Clairement, le leadership étudiant n’a pas su lire l’état réel de la conjoncture. La FECQ et la FEUQ, dont les structures permettent à leurs dirigeants de prendre des initiatives et de faire des recommandations à leurs membres n’ont pas osé (du moins à ma connaissance) proposer une direction précise à leurs troupes quant au vote pour ou contre le retour en classe.
Et la CLASSE, dont la démocratie participative lie les mains de ses porte-parole et qui, publiquement du moins, a passé tout le printemps à éviter les recommandations pour s’en remettre aux décisions prises en congrès, a décidé cette fois de faire publiquement une recommandation on ne peut plus précise : il faut voter pour la poursuite de la grève et contre le retour en classe.
Avec le résultat que l’on sait : un vote massif pour le retour en classe, tant par le nombre d’établissements en faveur que par les pourcentages de vote obtenus. Ce qui oblige les dirigeants étudiants, sur la défensive, à faire de la « récupération de situation » et à rappeler, à juste titre d’ailleurs, que la rentrée en classe ne signifie pas nécessairement la fin du combat et la victoire du gouvernement et de sa loi 12 (ex-loi 78).
J’avais proposé aux étudiants, dans ma lettre du 1er août dernier (« Comment poursuivre le printemps érable ? »), une autre stratégie qui aurait gardé l’initiative au mouvement étudiant et placé leurs dirigeants dans une situation infiniment meilleure que leur situation actuelle : que les dirigeants étudiants proposent à leur membres de rentrer en classe à la mi-août, non pas comme une suspension ou une terminaison de la grève mais comme une nouvelle tactique dans la poursuite du même combat. Et j’avais expliqué en détails les diverses raisons pour lesquelles une telle tactique pouvait s’avérer puissante dans le contexte actuel1.
Il est vrai que je basais ma suggestion en grande partie sur mon analyse du contexte électoral et sur le meilleur moyen d’utiliser celui-ci à l’avantage du mouvement social qui s’est mis en branle le printemps dernier, et non pas sur une lecture de « l’état des troupes étudiantes » et sur une évaluation des résultats possibles ou probables du vote dans les diverses associations étudiantes en grève.
Mais les dirigeants de la FECQ, de la FEUQ et de la CLASSE ont bien dû, eux et elles, faire cette évaluation de l’état de leurs troupes. Et malgré leur possible préférence (pour la CLASSE du moins) pour une poursuite de la grève, ces dirigeants devaient bien se douter qu’une partie importante des grévistes seraient à tout le moins tentés par le retour en classe, ne fût-ce que pour ne pas prendre le risque de « perdre leur session ».
Dans ce contexte d’un vote possible en faveur du retour en classe, ma proposition d’une initiative claire des dirigeants étudiants pour proposer eux-mêmes ce retour en classe comme nouvelle tactique d’un combat qui se poursuit devenait doublement avantageuse :
les dirigeants étudiants auraient alors été plébiscités par leurs troupes, ralliant à la fois une partie des grévistes convaincus par la justesse de cette analyse (il serait certainement resté des noyaux, plus ou moins importants, de purs et durs qui auraient continué à défendre la poursuite de la grève à tout prix) ET la quasi totalité des étudiants qui n’étaient pas (ou plus) en faveur de la grève ;
la rentrée en classe ne pouvait absolument plus être interprétée, ni par les politiciens, ni par les médias, comme un abandon de la lutte, une victoire du gouvernement ou, pire encore, comme un désaveu des dirigeants étudiants ou l’expression de la « majorité silencieuse » puisque c’étaient les dirigeants étudiants eux-mêmes qui avaient proposé cette rentrée en classe comme le fruit d’un choix stratégique à ce moment précis de la conjoncture.
Si j’ai tenu à écrire ce texte, ce n’est absolument pas pour me désolidariser des directions étudiantes et de leurs choix, ni encore moins pour « jouer le gérant d’estrade » et me réjouir que les événements aient donné raison à mon analyse. Mais bien pour nous aider tous et toutes à tirer les leçons des votes pris dans la grande majorité des établissements qui étaient en grève. Et surtout pour voir comment on pourrait redonner un nouvel élan au « printemps érable » que les étudiants ont enclenché.
À ce sujet, deux choses me semblent prioritaires :
comme plusieurs assemblées étudiantes semblent l’avoir déjà décidé, garder la tradition des « grandes manifestations populaires » le 22 du mois (celle du 22 août sera particulièrement importante, étant la première après la « rentrée en classe » et se situant en plein cœur de la campagne électorale : le meilleur message qu’on puisse lancer, comme électeurs québécois, serait qu’il y ait au moins 100,000 personnes dans les rues de partout au Québec le 22 août !) ;
que le plus rapidement possible, les dirigeants de la FECQ, de la FEUQ et de la CLASSE puissent
s’asseoir ensemble (ce fut la force du « front commun » ce printemps, malgré tous les efforts du gouvernement Charest pour le briser)
s’entendre sur une même lecture de la nouvelle conjoncture (la rentrée en classe pour « finir et réussir le trimestre d’hiver 2012 »)
reconnaître a posteriori que cette décision des étudiants pouvait bien être la meilleure, même dans le cadre de la lutte contre la hausse des frais de scolarité et du « printemps érable » (cf. ma lettre du 1er août)
reprendre l’initiative du combat (dans les milieux étudiants comme dans l’opinion publique, même si celle-ci est surtout occupée présentement par la campagne électorale) en présentant cette « fin de la session hiver » comme une étape nécessaire et tactique dans la poursuite de la lutte
recommander de manière explicite, publique et pro-active, aux étudiants d’exercer leur droit de vote le 4 septembre (je sais que la FECQ et la FEUQ l’ont déjà fait, mais je pense surtout ici aux dirigeants d’associations membres de la CLASSE)
annoncer que le mouvement étudiant réévaluera la conjoncture (comme le « printemps érable » devrait d’ailleurs le faire aussi) à la lumière des résultats des élections du 4 septembre
relancer la lutte étudiante « active » (quels qu’en soient les moyens d’action précis) APRÈS la fin de la session d’hiver 2012 afin de permettre aux étudiants de terminer leur année scolaire 2011-2012.
Voilà, me semble-t-il, les leçons à tirer des récents votes pris par les étudiants dans les établissements qui étaient encore en grève, si nous voulons que se poursuive et continue de s’approfondir non seulement la lutte contre la hausse des frais de scolarité mais aussi tout le mouvement social québécois que cette lutte a mis en branle.
Et les étudiants québécois, de même que leurs dirigeants, ont encore un rôle majeur à jouer dans la suite des choses. Ne nous décevez pas. Nous avons besoin de cette jeunesse québécoise remarquable.
Montréal, le 16 août 2012
Dominique Boisvert