le soya, 0,06 kg en moyenne pour les légumes, 0,7 kg pour les noix et 1,18 pour le riz.
En plus des émissions de GES, les produits d’origine animale monopolisent d’importantes superficies de terres cultivables, pour une moyenne de quatre à six mètres carrés pour chaque kilogramme de bœuf, de poulet, d’agneau ou de porc. Or, les nouvelles terres agricoles sont bien rendues disponibles en recourant à la déforestation. En Amazonie, par exemple, près de 75 % des vastes régions naturelles perdues l’ont été au profit de la production de viande ou des céréales nécessaires pour nourrir les animaux. [Et la déforestation est aussi un facteur de zoonose, NDLR]
[39]
L’agrobiologie commande une révolution de l’aménagement du territoire et du régime de travail
Si la réduction du transport des aliments, soit une part substantielle du commerce des marchandises car on mange trois fois par jour, passe par la lutte au gaspillage alimentaire et par la réduction de l’alimentation carnée qui gonfle et complexifie la matrice de la transformation, elle concerne aussi les rapports urbain-rural et ceux national-international. L’alimentation végétarienne à elle seule par l’importante réduction des surfaces à cultiver (et celle des pacages extensifs dévastant les forêts tropicales) y contribuera pour une grande part. La maximisation des trajets courts fait appel à la fois au recours à la diversité des produits du terroir dont les céréales, légumineuses et oléagineux adaptés aux sols et climat locaux et à l’agriculture urbaine basée sur l’interpénétration de la ville et de la campagne de sorte aussi à faciliter le recyclage organique jusqu’à et y compris les excréments humains.
La généralisation de la révolution agroécologique s’est toujours butée à un soutien étatique massif à l’agriculture industrielle. Quant à la productivité du sol [40], l’agrobiologie, au fur et à mesure qu’elle reconstituera l’humus du sol, dépassera celle agro-industrielle pour une réduction supplémentaire des surfaces cultivées. L’agriculture urbaine y compris celle incluse dans le curriculum scolaire, commencerait à créer un lien des urbains avec la terre en passant par sa jeunesse. Cette expérience susciterait l’apparition d’une main-d’œuvre qui resterait ou retournerait au village pour devenir co-propriétaire ou coopérante de fermes paysannes assises sur l’agrobiologie. Ces fermes ont besoin d’une abondante main d’œuvre car elle vise la maximisation de la productivité du sol sous contrainte du maintien de sa fertilité et non celle de la maximisation de la productivité de la main-d’œuvre aux dépens du sol artificialisé comme l’agriculture industrielle. C’est cette caractéristique qui en fait par définition une agriculture anticapitaliste.
La ferme paysanne serait soutenue autant que l’est aujourd’hui la ferme agro-industrielle en particulier par une socialisation de sa finance et de sa distribution ce qui empêcherait l’étranglement de l’agriculture par la banque dénoncé par le rapport Pronovost. Ainsi deviendrait possible la mise sur pied de circuits courts et marchés paysans comme moyen principal de distribution et non pas comme méthode marginale à l’ombre des oligopoles Métro-Sobey-Loblaw-Walmart qui contrôlent l’approvisionnement en fonction de normes standardisées de la consommation de masse.
La ferme paysanne a besoin d’un accès bon marché à la terre ce qui serait possible par l’intermédiaire de la constitution d’un fonds de terre étatique mis à leur disposition sur la base d’un droit d’usage garanti tant que la ferme garde sa vocation de ferme agrobiologique. Comme main-d’œuvre il faudrait commencer par offrir aux travailleurs temporaires et à leurs familles le statut d’immigrant reçu tout en leur accordant un meilleur salaire et conditions de travail dont la pleine protection du code du travail et le droit de se syndiquer. Ainsi seraient réunies les conditions d’un retour à la terre de la jeunesse québécoise.
