Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Turquie : Les racines de la rébellion

Un mouvement dans la lignée d’Occupy a pris son envol à Istanbul. Le problème qui a donné le coup d’envoi au conflit est modeste. Des manifestants ont commencé à se rassembler dans le parc de la Promenade le 27 mai pour s’opposer à sa destruction dans le cadre d’un plan de réaménagement. Mais cette action limitée est devenue rapidement bien plus qu’une protestation environnementale. Elle est devenue le paratonnerre de tous les griefs accumulés contre le gouvernement.

Chaque nuit, la police a attendu jusqu’à l’aube pour attaquer les manifestants qui y campaient, exactement comme le faisait la police aux États-Unis contre les manifestants d’Occupy. Des policiers ont mis le feu aux tentes dans lesquelles des manifestants dormaient et les ont douchés avec des sprays au poivre et du gaz lacrymogène.

Les occupants se sont adaptées et ont commencé à porter des masques à gaz faits maison. Plus important encore, ils ont appelé à la solidarité. En réponse à ces attaques, des milliers de manifestants sont venus, y compris des politiciens de l’opposition. Mais l’attaque de vendredi matin n’a permis ni défense ni fuite. Le parc, et toute la zone autour de lui, est toujours fermé et sous des nuages de gaz. [Cet article a été écrit samedi 1er juin - NdT]

L’AKP, un parti populiste conservateur

En avril, un dirigeant du Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir a averti que les libéraux qui avaient soutenu ce parti au cours de la dernière décennie ne le feraient plus à l’avenir. C’était une indication claire que la répression allait augmenter alors que le parti islamiste néolibéral continue à mettre en oeuvre à marche forcée son programme de modernisation.

L’AKP représente un type particulier de populisme conservateur. Le coeur de sa base sociale, qui s’est énormément enrichie au cours de la dernière décennie, est la bourgeoisie musulmane conservatrice qui est apparue à la suite des politiques économiques menée par le Premier ministre Turgut Özal [1] dans les années 1980. Mais tout en niant être un parti religieux, l’AKP a utilisé une politique basée sur la piété et la charité pour se gagner une base populaire et renforcer la droite dans les villes.

Ce parti dirige le gouvernement depuis plus d’une décennie, assurant peu à peu son autorité. Le processus de privatisation a conduit à un approfondissement des inégalités, accompagné par une forte répression. Mais il a aussi attiré des flots d’investissements internationaux, conduisant à des taux de croissance de près de 5% par an . Cela a permis au régime de rembourser anticipativement le dernier des prêts qui lui avaient accordés par le Fonds monétaire international (FMI), de sorte qu’il a même été en mesure d’offrir 5 milliards de dollars au FMI pour aider à surmonter la crise de la zone euro en 2012.

Pendant tout ce temps, l’AKP a progressivement renforcé son emprise au sein de l’appareil d’Etat et des médias, et n’a désormais plus besoin de ses soutiens libéraux. L’Etat-major de l’armée a été contraint d’accepter les islamistes, après avoir subi une perte significative de puissance par rapport aux autres branches de l’Etat comme la police et la justice. Alors que l’érosion de la puissance de l’armée devrait être un progrès pour la démocratie, des journalistes ont également fini en prison sur des accusations de préparation de coup d’Etat.

Bien sûr, il y a eu des tentatives de coup d’Etat. Et le gouvernement est bien au courant, dans le cadre de son enquête sur « l’Etat profond » [2]. Mais il a été en mesure d’utiliser cette peur pour soumettre toute l’opposition à des enquêtes et une surveillance anti-démocratiques, et l’écraser impitoyablement. Pendant cette période, son soutien électoral est passé de 34% à 50%.

Puissance régionale montante

Il a également démontré son assurance dans la façon dont il a tenté de répondre à la question kurde, ainsi que dans sa stratégie régionale. Le gouvernement a entamé de nouvelles négociations significatives avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) en 2009, en partie parce qu’il veut établir une relation lucrative avec le gouvernement régional kurde en Irak [2].

Sous le régime de l’AKP, la Turquie a augmenté son autonomie relative par rapport à ses soutiens traditionnels à la Maison Blanche et à Tel-Aviv, a établi des relations étroites avec l’Iran, le Hezbollah et même - jusqu’à tout récemment - avec le président syrien Bachar al-Assad. Cela a été interprété, de manière hystérique, comme étant du « néo-ottomanisme », alors que c’est tout simplement l’affirmation de la nouvelle puissance de la Turquie.

Ainsi renforcé, le gouvernement est à l’offensive. Il n’a jamais eu besoin de la gauche ou du mouvement ouvrier, qu’il a toujours réprimés. Il n’a plus besoin des libéraux, comme le montrent ses attaques contre les droits des femmes et son imposition de zones sans alcool.

C’est dans ce contexte qu’une lutte pour un petit parc dans un centre-ville congestionné est devenue une alerte pour le régime, et la base d’un pour un possible Printemps turc.

Article paru sur www.socialistworker.org

Traduction française pour avanti4.be : Jean Peltier

Intertitres de la rédaction d’Avanti.

Notes du traducteur

1. Turgut Özal, dirigeant de la droite libérale "laïque" a été le Premier Ministre civil de la Turquie dans les années qui ont suivi le coup d’Etat militaire de 1980. Il a entamé une politique néolibérale d’ouverture aux capitaux étrangers et de privatisation et le processus d’islamisation de l’enseignement.

2. L’"Etat profond" est le nom donné en Turquie aux réseaux de pouvoir occultes constitués sur base des liens étroits tissés lors des dernières décennies entre l’armée toute-puissante, une partie des milieux d’affaires, la mafia locale et l’extrême-droite nationaliste et militariste. L’"Etat profond" a vu d’un très mauvais oeil la montée d’un "Etat AKP" concurrent et a été à la base de plusieurs préparatifs plus ou moins avancés de coups d’Etat qui ont tous été tués dans l’oeuf, permettant ainsi à l’AKP d’asseoir son pouvoir dans l’appareil d’Etat.

3. A la faveur des deux guerres étatsuniennes contre Saddam Hussein (en 1991 et en 2003), la région kurde en Irak s’est progressivement constituée en zone autonome dans le nord du pays et ses autorités nationalistes contrôlent la production et l’exportation du pétrole abondant dans cette région.

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