Tiré du blogue de l’auteur.
Trump, devenu président de la première puissance mondiale grâce à son style outrancier et son slogan « America First », est rentré en campagne pour 2020, à sa façon, outrancière. Élu en 2016 grâce à un discours offensif à l’encontre du Mexique et fort de sa promesse de construction d’un mur, Trump récidive pour galvaniser ses troupes.
Par un tweet le 30 mai dernier, Trump a annoncé qu’il taxerait 5% tous les biens provenant du Mexique si ce dernier ne prenait pas des mesures pour endiguer le flux de migrants arrivant sur le territoire états-unien[1]. Dans la foulée, la Maison blanche a publié un communiqué[2] :
« Comme chacun le sait, les Etats-Unis d’Amérique ont été envahis par des centaines de milliers de personnes venant du Mexique et entrant illégalement dans notre pays. (…)
La coopération passive du Mexique pour permettre cette incursion massive constitue une urgence et une menace extraordinaire pour la sécurité nationale et l’économie des États-Unis. (…)
En conséquence, à compter du 10 juin 2019, les États-Unis imposeront un droit de douane de 5% sur toutes les marchandises importées du Mexique. »
Est précisé qu’à défaut de solution apportée par le Mexique ces taxes passeront à 10% le 1erjuillet, à 15% le 1eraoût, à 20% le 1erseptembre et à 25% le 1eroctobrepour ensuite demeurer à 25% jusqu’à ce que « le Mexique mette fin de manière substantielle aux flux illégaux d’immigrants venant à travers son territoire. »
Branle-bas de combat donc. Pour le Mexique dont la dépendance économique aux Etats-Unis est avérée, l’annonce est un coup de tonnerre[3].
Dans une lettre écrite le jour-même, Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), président du Mexique, répond à Trump[4]. Il y affirme qu’il ne souhaite pas de confrontation, que « Les êtres humains ne quittent pas leur peuple par plaisir mais par besoin. » et que « Les problèmes sociaux ne sauraient être résolus avec des taxes ou des mesures coercitives. ». Il assure « Je crois à la politique qui, entre autres, a été inventée pour éviter la confrontation et la guerre. Je ne crois pas à la loi du talion ni au principe de « dent pour dent » ou d’« œil pour œil » car en agissant ainsi nous demeurerions tous édentés ou borgnes. ».
Il conclut « Rien par la force, tout par la raison et le droit ! »
Dès le mercredi 5 juin commencent à Washington des négociations sous tension permanente. Trump, en déplacement en Europe ne manque pas, en effet, de commenter les avancées des discussions[5]. Vendredi soir, alors qu’il ne reste que deux jours avant la mise en œuvre annoncée des taxes douanières, une solution est annoncée.
L’ordre est sauf.
L’ordre est sauf, mais lequel ?
L’annonce de l’accord trouvé se célèbre en grande pompe au Mexique. Il n’y aura pas de taxe douanière ! Le gouvernement organise un « Acte d’unité en défense de la dignité du Mexique et en faveur de l’amitié avec les Etats-Unis » le samedi 8 juin à Tijuana, ville située à la frontière avec les Etats-Unis[6]. AMLO accompagné de gouverneurs, grands entrepreneurs[7], députés et membres du gouvernement « célèbre » le « succès » des négociations qui ont permis de freiner la menace du gouvernement de Trump. AMLO répète « Au président Donald Trump, (…) nous réitérons notre volonté d’amitié, de dialogue et de collaboration. » et réaffirme « notre engagement d’aider à empêcher les migrants de traverser le territoire national pour atteindre celui des États-Unis, mais nous ne le ferons jamais en violation des droits fondamentaux des voyageurs, à commencer par le principal de ces droits, la liberté de vivre à l’abri de la misère et le droit à la vie. ».
Marcelo Ebrard Casaubon, le ministre des Affaires Etrangères mexicain, qui a mené les négociations à Washington, exprime, quant à lui, un soulagement : « Nous n’avons pas tout gagné (…) mais nous sortons avec la dignité intacte »[8]. Rien n’est moins sûr. La communication du gouvernement ces derniers jours acte un changement vers une politique migratoire répressive.
Les concessions confirmées sont, en effet, vertigineuses.