Transport en commun, habitat densifié, agrobiologie non carnée résolvent la plaie de l’inflation
La révolution du système de transport en diapason avec celle de l’habitat et de l’aménagement urbain qu’il faut combiner avec la révolution de l’agriculture y compris celle du régime alimentaire — au Québec débordant d’hydroélectricité à condition de ne pas la dilapider en fermes de serveurs 5G et en exportations, la révolution énergétique peut attendre sauf l’évidente efficacité énergétique et un complément d’énergie solaire intégré à l’habitat et éolienne respectant les paysages et sous responsabilité communautaire — nécessite la prise de contrôle populaire de l’épargne nationale.
Cette tâche cruciale suppose la conquête de l’indépendance nationale par la gauche pour exproprier et socialiser banques et tutti quanti. Réorienter l’épargne nationale et sur cette base faire une réforme fiscale en profondeur aux dépens des classes riches et moyennes supérieures (le 1% et le 10%) — leur consommation gargantuesque et luxueuse est responsable de l’essentiel des émanations de GES donnant lieu au dépassement du 1.5°C [41] — est impossible au sein d’un Canada pétrolier et gazier ne reconnaissant pas la nation québécoise et brimant l’épanouissement de la langue française (tout comme d’un Québec misant sur l’extractivisme minier du capitalisme vert pour lequel l’indépendance est facultative).
Quant aux classes populaires sans autos solo, elles verront leur budget soulagé d’au moins 20 000 $ l’an ce qui permettra de résoudre la contradiction entre fin du monde et fin de mois tout en étant anti-inflationniste. Idem pour la substitution du logement collectif intégré à des quartiers et villages libérés de la servitude de la « petite reine » et la bonne santé d’une alimentation essentiellement végétarienne rendue bon marché par l’abandon à la forêt et aux prairies des terres les moins productives et les plus éloignées des lieux de consommation.
La révolution anticapitaliste assure l’atteinte des cibles du GIEC et un niveau de vie supérieur
Les réalo-réalistes clameront que cette société pro-climat et pro-biodiversité est un monde complètement déconnecté alors que c’est celui dans lequel nous vivons qu’il l’est à commencer par le Canada-Québec, un des plus importants émetteurs de CO2 par habitant au monde. Et inutile de se défausser sur l’Alberta : nous consommons au Québec presque autant de pétrole par habitant qu’en Alberta sauf que nous importons le pétrole consommé ce qui permet d’exclure sa production de notre bilan de GES. Le GIEC-ONU a plus que démontré qu’il reste moins que 10 ans (en 2030) pour réduire les GES d’au moins 50% pour ne pas franchir le fatidique 1.5°C afin d’éviter le scénario de la terre-étuve, ce qui signifie au moins 65% pour les pays anciennement industrialisés comme le Québec-Canada en tant que responsabilité historique et à cause de leur capacité économique.
Prétendre que cette société pro-climat entraînerait une baisse du niveau de vie oublie qu’habiter un logement de qualité suffisamment grand dans un bloc-appartement avec services de proximité (garderies, écoles, alimentation...) accessibles à pied et entouré d’espaces verts (jeu, parc-nature, jardins communautaires) avec accès facile à un transport en commun gratuit, fréquent, confortable, jusqu’au moindre village procure davantage de bien-être et à bien meilleur marché (sans fardeau d’auto solo privé) qu’un bungalow dans une banlieue éloignée. La perte de jouissance, définie comme richesse accumulée et pouvoir de domination, ne serait que celle du 1% et du 10% à leur remorque, les quasi unique responsables des GES en trop.
C’est la tâche du 90% de dépouiller du contrôle de la richesse et de chasser du gouvernement cette mortifère élite capitaliste et ses serviteurs afin de prendre le contrôle des secteurs stratégiques de l’économie tels la finance, l’énergie, les transports, les communications, l’aménagement urbain, la distribution alimentaire, la santé et l’encadrement agricole pour révolutionner en dix ans l’organisation de la société. Les soulèvements, armés ou non armés, ayant débuté en 2011 et qui se prolongent aujourd’hui au Sri Lanka, en Équateur, au Myanmar (Birmanie), en Ukraine et toujours en Palestine, sous la poussée de la jeunesse populaire en sont le fer de lance. Quand ils auront compris qu’il ne suffit pas de décapiter les autoritaires régimes néolibéraux qui mènent le monde à sa perte mais de détruire l’État capitaliste et bureaucratique qui en est le sous-bassement pour lui substituer le pouvoir de l’auto-organisation émanant des lieux de travail et d’études et des quartiers et villages, le monde aura changé de base et sera en mesure de repousser la catastrophe finale.
