Comment expliquer la popularité de Trump ? Quels en sont les fondements ?
Le succès de Donald Trump, depuis l’annonce de sa candidature en juin 2015, s’explique par trois facteurs principaux. Premièrement, il a su profiter des divisions profondes du parti républicain depuis l’élection de Barack Obama en 2008. Que ce soit sur l’équilibre entre big business et small business, la politique énergétique, la gestion du déficit budgétaire et bien sûr l’immigration qui reste le point majeur de désaccord depuis des années. La pléthore de candidats aux primaires – 17 en tout – démontre à elle seule l’existence de telles divisions. Le parti républicain a été dans l’incapacité de s’accorder sur un candidat alternatif à Trump ; Ted Cruz, qui semblait le mieux placé à la fin était par ailleurs détesté par les principaux leaders du Grand Old Party pour ses positions intransigeantes sur la dette fédérale, par exemple. Les instances républicaines, qui avaient réussi à neutraliser le Tea Party en 2014, n’ont pas cru en l’ascension de Trump.
Deuxièmement, l’éloignement croissant entre l’électorat et les élites a été sous-estimé par le parti, en particulier la défiance, à l’égard du big business et de Washington, des classes populaires et de la petite classe moyenne blanches qui n’ont pas bénéficié de la reprise économique, voire qui se sont appauvries depuis la crise de 2008. Pendant la campagne présidentielle de 2012, le candidat républicain, Mitt Romney, avait ouvertement méprisé l’électorat populaire. Trump a choisi au contraire de s’adresser à lui.
Troisièmement, Trump a bâti sa campagne sur le storytelling de l’identité. Il récupère à son compte les craintes d’une grande partie de l’électorat conservateur vis-à-vis des bouleversements démographiques des Etats-Unis - par ailleurs inéluctables -, de la mondialisation économique et culturelle, du pluralisme culturel et religieux et donc de l’immigration, et de la reconnaissance des droits des minorités. Le retour à une « Amérique blanche » et patriarcale, érigée en mythe, fait figure de programme. Même quand il parle d’économie, Trump dessine le projet d’un pays fermé sur-lui même. Il faut donc mettre à son crédit une excellente capacité de diagnostic de l’état du parti comme de l’électorat républicain. Trump n’est pas la cause mais le révélateur, tout autant que le bénéficiaire d’une crise majeure de la démocratie américaine – poids des lobbies, paralysie parlementaire, crise de confiance dans le politique -, crise qui n’est pas si différente de ce que nous connaissons de ce côté-ci de l’Atlantique
On peut y ajouter un quatrième facteur, important mais pas déterminant : le poids de la couverture médiatique dont il a bénéficié depuis l’été 2015. Le milliardaire de l’immobilier est aussi producteur d’émissions de téléréalité, il est donc rompu à l’exercice de la communication. C’est un « bon client » des médias, attirés par ailleurs par ses provocations constantes.
Selon vous, les néoconservateurs lui préfèreraient Hillary Clinton. Pourquoi ?
Depuis le printemps, les néoconservateurs font état de leur opposition à Trump. Beaucoup sont des anciens de l’administration et des réseaux de George W. Bush. Ils reprochent essentiellement à Trump ses positions sur la politique étrangère des Etats-Unis. D’une part, il dit souhaiter se concentrer sur les intérêts premiers de l’Amérique dans le monde et ne pas intervenir militairement lorsque sa sécurité n’est pas directement menacée. Les néoconservateurs ne lui pardonnent pas d’avoir dit que l’intervention militaire en Irak en 2003 était une erreur, d’avoir exprimé son admiration pour Vladimir Poutine et Saddam Hussein ou encore d’avoir minimisé la répression chinoise de Tiananmen et la politique de Kim Jong-un en Corée du Nord.
D’autre part, ses affirmations selon lesquelles les Etats-Unis n’ont pas à porter, dans le monde, les idéaux démocratiques et libéraux, sont le contraire exact de leur idéologie depuis les années 1960. Robert Kagan, l’une des figures de proue des néoconservateurs, a affirmé : « le parti (républicain) ne peut être sauvé, mais le pays peut encore l’être ». Il a organisé des levées de fond en faveur d’Hillary Clinton.
Enfin, Trump n’a pas affiché de position claire sur la question israélo-palestinienne, alors que les néoconservateurs attendent des candidats à l’élection présidentielle un soutien inconditionnel à l’Etat hébreux.
