Moyen efficient de connaître les conditions des paysannes et paysans cubains, notre trajet nous conduisait, à travers vallées et collines, sur les routes qu’empruntaient avec nous tour à tour « wawas » (sorte de lourds camions de l’ère de l’URSS transformés en autobus bondés), charrette à cheval, cavaliers, cavalières, camions modernes, taxis, piétons ou piétonnes.
Le peuple cubain passe pour un peuple chaleureux. Vous savez, cette « chaleur inoubliable » des publicités. C’est bien vrai. On le reconnaît aux salutations d’un paysan pauvre sur notre route de cyclistes. On en fait l’expérience au sourire de jeunes étudiantes sur la rue. Ou encore c’est l’accueil vivifiant et en chanson d’une classe du primaire à la demande des éducatrices et éducateurs.
Même dans les plus modestes écoles de campagne on initie à l’informatique. Une professeure ou un professeur s’y consacre. L’éducation physique est la responsabilité d’un autre. Comme dans les campagnes québécoises du temps, plusieurs niveaux s’y côtoient. Les crayons que nous avons apportés sont recueillis par le personnel enseignant avec gratitude.
Toutes ces manifestations de civilité semblent plus dues à une éducation rigoureuse au respect de l’étranger et du nouveau qu’à une quelconque injonction d’un « bureaucrate sévère du parti communiste » comme une certaine désinformation sur Cuba pourrait le faire penser.
À vrai dire, il semble que chacun, du paysan sur sa terre difficile à l’ouvrière qui entretient votre hôtel, jusqu’au membre convaincu du parti communiste, soit en apprentissage constant les uns par les autres. Et la randonnée cycliste permet une proximité à nulle autre pareille avec cette expérience de contact de peuple à peuple.
À la surprise de voir réunie au grand jour, à une table du restaurant où l’on mange, une cellule communiste, succède l’étonnement du grand talent des danseuses et danseurs spontanés au son de l’orchestre de grand calibre dans le parc d’à côté.
Certaines ruines laissent à penser que des chantiers ont été fermés après la perte des marchés de l’ex-URSS. Mais qu’à cela ne tienne, le tourisme, à ce qu’on en dit, est en train de remplacer l’agriculture comme pourvoyeur en devises étrangères. Certains Cubains et Cubaines l’ont vite compris qui réclament au visiteur le stylo qui leur manque cruellement.
Néocolonialisme tout ça ?
Peut-être. Mais le point de vue cubain est différent. L’exploitation des hôtels par des étrangers, par exemple, n’oblige pas les Cubaines et Cubains à se départir des terres qui restent nationalisées et sous le contrôle de l’État. Ces hôtels deviendront propriété de l’État au bout du bail de vingt ans. Dans un petit coin accessible à l’entrée, on fait état de l’histoire du collectif des travailleurs et travailleuses qui les ont gérés sans doute sous la direction du parti ou de façon autonome, ce n’est pas précisé.
Du cyclisme d’un hôtel à l’autre, nous nous remplissons les yeux de paysages verdoyants, malheureusement parfois ravagés par des incendies qui posent un véritable problème écologique au pays. Les spécimens des arbres qui s’y perdent viennent souvent d’autres pays du monde. C’est un guide écologiste du jardin botanique qui nous le précise.
On est loin de la fermeture d’équipements collectifs comme ce jardin botanique (qu’on pense au Zoo de Québec, par exemple). On le pourvoie plutôt de travailleuses et travailleurs compétents qui nous révèlent les secrets cachés, en plantes médicinales, par exemple, cubaines ou importées de longue date.
Cuba est une île au centre des Caraïbes. Elle a été longtemps le carrefour du commerce vers l’Europe et le passage obligé des esclaves venus d’Afrique. De ces souvenirs, il reste quelques moulins de canne à sucre sur des sites touristiques. On peut s’y essayer pour se renforcer les muscles. De quoi rêver de faire des ateliers de misère d’aujourd’hui dans le monde des musées d’horreur d’un monde ancien.
Cuba, malgré la pauvreté, est résolument engagé dans la modernité. L’embargo U.S. n’aide pas, mais l’ingéniosité de notre guide pour la semaine à réparer nos vélos est caractéristique de cet esprit de débrouillardise dont chaque Cubain etCubaine peut faire état en toute fierté.
Dans les marchés des villes, les paysans et paysannes peuvent amener, aux différents bouchers, les porcs élevés dans la cour arrière. On y trouve aussi, bien qu’en petites quantités, des fruits et légumes pour le repas du soir si on n’a pas mangé son sandwich dans le petit restaurant improvisé à la porte des maisons.
Connaître Cuba de l’intérieur est une expérience fascinante. C’est sans doute que le socialisme y a trouvé une voie originale à laquelle une masse critique de travailleurs et travailleuses, de paysans et paysannes pauvres, d’intellectuels et intellectuelles, de jeunes et de militants et militantes communistes adhèrent.
L’opposition y est sur la défensive malgré le soutien étatsunien. La désinformation et les campagnes de dénigrement ne pourront pas venir à bout d’un peuple si courageux dans l’adversité. Il en a vu d’autres. Il est capable de concilier nationalisme et internationalisme.
Mettre la jeune république socialiste (et elle a de l’avenir) devant ses contradictions ne résoudra en rien les contradictions de l’impérialisme mondial lui-même. Pourquoi ne pas y ajouter plutôt notre grain de sel de solidarité comme Québécois et Québécoises, entre peuples qui se ressemblent tellement, au dire des Cubaines et Cubains eux-mêmes ?