Québec solidaire : De timides mesures anti-inflation déconnectées d’un absent plan climat
Pour sa campagne électorale, à part les timides et défensives mesures anti-inflationnistes signalées en introduction, Québec solidaire a bien promis la mise sur pied d’ « un chantier historique de 50 000 logements sociaux » [42], engagement cependant non repris dans deux communiqués de presse subséquents à propos de logements sociaux et jamais associé à leur caractéristique « écoénergétique » tel que stipulée par la plateforme électorale 2022 non encore rendue publique et ni associée à une échéance que l’on présume être de cinq ans étant donné son lien avec la plateforme. Ce serait nécessaire car les Libéraux ont pris le même engagement sur dix ans. Sans leur spécificité écoénergétique, c’est-à-dire à consommation d’énergie (quasi)-zéro, ces logements sociaux que l’on présume d’une certaine densité perdent une partie de leur qualité pro-climat. Pour surmonter l’obstacle de la disponibilité de terrains, la plateforme promet bien l’expropriation de « terrains urbains laissés vacants » mais seulement pour des espaces verts.
Québec solidaire n’a aucun engagement concernant le coût de l’essence, le fer de lance du surgissement de l’inflation. Selon l’IRIS, au Québec « [l]es dépenses directes en énergie expliquent plus de 52 % de l’inflation annuelle excédentaire observée depuis le début de la pandémie. » [43] Pendant que les salaires n’arrivent pas ou arrivent à peine à suivre la hausse des prix, « les entreprises semblent avoir largement profité du contexte d’inflation pour majorer leurs prix. Cette manœuvre leur aurait permis d’engranger des profits records tout en contribuant à l’accélération de l’inflation. […] Au premier trimestre de 2022, les profits après impôts de l’ensemble des entreprises représentaient 18,8 % du PIB, un sommet historique. […Les] entreprises [ont] engrang[é] durant la dernière année plus de 91 milliards de dollars de bénéfices nets supplémentaires. Le secteur des matières premières se démarque avec un bénéfice net supplémentaire avoisinant les 60 milliards. »
À défaut de pouvoir constitutionnel pour contrôler le prix de l’essence et de l’alimentation, reste la possibilité et la nécessité d’imposer à 100% les surprofits des pétrolières et autres profiteurs d’inflation pour financer des rabais pour le prix de l’essence tout en revendiquant, comme on l’a vu, un système de transport en commun mur à mur qui soit gratuit, hydroélectrique, fréquent jusqu’au moindre village d’ici 2030 et un complément d’autopartage bon marché. Est-ce là le « gigantesque chantier de transport collectif pour permettre à tous les Québécois d’abandonner leur voiture s’ils le désirent d’ici quelques années » que Gabriel Nadeau-Dubois a révélé lors d’une entrevue de la Presse ? [44] ? Plus inquiétant, cependant, est de s’attaquer à la crise du logement « en réinvent[ant] l’accès à la propriété pour les jeunes familles » sans même mentionner le logement social.
C’est pour dire l’aspect inflationniste et rétrograde des marchés et taxes carbone, qui suscitent une levée de boucliers à la gilet jaune, auxquels Québec solidaire ne s’oppose pas ni non plus aux subventions aux véhicules privés électriques au cœur du nouvel extractivisme. Idem pour l’alimentation ce sur quoi Québec solidaire reste coite : Imposer à 100% les surprofits des entreprises de la filière de l’alimentation pour financer un rationnement en produits essentiels non-carnés (céréales, fruits et légumes) à prix subventionnés.