Un ordre dans lequel le libre-échange prime sur les droits de l’Homme
Ce qu’ont mis en avant les dirigeants mexicains samedi à Tijuana c’est avant tout l’absence de taxes douanières sur les biens mexicains et la possibilité maintenue de ratifier l’accord de libre-échange négocié avec les Etats-Unis et le Canada[9]. A également été souligné, à maintes reprises, la souscription des Etats-Unis au Plan de Développement Intégral avec l’Amérique Centrale promu par AMLO afin de favoriser la création d’emplois en Amérique centrale.
Le Mexique a cependant accepté deux mesures conséquentes en contrepartie de l’accord : le déploiement de la garde nationale et l’expansion de la politique de renvoi au Mexique des demandeurs d’asile arrivant sur le territoire états-unien. S’il semble que, comme l’a affirmé The New York Times, l’accord ne fait qu’avaliser des actions que le Mexique s’était déjà engagé à mener lors de discussions antérieures[10], leur officialisation, sous menace, constitue un tournant. Les Etats-Unis ont déjà annoncé qu’ils contrôleraient le respect de l’accord et détermineraient si les actions du Mexique ont été efficaces…
Le déploiement de la garde nationale, nouveau corps de sécurité composé de membres de l’armée
Le gouvernement d’AMLO s’est engagé à déployer 6 000 membres de la Garde nationale à la frontière Sud du Mexique. Nouveau corps créé à l’initiative d’AMLO, la Garde nationale composée de membres des forces armées et dirigé par un militaire, le général Luis Rodriguez Bucío, est chargée de la sécurité publique. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme et la Commission Nationale des Droits de l’Homme mexicaine comme de nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme telles que Human Rights Watch, Amnesty International, ont pourtant critiqué la création de ce corps au travers duquel se maintient une logique de militarisation de la sécurité publique responsable, pour partie, d’une violence accrue dans le pays[11]. Le premier déploiement de ce corps emblématique se fera donc sur la frontière Sud, afin de lutter contre les flux migratoires.
L’expansion du plan « Rester au Mexique » à toute la frontière Sud des Etats-Unis
Une autre mesure accordée par le gouvernement d’AMLO est l’expansion du plan « Rester au Mexique » à toute la frontière Sud des Etats-Unis.
Durant des mois en 2018, les Etats Unis ont tenté de passer un accord de pays tiers sûr avec le Mexique. Il s’agissait pour les autorités états-uniennes de pouvoir renvoyer au Mexique les demandeurs d’asile ayant d’abord traversé le territoire mexicain, celui-ci étant considéré comme « sûr »[12]. Ce mécanisme utilisé pour externaliser les frontières pose question quant à sa compatibilité avec le principe de non dévolution, principe fondamental du droit d’asile qui consiste en l’interdiction pour les Etats de renvoyer une personne sur un territoire où elle subira un risque de persécution. N’ayant pu obtenir un tel accord, les Etats-Unis ont annoncé le 20 décembre 2018 puis mis en œuvre dès le mois de janvier 2019 une nouvelle politique à l’égard des demandeurs d’asile non mexicains arrivant sur son territoire viale Mexique officiellement appelée « Protocoles de Protection des Migrants » et plus couramment plan « Rester au Mexique » (« Remain in Mexico »).
Ce plan prévoit que les personnes tentant d’entrer aux Etats-Unis par le Mexique pour y demander l’asile pourront y être renvoyées pour la durée de leur procédure d’asile si elles sont arrivées aux Etats-Unis de manière irrégulière ou se sont présentées à des points d’entrée sans les documents requis[13]. Les agents d’immigration sont chargés, au terme d’un entretien, de décider de renvoyer ou non les demandeurs d’asile au Mexique. Ils doivent, pour cela, déterminer si l’étranger concerné est « plus susceptible d’être persécuté ou torturé que de ne pas l’être » s’il est renvoyé au Mexique durant la procédure sans toutefois leur poser la question directement[14]. Les conditions de cet entretien, organisé de façon non contradictoire, dans un endroit clos, mené en personne ou par vidéoconférence ou téléphone, sont préoccupantes. L’agent en charge de l’entretien s’assure lui-même de la compréhension du demandeur d’asile. Les personnes concernées ne peuvent, en outre, ni consulter un avocat ni former un recours à l’encontre de la décision de l’agent, aucun recours effectif donc.