Sur tous ces points, Hillary Clinton leur convient bien mieux, même s’ils n’appellent pas tous ouvertement à voter pour elle. Elle a une réputation de « faucon » en politique étrangère, du fait de son soutien passé à la guerre en Irak et de ses positions plus volontaristes que celles d’Obama sur l’aide militaire à apporter aux rebelles syriens. Elle continue de parler de « l’exception américaine », du fait que les Etats-Unis ont des devoirs en termes de démocratie et de paix dans le monde. Les néoconservateurs pensent qu’elle optera pour des politiques plus interventionnistes, mais elle sera sans doute rappelée au principe de réalité, notamment financière, si elle accède à la Maison blanche.
Ils attendent d’elle qu’elle rompe avec certains choix d’Obama : trop grand retrait de la scène internationale, qui a selon eux fragilisé plusieurs aires régionales et décrédibilisé les Etats-Unis ; trop grande marge de manœuvre laissée à la Russie en Europe de l’Est et au Moyen Orient, ainsi qu’à la Chine dans le Pacifique ; sous-estimation de Daech et bien sûr refroidissement des relations avec Israël ; complaisance envers des ennemis historiques que sont l’Iran et Cuba.
L’affaire des emails tempère un peu leur jugement sur Clinton, de même que son souhait d’un rapprochement progressif avec la Russie de Poutine. Néanmoins, les néoconservateurs, très influents dans les réseaux républicains et démocrates via leurs think tanks, leurs financeurs et certains médias, sont mobilisés pour faire battre Trump qu’ils ne jugent pas digne de la fonction et, pour tout dire, leur fait peur par son dilettantisme.
L’argument de Trump selon lequel la diversité n’est pas un atout mais un fardeau gagne-t-il du terrain ?
C’est en tout cas l’un des arguments majeurs de Trump, qu’il ne cesse de réactiver. Son point de départ est la promesse d’une rupture avec l’Amérique d’Obama, au sens notamment de ce qu’elle symbolise. En rendant possible l’accession d’un Noir à la fonction suprême, la société multiculturelle a fait montre de sa faiblesse, de la perte de ses repères, estime-t-il. Le slogan de Trump, « Make America Great Again », promet un retour en arrière vers une Amérique « authentique », autrement dit une nation où les Mexicains ne prendront plus le travail des citoyens américains, vers laquelle les musulmans, potentiellement terroristes, ne pourront plus émigrer, où le « politiquement correct » qui victimise les Afro-Américains et les clandestins sera éradiqué, où l’on pourra à nouveau se sentir fier d’être « blanc ».
Dans le discours qu’il a prononcé le 31 août dernier à Phoenix, en Arizona, Donald Trump a une nouvelle fois fustigé le pluralisme culturel et religieux et l’immigration, arguant que la promotion de la diversité était un instrument de manipulation des peuples par l’establishment et le big business. D’un côté, il reproche au « système » et notamment à Hillary Clinton, de minimiser les crimes commis par les sans-papiers et de mettre l’accent sur les souffrances causées par la vie dans la clandestinité.
En réalité, dit Trump, cette politique de bons sentiments omet de voir que l’immigration, surtout illégale, est par essence source de délinquance, de criminalité et de dépenses sociales inutiles. « Notre pays est devenu un dépotoir », dit-il à propos des immigrés mexicains, qualifiés de « violeurs » et de « voleurs » à plusieurs reprises. Il estime aussi que les réfugiés syriens sont « un cheval de Troie » pour les Etats-Unis. En d’autres termes, il s’agit d’une invasion à visée belliqueuse. D’un autre côté, il estime que les grandes entreprises ont tout intérêt à engager une main d’œuvre docile et peu chère, qu’elles trouvent sans peine chez les clandestins.
Clinton, de son côté, fait de la lutte contre les discriminations « raciales » un enjeu de richesse économique et de confiance retrouvée. Elle vise à promouvoir un discours d’unité (« make America whole ») qui s’oppose au leitmotiv du clivage chez son adversaire.
Le pari de Trump est de faire le plein de voix dans l’électorat blanc (d’origine européenne) et qu’il n’a pas besoin des minorités ethniques pour l’emporter. Or, les Américains d’origine latino votent de moins en moins républicain : en 2012, 27 % des Hispaniques ont voté pour Mitt Romney ; ils étaient 31 % à choisir John McCain en 2008 et 40 % George W. Bush en 2004. Le pari de Trump est risqué mais pas irréaliste. Ce ne sera plus le cas en 2020.