Rompre avec le mirage du PQ de René Lévesque plus de centre-droit que de centre-gauche
Très zen et confiant, beaucoup parmi la militance Solidaire compare le parti au soi-disant social-démocrate Parti québécois (PQ) des René Lévesque-Parizeau des années 60-70-80 versus celui néolibéral des Bouchard-Landry des années 90-00 devenu finalement identitaire de Boisclair-Marois-Lisée. Mais les faits sont têtus. « En 1979, le gouvernement de René Lévesque aura recours, à l’instar de son prédécesseur, à des lois spéciales contre certains syndicats (par exemple, le retrait du droit de grève au Front commun) » [45]. Faut-il y voir une raison de l’échec du référendum de 1980 ? Le PQ s’est affiché néolibéral autoritaire dès 1982 avec la coupe de 20% des salaires du secteur public et tutti quanti [46], un « exploit » jamais renouvelé par aucun autre parti canadien depuis lors.
Indépendamment de son bla-bla pro-autochtone, le PQ de René Lévesque s’est signalé par sa brutale « guerre du saumon » en 1981-82 [47] contre les Mi’gmaq de Listuguj et les Innus du Nistassinan. Il a fallu à René Lévesque, alors seul député du PQ en 1969, la pression populaire de l’importante mobilisation pro-français lors de la crise de Saint-Léonard [48], pour qu’il renonce à défendre l’assimilateur libre choix de la langue d’enseignement. Faut-il ajouter le proverbial à-plat-ventrisme de René Lévesque vis-à-vis la domination économique et linguistique de la minorité anglophone [49] y compris sa composante juive [50] par sa confusion entre rejet de l’antisémitisme et « une certaine admiration pour l’État d’Israël ».
Le PQ, issu de l’aile nationaliste des Libéraux tout comme l’ADQ de Mario Dumont plus tard, a toujours été un parti (petit-)bourgeois dont le but premier était le renforcement de Québec Inc., projet qui a lamentablement échoué et auquel la CAQ-ADQ a renoncé pour revenir à un néolibéralisme fédéraliste à saveur identitaire. Prendre comme référence ou comme modèle le soi-disant PQ « social-démocrate » de René Lévesque serait pour Québec solidaire sombrer dans le néolibéralisme autoritaire, au prorata de l’intensité de la crise économique et sociale envenimée par la crise climatique, une fois à la tête du gouvernement peu importe le discours lénifiant de centre-gauche que le parti tient aujourd’hui. L’alternative est la voie anticapitaliste sous-entendue dans le programme, entrevue dans la plateforme électorale non encore rendue publique mais complètement absente du discours des porte-parole et député-e-s.
Le test internationaliste de l’immigration que Québec solidaire ne passe pas
L’actuelle trajectoire de Québec solidaire le mène tout droit vers ce cul-de-sac centriste lequel parti, dans l’opposition sans jamais avoir subi l’épreuve de la gouvernance néolibérale, s’avère pour l’instant essentiellement de gauche. Qu’en sera-t-il si les prochaines élections en font l’opposition officielle et surtout, cette-fois-ci ou plus tard, le parti gouvernemental ? Pour le savoir il n’est pas nécessaire d’attendre mais de faire passer au parti le test de l’immigration. La CAQ la restreint en la réduisant au strict minimum de 50 000 l’an, un peu plus à court terme pour combler le retard pandémique, mais ne mentionne pas qu’elle favorise tout comme Ottawa mais plus que tout autre province la main d’œuvre temporaire [51] sans possibilité d’accès à la citoyenneté. Ainsi espère-t-elle donner satisfaction au le Conseil du patronat qui souhaite l’entrée jusqu’à 100 000 personnes l’an pour résoudre la pénurie de main-d’œuvre découlant de bas salaires dans un contexte de vieillissement de la population. Devant ce tour de passe-passe sur les dos des personnes immigrantes afin de régler la cette contradiction entre la bourgeoisie néolibérale et la petite-bourgeoisie identitaire, la gauche dont Québec solidaire tend à esquiver le problème c’est-à-dire à s’en tenir à la politique caquiste.