Un plan dont la légalité est contestée
De nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme se sont mobilisées[15]. Aux Etats-Unis, elles ont contesté en justice la légalité de ces protocoles. Le 8 avril 2019 une juridiction fédérale américaine a prononcé la suspension de l’application de ce plan[16]. L’ordonnance de suspension a toutefois été infirmée en appel le 7 mai 2019 et l’application des Protocoles de Protection des Migrants, par conséquent, maintenue dans l’attente du jugement au fond[17]. Il ressort, cependant, des opinions concordante et dissidente publiées par deux des trois juges que la question de la légalité des procédures est loin d’être tranchée[18].
Officiellement, le gouvernement d’AMLO a affirmé qu’il s’opposait à tout accord de tiers pays sûr. Il a cependant accepté de prendre en charge les demandeurs d’asile renvoyés par les Etats-Unis et désormais d’étendre ces protocoles à l’ensemble de sa frontière. Ce qu’a dévoilé cette séquence c’est donc également le double discours d’AMLO que les spécialistes de la question migratoire au Mexique pointaient déjà[19]. Il consiste, d’une part, à affirmer un changement de paradigme et promouvoir le respect des droits des migrants, et, d’autre part, à mener une politique répressive en matière migratoire. La Mission d’observation de la Crise Humanitaire des Personnes Migrantes et Réfugiées dans le Sud-Est mexicain qui a réuni l’essentiel des organisations impliquées dans la défense des droits des personnes migrantes et réfugiées au Mexique et en Amérique centrale du 28 au 31 mai 2019 a constaté que continue et s’accentue au Mexique une approche sécuritaire militarisée passant au-dessus du respect et de la protection des droits de l’Homme des personnes en mobilité[20] : « Nous observons que c’est une pratique systémique et intentionnelle de l’Etat, qui est en contradiction avec le discours officiel d’une politique migratoire respectueuse des droits de l’Homme. ».
Les rétentions et les expulsions au Mexique se sont, en effet, considérablement accrues[21] : le nombre d’étrangers renvoyés dans leur pays est passé de 5 584 au mois de janvier 2019 à 14 940 au mois d’avril auquel s’ajoute le nombre de retours volontaires passés de 4 003 en janvier à 9 776 en avril. De multiples organisations, à l’image d’Amnesty International, alertent, par conséquent, du tournant répressif de la politique migratoire mexicaine. « Au moment où les enfants meurent sous la garde des autorités des Etats-Unis, de l’autre côté de la frontière, le gouvernement du président López Obrador est en train de permettre une vague de mesures répressives contre les personnes migrantes et réfugiées qui se traduisent en un traitement négligent de vies humaines. Cela suggère un parallélisme alarmant avec la politique de l’administration Trump. » a indiqué la directrice pour les Amériques d’Amnesty International Erika Guevara Rosas[22].
Un ordre international dominé par les menaces de Trump
Tout ce spectacle confirme également des vérités sur notre monde.
Au bout du compte, Trump tache de rassembler son électorat et de s’assurer de la soumission du monde. Il utilise pour cela son arme favorite, les droits de douane. Il n’hésite pas, de la sorte, à mettre sur un même plan des intérêts commerciaux et le respect de droits internationalement garantis. Le soulagement face au renoncement de Trump à imposer les biens mexicains en échange du soutien du Mexique au contournement du droit a de quoi effrayer. Dans ce jeu de dupes, tout n’est que force brute, ni raison, ni droit.
L’absence de solidarité internationale durant cet affrontement diplomatique est également frappante. Les Etats-Unis soumettent le Mexique dans un silence assourdissant. Ce, alors même que les « migrants » que Trump ne veut pas voir franchir la frontière proviennent de pays dont les situations économiques et politiques sont déstabilisés notamment par les Etats-Unis[23].
Sûr de sa victoire symbolique, Washington ne s’arrêtera pas là. L’élection présidentielle étant en 2020, Trump non plus.
