Édition du 12 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Un certain 11 septembre

Quand arrive cette date fatidique, je suis, comme plusieurs, interpellé, choqué, un peu déstabilisé. En 2001, les attaques contre les États-Unis ont littéralement créé un « autre monde », marqué par la « guerre sans fin » annoncée par le président Bush, dont les conséquences ne cessent de s’amplifier aujourd’hui, dans une sorte de « crise des crises » qui semble avoir de belles années devant elle.

Mais cette histoire, qu’il faut mieux comprendre, tout en compatissant avec les victimes, ce n’est pas ce dont je veux parler aujourd’hui.

Je pense que la plupart des lecteurs de PTAG savent qu’il y a eu un autre 11 septembre, en 1973, aux conséquences également gravissimes. À Santiago, dans les autres grandes villes chiliennes, il y a eu un massacre qui a duré pendant plusieurs mois, voire quelques années. L’armée chilienne, avec l’appui des diverses classes dominantes, au Chili, aux États-Unis et ailleurs, a éradiqué le projet d’un pouvoir populaire qui prenait forme dans ce pays, porté par un gouvernement progressiste d’autre part, et par une incroyable mobilisation par en bas d’autre part. À l’époque où le capitalisme commençait à se mondialiser, ce projet était insupportable. Il fallait le casser, à tout prix et tout de suite. C’est ce que raconte le merveilleux documentaire de Patricio Guzman, « La bataille du Chili ». C’est un témoignage incroyable, que vous pouvez regarder tranquillement chez vous, car il est, intégralement, sur youtube. (partie 1, partie 2, partie 3)

Guzman raconte cette « guerre de position » qu’ont mené les dominants chiliens, à travers le sabotage de l’économie, les entraves des partis politiques de droite, le puissant appareil de propagande mis en place par les grands médias. Les dominants peu à peu ont installé le dispositif du coup d’état, utilisant les assassinats et la violence la plus sordide. En face d’eux, les dominés, le camp populaire, résistait, innovait, tentait de reprendre les choses en mains. Guzman, notamment, documente l’action des travailleurs à la base, dans leurs syndicats, leurs « cordons industriels » (regroupements régionaux). Ils reprennaient les usines et s’organisent eux-mêmes pour maintenir la production. Devant le sabotage des commerçants, ils instituaient des outils de distribution des biens de base, dont les aliments.

Les jeunes scolarisés étaient par milliers avec les « pobladores » (habitants des bidonvilles) pour alphabétiser et éduquer. Les artistes se mobilisaient pour porter le message à travers les murales, le théâtre, la poésie, avec des prodiges comme le chanteur Victor Jara. Ce Chili populaire a réussi à tenir le coup et pendant plus de trois ans, à déjouer les « momios » (les momies), qui voulaient affamer et humilier le peuple.

Au bout de la ligne, le rapport de forces totalement inégal a mené au massacre qu’on a tenté d’occulter le 11 septembre 1973. À Ottawa, le gouvernement du cher Trudeau était parmi les premiers à reconnaître la dictature militaire. Nous étions des milliers à dénoncer cela dans la rue, tout en travaillant à l’accueil des survivants qui essayaient tant bien que mal de se réfugier.

En même temps, dans le cadre du Comité Québec Chili, nous cherchions à comprendre ce qui s’était passé. La gauche chilienne avait alors de sérieux débats. Certains se questionnaient la stratégie « à petit pas » de Salvador Allende et de ses alliés du Parti communiste chilien. D’autres au contraire estimaient qu’on avait voulu aller trop vite dans un contexte international défavorable. Ces questions de stratégie avaient été en jeu dès le départ du processus (1970), avec des « géants » comme Allende, le socialiste Pedro Vuskovic et Miguel Henriquez, du Mouvement de la gauche révolutionnaire. Ces débats alimentaient ceux des mouvements de gauche partout dans le monde, y compris au Québec. En même temps, le plus important était de sauver des vies.

Aujourd’hui, le cœur battant du Chili du peuple vit à travers les résistances des étudiant-es, des pobladores, des Mapuches (autochtones) et un peu de tout le monde. Aussi on se souvient, malgré la répugnante impunité dont jouissent les responsables du massacre.

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