Une solution de gauche serait d’être d’accord avec la cible du Conseil du patronat, sur la base cependant d’une immigration permanente, dans un esprit radical de libre circulation des personnes, mais aux conditions de travail de la gauche ce qui passe par un renforcement conséquent de la législation du travail et des conventions collectives du secteur public tout comme de la facilitation de la syndicalisation des secteurs à bas salaires (restauration, commerce de détail, agriculture). Ainsi la gauche dans un esprit internationaliste éviterait le piège nationaliste-identitaire… tout en renforçant la nation par l’apport démographique, économique et culturel de l’immigration et tenant pleinement compte de la montée des personnes réfugiées pour cause de climat, de guerres et d’effondrement économique.
Un horizon Solidaire de capitalisme vert qui mène à l’abîme de la terre-étuve
On est à moins de deux mois un mois à peine du 3 octobre et il n’y a toujours pas de plan Solidaire stipulant comment « réduire les émissions du Québec d’au moins 55% par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030, en se rapprochant le plus possible de la cible de 65 % encouragée par les mouvements sociaux » tel que voté par le congrès de novembre 2021 et clairement inscrit dans la plateforme 2022… et enfin mentionné par Gabriel Nadeau-Dubois dans son entrevue avec La Presse tous en s’engageant à faire connaître les mesures nécessaires tôt dans la campagne électorale. Sans compter qu’un tel plan qui ne peut être autrement qu’audacieux pour ne pas dire révolutionnaire a besoin de temps pour être popularisé, discuté et assimilé. Non seulement est-on à des années-lumière d’une société écoféministe de prendre soin, des gens comme de la terre-mère, laquelle assure un plein-emploi écologique de « buen vivir » et de temps libre, donc de réduction du temps de travail, mais ce n’est pas là du tout l’horizon à laquelle Québec solidaire convie le peuple québécois. Le parti n’a pas le courage de soulever les sujets tabous tels les subventions pour les véhicules électriques, l’interdiction de la construction de maisons individuelles et de maisons en rangée, et celle du régime carné mais aussi de la technologie 5G et des pseudo loisirs motorisés de moteurs deux temps particulièrement polluants qui infestent nos forêts, nos lacs et nos pelouses à convertir en jardins. Faut-il remarquer que ce nouveau mode de vie serait le plus anti-inflationniste qui soit.
Québec solidaire en est réduit à convier le peuple québécois à tout changer pour que rien ne change soit à un capitalisme vert du tout électrique qui assure la continuation de la croissance matérielle pour garantir le moloch de l’accumulation capitaliste. Celle-ci se traduira en renouvellement de la consommation de masse reposant sur les véhicules électriques et la connectivité générale 5G accessibles aux classes riche et moyenne et sur les gargantuesques technologies de captage et séquestration de CO2, qui n’ont pas fait leurs preuves, et même de sur la modification apprenti-sorcier de l’atmosphère et des océans malgré que le programme Solidaire « [rejette] les moyens d’action qui nous mèneraient vers un maintien du statu quo tels que les fausses solutions techniques qui n’engagent pas de réelles réductions d’émissions des gaz à effet de serre (les agrocarburants, la géo-ingénierie, le stockage du carbone, etc.) ». Cette relancée du capitalisme après-moi-le-déluge, largement subventionnée par les gouvernements, nécessite une austérité permanente conduisant inévitablement à un renforcement de la polarisation sociale et son corollaire de gouvernance autoritaire et identitaire.
Voter Québec solidaire et prendre la rue avec les Travailleur-se-s pour la justice climatique
S’il faut voter pour le moins pire tellement le gouvernement de la CAQ incarne le néolibéralisme le plus traditionnel sans préoccupation écologique et teinté d’un racisme à peine voilé, que le nouveau parti Conservateur expose sans gêne son programme ultra-droite de privatisation mur-à-mur, que les Libéraux réduits à leur base anglophone et ultra-fédéraliste sont prêts à tout promettre, y compris de populistes baisses d’impôt tout comme la CAQ et les Conservateurs, et que le PQ moribond est parvenu au bout de sa déchéance, reste à miser sur la mobilisation sociale à laquelle nous invitent les Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) en plein milieu de la campagne électorale officielle.