Le locataire de la maison blanche a déjà affirmé, dès lundi 10 juin, qu’une nouvelle disposition de l’accord entre le Mexique et les EU encore inconnue devait être approuvée par le pouvoir législatif mexicain[24]. Le ministre des affaires étrangères Marcelo Ebrard, a expliqué le lendemain qu’il avait été évoqué la possibilité d’élaborer un modèle migratoire régional en cas d’échec et a ajouté :
"Au lieu d’accepter un accord de pays tiers sûr comme celui proposé par les États-Unis ou le début d’une guerre commerciale, nous avons obtenu un délai de 45 jours pour démontrer l’efficacité des mesures qui seraient adoptées et préparer le mieux possible les négociations qui pourraient être menées dans 45 jours si les mesures adoptées n’ont pas les résultats escomptés"[25].
Le Mexique a gagné 45 jours.
Notes
[1]https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1134240653926232064
[3]http://www.economia.unam.mx/assets/pdfs/econunam/46/05Armando.pdf
https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-du-mardi-13-mars-2018
[4]https://lopezobrador.org.mx/2019/05/30/117550/
[5]https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1136402982860312576
https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1136402984923852801
[7]AMLO a reçu durant les négociations le soutien de grands entrepreneurs mexicains. Comme de Carlos Slim par exemple : https://www.elimparcial.com/mexico/Carlos-Slim-da-apoyo-a-AMLO-ante-postura-de-Trump-20190531-0010.html
[9]https://www.monde-diplomatique.fr/2018/11/CARLSEN/59195
[10]https://www.nytimes.com/2019/06/08/us/politics/trump-mexico-deal-tariffs.html
[12]https://www.americas.org/safe-third-country-remain-in-mexico-us-asylum-policies-violate-rights/
https://www.americas.org/informe-mexico-y-el-acuerdo-de-tercer-pais-seguro/
https://www.cbp.gov/sites/default/files/assets/documents/2019-Jan/MPP%20OFO%20Memo%201-28-19.pdf
https://www.amnesty.org/download/Documents/AMR5101722019FRENCH.pdf
[16]https://www.aclu.org/sites/default/files/field_document/2019.04.08.0073_order_granting_pi.pdf
[17]https://www.aclu.org/legal-document/order-ninth-circuit-stay-ruling
[18]Le juge Watford, dans son opinion pourtant concordante a indiqué : « Il existe, bien entendu, un moyen simple permettant au DHS de s’assurer que les États-Unis respectent leurs obligations de non-refoulement : le DHS peut demander aux demandeurs d’asile s’ils craignent la persécution ou la torture au Mexique. Je n’arrive pas à comprendre comment une agence dont l’objectif déclaré est de se conformer au principe de non-refoulement pourrait décider de manière rationnelle de ne pas poser cette question, en particulier lorsque les agents d’immigration mènent déjà des entretiens individuels avec chaque demandeur. ».
[19]Luciana Gandini de l’Institut de Recherches Juridiques de l’UNAM, https://desinformemonos.org/militarizacion-en-procesos-migratorios-va-en-contrasentido-a-lo-dicho-por-el-gobierno-federal/
Mariana Zaragoza, coordinadora del Programa de Asuntos Migratorios (PRAMI) de la Universidad Iberoamericana,https://desinformemonos.org/migrantes-no-deben-ser-moneda-de-cambio-en-negociacion-mexico-eu-prami/
Leticia Calderon, Instituto Mora, https://www.eluniversal.com.mx/columna/leticia-calderon-chelius/nacion/un-nuevo-regimen-migratorio
https://www.animalpolitico.com/2019/06/migrantes-detenciones-amlo-trump/
[20]https://es.scribd.com/document/412072103/MODH-La-Frontera-Sur-Es-Una-Tortura-Silenciosa-31-05-2019
https://elpais.com/internacional/2019/05/08/actualidad/1557337692_116128.html
https://elpais.com/internacional/2019/05/31/mexico/1559327638_049058.html
[22]“México : Primera muerte de un menor bajo custodia de autoridades de migracón mexicana bajo el nuevo presidente sugiere un inquietante paralelismo con la política de Estados Unidos.”, 17 de mayo de 2019
[23]CEPAL, ONU, OIM, Informe final de la reunión regional latinoamericana y caribeña de expertas y expertos en migración internacional preparatoria del pacto mundial para una migración segura, ordenada y regular, Santiago, 30 et 31 août 2017 : https://repositorio.cepal.org/handle/11362/43353
Rapport MSF, "Forcés à fuir le Triangle Nord d’Amérique centrale : Une crise humanitaire oubliée", 2017
[24]https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1138030976578310144
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