TJC conjointement avec l’organisation La Planète s’invite au parlement, responsable des grandes manifestations climatique prépandémiques, appellent à une « Grève mondiale pour la justice climatique », car promue par Fridays for Futur de Greta Thunberg, à Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke, L’Assomption le 23 septembre. Dans un horizon de justice climatique et justice sociale, cette manifestation revendique « une sortie complète des énergies fossiles d’ici 2030 » y compris sa consommation et « une taxation massive de la richesse, et un réinvestissement massif dans les programmes et les services sociaux. » Jusqu’ici, huit syndicats d’enseignant-e-s de cégeps comptent environ 5 000 membres et un syndicat d’étudiant-e-s employé-e-s aussi de 5 000 membres ont voté ou annoncé un vote de participation. Il faut s’attendre à plusieurs votes de ce genre à la fin août et en septembre.
Intégrer les revendications terrains et se rallier au consensus faciliterait la mobilisation
Bien que la radicalité des revendications soient conforme à l’urgence climatique explicitée par le GIEC-ONU, on peut penser qu’elles pourraient s’articuler à de plus immédiates revendications de mobilisation terrains dont celles par exemple pour le Parc nature L’Assomption dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve de Montréal ce qui signifie l’expropriation du terrain de l’entreprise de transbordement rail-camion Ray-Mont Logistique et aussi l’affectation à cet effet des terrains en friche du ministère des Transports, d’Hydro-Québec et du Canadien National, ce à quoi a consenti le volet Montréal. On pense aussi à plein d’autres luttes locales pour la préservation de milieux humides et des boisés urbains… et l’incontournable rejet du troisième lien de la Ville de Québec sous le fleuve St-Laurent. Ce genre de dialectique revendicatif permet de maximiser la mobilisation.
On doit cependant admettre que la revendication-clef de la sortie complète des énergies fossiles d’ici 2030 fait problème comme à la fois trop et trop peu radicale. Trop radicale car plus exigeante et surtout plus inflexible que le GIEC qui exige une baisse de 50% d’ici 2030 ce qui se traduit, étant donné les responsabilités historiques et la capacité économique des anciens pays industrialisés, par une réduction de 65% pour le Québec selon le Réseau action climat canadien [52] ce à quoi se sont ralliés la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Équiterre, Greenpeace, Nature-Québec, la Fondation David Suzuki et Oxfam-Québec [53] et que Québec solidaire a suivi avec un bémol.
Cette formulation braque inutilement certains mouvements sociaux et aussi Québec solidaire ce qui risque par réaction unitaire d’édulcorer la revendication en revenant à la platitude non compromettante de l’urgence climatique qui n’engage à rien. En plus cette revendication est ambiguë vis-à-vis le capitalisme vert car elle ouvre la porte aux véhicules électriques dont l’énergie est dérivée de l’hydroélectricité et du nucléaire alors que les réductions de GES avec cible et échéance sont holistiques. Cette formulation en termes d’hydrocarbure est d’autant plus étonnante de la part de TJC que l’organisme a eu la bonne idée, en vue de la prochaine ronde de négociations de l’ensemble du secteur public qui commencera immédiatement après les élections du 3 octobre, de proposer une clause de convention collective en termes d’une cible, à déterminer, de réduction de GES d’ici 2030 combinée à une cible de réduction annuelle applicables aux milieux de travail.
Même s’il est étroit, le chemin est tracé
Une réussite de la grève-manifestation climat du 23 septembre combinée à un renforcement des prises de position climatiques de Québec solidaire, en lien avec la lutte contre l’inflation, pourrait résulter en une défaite ou tout au moins un sérieux recul de la CAQ, ce qui ferait mentir les actuels sondages, de sorte à préparer le terrain à un match revanche du grand Front commun de plus d’un demi-million de personnes syndiquées pour une population en emploi de 4.4 millions. Même s’il est étroit, le chemin est tracé.
Marc Bonhomme, 18 août 2022 mis à jour le 27 août
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
Un message, un commentaire ?